MÉLOTHÉSIE
(= influence astrale sur les membres du corps humain)
Par Florence Somer
Gavage
En 1582, le sultan
Murad III (r.1574-1595)
offre à ses filles Fatima et Ayşe, les préférées de ses
110 enfants, le fruit de l’élaboration d’un compendium astrologique, mythique
et divinatoire : l’ascension de la félicité ou Matāli’ al Saadet de
Mohamed Ibn Emir Hasan al-Su’udi (1). Né dans la période la plus fertile de la
peinture turque-ottomane entre le XVIème et le XVIIème siècle, l’adaptation
augmentée du recueil arabe du livre des merveilles (Kitāb al Bulhān) fut
réalisée à la demande du petit fils de Suleyman le Magnifique qui, comme son
aïeul, délaissait les champs de bataille et les rixes pour protéger les êtres
qui avaient reçu l’inspiration et la vision comme cadeau divin : les
poètes, les miniaturistes et les astrologues. Le compendium commandité par le
sultan fait correspondre la branche divinatoire pure de l’astrologie et son
application naturelle, à la fois météorologique et médicale.
L’exécution minutieuse
de cette œuvre d’art a mobilisé les meilleurs artistes de la cour ottomane sous
la direction du célèbre maître Osman depuis l’an 1570. La première partie offre
les représentations iconographiques des douze signes du zodiaque accompagnés de
leurs astres d’exaltation et de déclin et des planètes qui président aux trois
décans du signe. Une seconde partie de miniatures, inspirée du livre des
nativités de Abū Ma’shar al Balkhī, se réfère à des exemples célèbres de
l’influence des planètes sur la politique et le destin des hommes.
Les
sources des enluminures sont diverses et s’appuient en partie sur une
littérature relativement bien connue du lecteur orientaliste : le Coran,
Les Mille et Une Nuits, le Shāhnāmēh ou le Livre des merveilles de Marco Polo.
Deux sources sont plus inéprouvées : l’Iskender Namêh ou Vie
d’Alexandre le Grand, un héros qui a influencé considérablement la littérature
arabe, perse et turque ; et l’Ikhtilajnama ou livre des
spasmes du corps qui offre un ensemble de prédictions astrologiques par
l’interprétation des différentes parties du corps affectées de spasme.
Traités, discours,
origines
Principalement
diffusés en Occident à travers des traités grecs puis dans le monde latin
médiéval, les plus anciens écrits connus alliant la médecine et la science de
l’interprétation astrale datent du Ve siècle avant notre ère et furent rédigés
à Uruk. Les premières formes du zodiaque permettant de prédire les mouvements
des corps célestes ont transformé les anciennes méthodes de divination en
introduisant des techniques de propitiation magique et de prescriptions
médicales. Ces dernières, comparables à celles développées par Ptolémée dans
son Tetrabiblos et dans certains traités de médecine grecque
après lui, furent à l’origine du mouvement de pensée qui se développa en
Occident. L’astronome/astrologue Vettius Valens (120-175) s’y est également
adonné et a retranscrit certains bienfaits de la discipline de son Anthologie.
Au premier siècle de notre ère, le poète et astrologue romain Marcus Manilius
compile dans son traité « les astrologiques ou la science sacrée du
ciel » des occurrences mélothésiques applicables à la science. A partir de
l’interprétation de la position des astres dans les constellations, la
mélothésie préconise l’élaboration de remède ou l’administration de soins
externes.
L’homo signorum
Autant
le macrocosme influe sur le microcosme humain, autant ce dernier facilite
l’interprétation du message stellaire. Cette théorie de l’analogie entre
l’homme et le cosmos renvoie à celle, éprouvée et appliquée en Occident
médiéval, de l’homo signorum ou homme zodiaque. Cette pensée révèle
l’association entre les signes du zodiaque, les planètes et les organes qu’ils
influencent selon l’astrologie médicale ou Iatromathématiques (bien que
l’astrologie ne soit qu’une application de cette théorie). Isodore de Séville
(560/570-636) ou Hildegarde de Bingen (1098-1179), encyclopédistes médiévaux,
reprennent l’idée du corps microcosmique influencé par l’immensité du cosmos.
