dimanche 21 novembre 2021

Εικονικότητα στο Ισλάμ. οι μινιατούρες

 

Les miniatures du Surname-ï Hümayun

Par Florence Somer
Publié le 19/11/2021 • modifié le 19/11/2021 • Durée de lecture : 7 minutes

https://www.lesclesdumoyenorient.com/Les-miniatures-du-Surname-i-Humayun.html

   

"Le vol du Simurgh de papier"




https://doi.org/10.26650/artsanat.2020.14.0001

Parmi les ateliers supportés par le mécénat des souverains orientaux de la fin de l’antiquité à l’époque moderne, ceux des miniaturistes ont eu pour vocation de transcender les émotions et les récits pour ornementer finement les manuscrits ou pour narrer les exploits de l’empereur ou de sa cour au travers de scènes volontairement invraisemblables et qui réunissent des sections temporelles distinctes en une même œuvre. Non que les miniaturistes ne connaissent les règles de la perspective, ils sont admirablement formés à l’art pictural dans son ensemble, mais ils s’interdisent de faire œuvre démiurge, seul apanage de Dieu. Comme la littérature des merveilles encense les créations divines étonnantes en décrivant des êtres incroyables ou des lieux à vocation magique surpassant nos connaissances visuelles et rationnelles, les miniatures magnifient le réel et la beauté du monde en résumant en une image le déroulé d’une histoire et sa raison d’avoir été. Les dessins ont également pour qualité de vanter tous les mérites et les accomplissements des souverains en vue de servir la postérité, conservés dans les archives royales, ou pour tenir lieu de cadeaux diplomatiques entre les puissances, assurant la volonté pérenne de l’empire et des liens politiques qui unissent deux pouvoirs égaux qui font vœux de ne pas se déclarer la guerre.

Transmission et développement des techniques

Comme bon nombre de savoirs académiques ou manuels, l’art des miniatures a transité par la route de la Soie et les récits des voyageurs ou des diplomates. Les œuvres sortant des grands ateliers de miniaturistes iraniens - parmi lesquels celui de Behzād (env. 1450-1535), le maître renommé - ont été suivis puis réinventés par les deux puissances concomitantes à l’Empire safavide : les Moghols et les Ottomans. Si les miniatures indiennes se sont diffusées à travers les siècles et les espaces géographiques comme la miniature iranienne et sont relativement connues, la miniature ottomane, quant à elle, reste plus discrète sur la scène internationale et apparaît encore de prime abord comme une pâle copie des œuvres iraniennes pour les néophytes. Pourtant, rien n’est moins vrai. Certes, la peinture iranienne reste le berceau de la théorisation des concepts religieux et des grandes lignes conceptrices de la miniature en général mais les miniatures ottomanes se distinguent de cet art aux impératifs religieux plus rigoureux et au caractère presqu’exclusivement mythologique et onirique qui affectionne les scènes épiques et légendaires ainsi que les couleurs vives ou la légèreté des contours. L’art de la miniature ottomane, au contraire, préfère les portraits contemporains ou les chroniques des évènements actuels. Les jeux d’ombres et de lumière qui construisent le relief des scènes peintes s’accordent également à certains aspects de l’art italien vénitien du Quattrocento, puis aux styles de la Renaissance ainsi qu’à certains motifs hérités d’Asie centrale.

Initié à la culture grecque, arabe, persane, hébraïque et italienne, Mehmet II (1432-1481), en conquérant Constantinople, active un réseau diplomatique digne de sa curiosité intellectuelle et fait advenir à sa cour un grand nombre de peintres et d’artistes d’Orient et d’Occident. Pour inspirer l’art ottoman en devenir, il envoie à Venise celui qui deviendra le fondateur de l’école miniaturiste ottomane, Nakkaş Sinan Bey (15ème s.), afin d’y étudier l’art figuratif permettant l’innovation dans l’art et la création d’une tradition propre à cet empire entre l’Europe et l’Asie. La représentation du sultan Mehmed II dont le portrait en position assise, une rose à la main, est attribuée à Nakkaş Sinan Bey et Şiblizade Ahmet, est un exemple illustratif de cette transition artistique où le style italien se mêle à l’ottoman. La représentation des visages présentés au trois-quarts dans l’art iranien fait place à une perspective de profil plus réaliste, une acuité du trait qui sacrifie l’embellissement au profit d’une certaine rigueur réaliste. C’est également à cette époque que le peintre Siyah Kalem [1] produit ses illustrations de la vie des nomades des steppes centrale avec un style jamais entrevu auparavant.

