ENTRETIEN AVEC LE DOCTEUR MARIE
KORTAM - A L’OCCASION DES MANIFESTATIONS ACTUELLES DE PALESTINIENS AU LIBAN,
RETOUR SUR LA QUESTION PALESTINIENNE AU PAYS DU CÈDRE
ARTICLE PUBLIÉ LE 16/09/2019
Propos recueillis par Ines Gil
Depuis la mi-juillet, chaque vendredi, des centaines
de Palestiniens manifestent contre une décision du ministère libanais du
Travail visant à réorganiser le fonctionnement de la main d’oeuvre étrangère
non déclarée. Même si cette mesure sur l’emploi des étrangers concerne avant
tout les Syriens, les Palestiniens réfugiés au Liban craignent d’en subir les
conséquences. Ces protestations témoignent du statut précaire des Palestiniens,
pourtant présents dans le « pays du cèdre » depuis plus de 70 ans.
Marie
Kortam est chercheuse associée à l’Institut français du Proche-Orient
(IFPO-Beyrouth). Titulaire d’un Doctorat en sociologie, ses travaux portent
notamment sur les mouvements sociaux et sur les réfugiés palestiniens au Liban.
En juillet 2019, les Palestiniens
réfugiés au Liban ont entamé de vives manifestations contre le plan du
ministère libanais du Travail visant à lutter contre le travail illégal. Les
manifestants dénoncent une « injustice ». Pourquoi s’opposent-ils à
ce plan ?
Les mesures
du ministère du Travail visent à réorganiser le fonctionnement de la main
d’oeuvre étrangère non déclarée. Elles stipulent le droit d’exercer un travail
au Liban en contrepartie d’une autorisation de travail. Or, les réfugiés
Palestiniens ont toujours travaillé sans autorisation. Même si cette démarche
est gratuite, elle alourdit le processus administratif pour ces réfugiés, qui
exercent pour la plupart un travail journalier. Par ailleurs, avec cette
autorisation de travail, les Palestiniens devront payer 23,5% de leur salaire à
la Sécurité sociale libanaise, alors même qu’ils bénéficient d’une protection
médicale et sociale moindre que les Libanais. Au Liban, les Palestiniens ne
bénéficient que de 8,5% d’indemnités de fin de service.
Bien qu’ils
soient installés dans le « pays du Cèdre » depuis plusieurs
décennies, les réfugiés palestiniens ont un statut précaire, car aucune loi ne
les définit comme réfugiés. Au Liban, la législation définit seulement qui
n’est pas Libanais. A ce jour, 39 métiers leur sont interdits, notamment les
professions libérales, comme les métiers d’avocat ou de médecin. Et ce, même
s’ils disposent des diplômes requis. Cependant, ces dernières années, leur
statut s’est un peu amélioré. Depuis 2005, les Palestiniens peuvent exercer
plus de professions suite au mémorandum promulgué par le ministre du Travail,
qui réduit les métiers limités seulement aux Libanais. C’est notamment le cas
du travail d’infirmier, car le Liban manque de main d’oeuvre libanaise ce
domaine. Ceci est une décision importante mais elle reste arbitraire tant
qu’elle n’est pas légiférée par une loi.
Les Palestiniens présents au
Liban n’avaient pas manifesté contre une mesure gouvernementale avec une telle
ampleur depuis 2010. Comment ces manifestations ont-elles été perçues ?
Le
ministère libanais du Travail a affirmé ne pouvoir revenir en arrière, car ce
plan de lutte contre le travail illégal est en fait l’application d’une loi
votée en 2010. Fin août, le Conseil des Ministres a créé un comité pour le
suivi des manifestations. Il est chargé de réunir autour de la table les
représentants palestiniens et libanais. Ce comité semble cependant surtout
symbolique, il n’est pas certain qu’il ait un réel impact. Deux semaines après
sa création, la mobilisation ne faiblit toujours pas.
La mesure du ministère libanais
du Travail visant à lutter contre le travail illégal cible en fait
principalement les réfugiés syriens. Mais elle a aussi un impact sur les
Palestiniens. Depuis le début de la guerre en Syrie, environ un million de
réfugiés syriens ont trouvé refuge au Liban. Comment l’arrivée des Syriens
a-t-elle affectée les Palestiniens déjà présents dans le pays ?
L’arrivée
des Syriens a participé à la marginalisation et l’appauvrissement des
Palestiniens. Les financements associatifs et internationaux grâce auxquels les
Palestiniens vivaient depuis des années ont été en partie consacrés aux
Syriens. Les réfugiés palestiniens déplacés de Syrie ont été renvoyés vers
l’UNRWA (1), qui n’a plus été en mesure de subvenir aux besoins des Palestiniens
installés au Liban. Par ailleurs, de nombreux logements ont été loués en
priorité à des Syriens, au détriment des Palestiniens et la main d’oeuvre
syrienne est généralement plus appréciée car les Syriens acceptent des salaires
plus bas.