« L’homme est la
mesure de toute chose : de celles qui sont, du fait qu’elles sont ;
de celles qui ne sont pas, du fait qu’elles ne sont pas » aurait dit le
sophiste Protagoras, paraphrasé par Platon. Par l’application des principes
d’analogie et de mesure (néo)platonicienne, on donne au corps humain les
caractéristiques des constellations zodiacales qui dominent ses organes et
parties. Le Bélier gouverne la tête ; le Taureau, le cou ; les
Gémeaux les poumons, les bras et les épaules ; le Cancer, la poitrine et
l’estomac ; le Lion, le cœur ; la Vierge, l’abdomen ; la
Balance, les reins ; le Scorpion, le sexe ; le Sagittaire, les
hanches et les cuisses ; le Capricorne, les genoux ; le Verseau, les
jambes et les Poissons, les systèmes lymphatiques et sanguins.
Les XVe et XVIe siècles
resteront imprégnés de cette idée d’un lien entre homme et cosmos. Giordano
Bruno (1548-1600) considère l’espace comme un corps vivant, dont l’âme se
manifeste dans toutes ses parties. Quand au langage, il gardera en mémoire ces
croyances en enrichissant les expressions mettant en scènes imagées les
caractéristiques morales et physiques des individus. Ne dit-on pas d’un être
courageux qu’il a un cœur de Lion et de celui qui est physiquement fort qu’il a
le cou d’un Taureau ?
L’astrologie médicale
dans l’Occident médiéval : le cas de la peste de 1348
La science astrologique
repose sur des règles mathématiques et rationnelles qui lui ont permis de se
perpétuer dans les sphères du savoir scolastique plus longuement que les
pratiques magiques, qu’elles se revendiquent astrales, hermétiques ou rituelles
salomonienne. Le médecin médiéval formé à l’université pouvait, à l’occasion,
utiliser l’astrologie pour des pratiques déterminées mais quand l’irrationnel
des épidémies l’a emporté, la pratique de l’astrologie est revenue s’insinuer
dans les lacunes de l’application de remèdes médicinaux et l’incapacité
d’éradication de l’épidémie. Quand l’espoir ne peut plus s’en remettre à la
science, il en appelle aux intermédiaires célestes. Selon les astrologues, la
cause d’une épidémie telle que celle de la peste survenue en Europe en 1348 est
le résultat d’une conjonction des trois planètes supérieures que sont Saturne,
Jupiter et Mars dans le signe du Verseau.
En suivant le corpus
d’Avicenne, un médecin rangera les causes lointaines par ordre d’éloignement
décroissant de Dieu, le ciel astral à l’air ; les causes proches selon cet
ordre : l’humeur, l’air corrompu, la vapeur corrompue qui s’est introduite
dans le cœur. Galien préconise la préparation du corps afin qu’il soit
immunisé, autant que faire se peut, contre les influences des causes
supérieures.
Note :
(1) Paris, BNF, suppl. turc 242.
(1) Paris, BNF, suppl. turc 242.
Bibliographie :
Arber, Agnes (2010) [1912], Herbals : Their Origin and Evolution, Cambridge University Press.
Geller, M. J. (2014). Melothesia in Babylonia : Medicine, magic, and astrology in the Ancient Near East (Vol. 2). Walter de Gruyter GmbH & Co KG.
Lewis, James R. (2003), The astrology book : the encyclopedia of heavenly influences (2nd ed.). Detroit : Visible Ink Press.
Webster, Charles (1979), Health, Medicine, and Mortality in the Sixteenth Century, Cambridge University Press.
Nicolas Weill-Parot (2004), La rationalité médicale à l’épreuve de la peste : médecine, astrologie et magie (1348-1500) , Médiévales, n° 46, Paris, PUV, printemps 2004, p. 73-88.
https://rucore.libraries.rutgers.edu/rutgers-lib/59256/PDF/1/play/
http://expositions.bnf.fr/ciel/arretsur/monde/ciel/
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http://expositions.bnf.fr/ciel/arretsur/monde/ciel/
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