L’âge d’or de la miniature ottomane advient à la cour des sultans ottomans Süleyman le Magnifique (1520-1566), Selim II (1566-1574) et Murad III (1574-1595), fervent mécène et amateur de sciences, notamment d’astronomie et d’astrologie. L’atelier impérial est alors dirigé par le maître Osman à qui est attribué un certain nombre d’illustrations prestigieuses qui ornent encore les collections (malheureusement difficiles d’accès), du palais de Topkapi, dont notamment les Şehname dont la forme initiale persane sert de modèle pour narrer les exploits du sultan et de la cour, et à laquelle s’ajoute un fond historique réel. Ces ouvrages, en vers et souvent rédigés en persan, sont prisés par Süleyman et Selim II. Sous le règne de Süleyman apparaît un nouveau personnage : le Şehnameci ou historien de la cour, chargé d’écrire et de répertorier avec le plus de précision possible tous les évènements importants apparus pendant le règne du sultan. La miniature ottomane a hérité de cette volonté de détails dans la composition de ces œuvres qui se veulent le reflet du déroulement historique.

Parmi la multitude de manuscrits déposé au Palais de Topkapı, le Surname de Mourad III est à la fois un chef d’œuvre artistique et un témoignage historique qui décrit en quatre cent vingt-sept peintures (originellement 500 miniatures), les cérémonies célébrant, pendant 52 jours, la circoncision du fils de Murad III, Mehmed. La notoriété du Surname a largement dépassé les frontières ottomanes pour constituer un genre en soi durant le XVIème siècle en Europe ; les chroniques parlent tour à tour du Surname-i Hümayun (Livre de la procession impériale), Murad Surnamesi (le livre de la procession de Murad) ; des témoins de ces processions tels que Löwenclaw (Johannes Leunclavius - 1533/1541 - 1594) les décrivent avec une patiente minutie, ce qui prouve que les miniaturistes ont dû opérer un choix parmi les présentations réelles pour fournir ce manuscrit.

Le livre de la procession impériale

Cet ouvrage est une démonstration de l’entrelacement nécessaire de l’art pictural et de la politique, de la glorification de l’un par l’autre en rendant visible dans une série de fresques grandioses, le faste et les détails de la vie de cour et des guildes entourant le sultan. La procession (turc : sur) est le thème central de ce manuscrit réalisé pour immortaliser un évènement important. En dehors de son aspect esthétique, le Surname offre un témoignage historique précieux et précis des processions qui se sont tenues sur la place du Atmeydanı (litt. « la place du cheval », du grec « hippodromos ») devant le palais du grand vizir, Ibrahim Paşa, en 1592 et de la manière dont elles ont été représentées par les artistes spectateurs. Le choix de ce décor répétitif de l’Atmeydanı n’est pas anodin ; la structure originelle érigée en 203 sous le règne de Septimus Severus puis élargie sous Constantin premier était dédiée aux courses de char et de chevaux, aux combats de gladiateurs, aux jeux et à tout ce qui pouvait amuser l’empereur et la population de la cité. Bien qu’une large partie de cet hippodrome soit tombée en ruine, certaines parties ont résisté au temps et parmi elles, la place de la procession décrite dans le Surname où se trouve l’obélisque que Théodose premier a fait apporter d’Egypte et rebâtir en 370. La colonne qui se trouvait initialement sur le parvis du temple dédié à Thutmosis III (1549-1503 a.c.n.) à Karnak est généralement représentée dans les miniatures en diptyque sur l’image de droite, dans le côté inférieur gauche de celle-ci. Quelques illustrations représentent les hiéroglyphes ornant la colonne de manière inégale et fantaisiste, preuve que cette langue, attribuée par certains à un savoir secret et magique, était inconnue des lettrés de l’époque. Outre l’organisation des jeux, cette place se voulait être un point central et significatif de la ville à forte consonance politique où se déroulaient les confrontations entre le pouvoir et le peuple.

Istanbul au XVIème siècle

Au-delà de son intérêt pour l’histoire de la miniature ottomane, le Surname-i Hümayun constitue une fenêtre permettant d’appréhender la vie sociale, économique et culturelle de l’époque.

L’organisation d’un tel évènement a nécessité un an de préparation durant lequel les cuisiniers royaux, les artisans vaisseliers et leurs ateliers ont mis en place un service permettant d’honorer les invités prestigieux au nombre desquels se trouvaient les dirigeants du monde musulman de l’Arabie à l’Inde mais aussi le tsar de Russie, le roi de France, l’empereur d’Autriche, les souverains de Pologne, Transylvanie, Moldavie ou les sénateurs vénitiens ou siciliens. La mise en place de somptueux décors et de loges confortables a mobilisé les architectes et ouvriers en nombre et les guildes invitées à se produire ont répété longuement le passage qu’ils effectueraient devant le sultan et ses invités. Le Surname donne un aperçu exhaustif de la vie sociale et des artisans, rassemblés en guilde, qui sont apparus munis de leurs instruments de travail et quelques réalisations. Les artistes chargés d’amuser la cour - acrobates, conjurateurs, danseurs, musiciens, pyrotechniciens ou jongleurs - se suivent au long des pages et des miniatures dont l’ordre suit le protocole et les rangs attribués aux participants.