Les Palestiniens au Liban sont
principalement des descendants des réfugiés arrivés en 1948. Comment leur
situation a-t-elle évoluée au fil des années ?
Les
Palestiniens ont vécu l’exil en deux temps, en 1948 (Nakba) et en 1967 (Naqsa).
Mais la majorité des réfugiés palestiniens au Liban est arrivée en 1948. Durant
la Nakba (l’exode palestinien), une centaine de milliers de Palestiniens se
sont réfugiés dans le tout jeune Etat libanais (2). Ils étaient principalement
originaires de Galilée ou de la côte nord-ouest (Haïfa) de la Palestine
historique. A l’époque, les frontières étaient poreuses, les Libanais et les
Palestiniens se déplaçaient facilement d’un territoire à l’autre, ce qui a
facilité le déplacement des Palestiniens vers le territoire libanais.
A leur
arrivée, les Palestiniens ont été pris en charge par la Croix Rouge. L’UNRWA a
été créée en 1949 pour prendre le relais. Les réfugiés palestiniens ont été
répartis sur le territoire libanais en 14 camps. Seule une poignée d’entre eux
(les Palestiniens chrétiens et la classe aisée) a obtenu la nationalité
libanaise à leur arrivée dans le pays.
Le second
exode palestinien a eu lieu en 1967 (Naqsa) à l’issue de la guerre des six
jours. La plupart des réfugiés sont partis en Jordanie, l’Etat le plus proche.
C’est dans le Royaume hachémite que la première force armée palestinienne a vu
le jour. Deux ans plus tard, en 1969, suite aux pressions de l’OLP, un accord a
été signé au Caire pour donner aux Palestiniens le droit de gérer eux-mêmes
leurs camps au Liban.
Après les
événements de Septembre noir en Jordanie (1970-1971), la plupart des
combattants palestiniens ont été expulsés vers le Liban. A leur arrivée, l’Etat
libanais était déjà instable (3). Les divisions entre la bourgeoisie et les
paysans étaient déjà fortes. A cela, s’est ajoutée une crise confessionnelle,
mais aussi une profonde division entre panarabes et pro-américains. Ces
oppositions ont finalement éclaté avec la guerre civile libanaise (1975-1990).
Huit ans après le début du
conflit libanais, suite à l’invasion israélienne de 1982, l’Organisation de
Libération de la Palestine quitte Beyrouth. Quelles ont été les conséquences du
départ de l’OLP sur les réfugiés palestiniens qui sont restés au Liban ?
Le départ
de l’OLP en 1983 a entraîné une dégradation de la situation socio-économique
des Palestiniens au Liban. L’OLP leur rapportait de l’argent, elle les
employait dans les institutions, comme Samed, créé en 1970. A partir des années
1980, les principales ressources financières des réfugiés provenaient en grande
partie de l’étranger, car de nombreux Palestiniens ont fui le Liban après le
massacre de Sabra et Chatila (16-18 sept. 1982) et au moment de la guerre des
camps (mai 1985-février 1987). Les Palestiniens sont aussi parvenus à vivre
grâce au marché noir. Outre le commerce parallèle, certains avocats ou médecins
palestiniens travaillent alors clandestinement. Mais ils sont tout de même de
plus en plus marginalisés, et à partir des années 1980, la dégradation de leur
situation socio-économique ne fait qu’empirer. Les Palestiniens de la troisième
génération, née à la fin des années 1980, sont moins diplômés et gagnent moins
bien leur vie que leurs parents. Aujourd’hui, ces manifestations sont le
résultat d’années de marginalisation des Palestiniens au Liban.
Plus de 70 ans après l’arrivée
des premiers réfugiés palestiniens au Liban, qu’en est-il de leur intégration
dans la société libanaise ?
Les
Palestiniens restent aujourd’hui très marginalisés au Liban. Sur le terrain, de
nombreux Libanais travaillent avec les réfugiés sur des projets éducatifs et
culturels, pour favoriser les interactions entre Palestiniens et Libanais.
Cependant, il n’existe pas de volonté politique d’intégrer les Palestiniens. A
titre d’exemple, une loi a récemment été votée au Liban permettant aux femmes
libanaises de transmettre leur nationalité à leurs enfants. Mais pour des
raisons confessionnelles, cette loi exclut les femmes mariées à des Irakiens, à
des Syriens, et même à des Palestiniens.
Notes :
(1) Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient.
(2) Les Palestiniens constituent alors 10% de la population du Liban.
(3) CF révolution de 1956.
(1) Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient.
(2) Les Palestiniens constituent alors 10% de la population du Liban.
(3) CF révolution de 1956.
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