Avant leur arrivée sur le site de l’hippodrome, le Sultan et le prince sont entourés des dignitaires de la cour, des hauts officiels militaires, d’une procession de gardes armés et de guerriers prêts à se mutiler avec des lances. Le sultan distribue des pièces d’or à la foule et de magnifiques tapis sont déroulés sous les pieds des chevaux. Alors que le Sultan et son fils sont installés, c’est au tour des hauts dignitaires religieux, les Seyyids, d’arriver en ordre hiérarchique. Suivent alors les musiciens, joueurs de şehr-udneyzilli defcenktanbur, lute, accompagnés de danseurs qui annoncent la disposition des plats et le repas pour la foule. Les journées de processions voient s’annoncer les verriers, les fleuristes, les cavaliers, les tisserands, les brodeurs, les charmeurs de serpent, les miroitiers, les bergers et leurs troupeaux, les boulangers, les lutteurs et tout ce qu’Istanbul compte de confréries d’artistes et d’artisans. Tout ne se passe pas toujours au mieux et des incidents surviennent lors de ces démonstrations, relatés par les observateurs et les miniaturistes, dont la mésaventure d’un cerf-volant, en forme de Simurgh, l’oiseau mythique d’origine iranienne, qui s’est lamentablement écrasé sur le toit d’une loge, donnant l’air d’un poulet déplumé plutôt qu’un majestueux oiseau. La suite de procession se clos finalement par le départ du prince convalescent.

L’héritage de Murad III

Cet ouvrage exceptionnel est un apax dans l’histoire de l’art ottoman, ce qui démontre l’habilité des miniaturistes dirigés par Osman à créer un genre nouveau qui servira de modèle aux productions des ateliers de calligraphie du palais ainsi qu’à d’autres artistes lors de nouvelles commandes du sultan, notamment dans le cas du Hünername (livre de geste relatant l’histoire des sultans ottomans) présenté à Murad III en 1520 ou celui du Şehinşahname de Murad III achevé en 1592 et qui illustre les moments importants de son règne.

L’art ottoman déclinera ensuite entre le milieu du XVIIème siècle et le début du XVIIIème, laissant sa place à un art proprement étranger ou d’une inspiration romantique issue des perceptions philosophiques occidentales. Néanmoins, subsisteront les annales du sultan Murad III, poète et calligraphe, versé dans le persan et l’arabe comme dans le mysticisme et qui, à défaut d’avoir été un dirigeant remarquable, a doté l’art ottoman de livres de miniatures d’une inspirante beauté.

Quelques liens :
N. Atasoy, Osman (Nakkaş), A.Üçok, A., B.Taşkın, 1582 Surname-i Hümayun:An Imperial Celebration, Koçbank, (1997),136 p.
S. Bağci : “From Translated Word to Translated Image : The Illustrated Şehnâme-i Türkî Copies,” Muqarnas, xvii (2000), pp. 162-76
T. Batuhan, “Materiality of Mehmet II Smelling A Rose Based on Gentile Bellini’s Painting with Cultural Perspective”.
Art-Sanat 0/14 (Nov. 2021) : pp. 1-16. https://doi.org/10.26650/artsanat.2020.14.0001

·        Empire ottoman

·        Histoire

·        Culture

Publié le 19/11/2021

   


FLORENCE SOMER

Diplômée de Master en Sciences des Religions à l’Université Libre de Bruxelles (2015), Florence Somer Gavage a préalablement travaillé pendant 8 ans en tant que journaliste professionnelle dont trois ans pour la chaîne de télévision Kahkeshan TV où elle a produit des documentaires culturels en persan. Cette activité lui a également permis de voyager en Afghanistan ainsi qu’en Iran. Elle a également réalisé des reportages au Moyen-Orient (Irak, Jordanie, Égypte), en Afrique du Nord (Maroc, Algérie, Tunisie), en Asie et en Amérique du Sud.

Elle est actuellement doctorante à l’Ecole Pratique des Hautes Etudes (Paris). Sa thèse vise à proposer une édition d’un texte inédit, les Ahkām ī Jāmāsp (« Décrets de Jâmâsp ») sur base de manuscrits persans et arabes qui n’ont, à ce jour pas été rassemblés ni systématiquement étudiés.

Voir toutes ses publications 


Notes

[1Personnage principal du livre de Yasmine Ghata : « le calame noir », auquel nous avons consacré un article précédemment.

 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire