EXPOSITION « ROYAUMES
OUBLIÉS » AU MUSÉE DU LOUVRE, JUSQU’AU 12 AOÛT 2019
ARTICLE PUBLIÉ LE 16/05/2019
Compte rendu de Claire Pilidjian
L’exposition actuellement présentée au musée du Louvre
plonge les visiteurs au cœur des « royaumes oubliés » que sont les
royaumes hittites et araméens. Méconnus du grand public, les Hittites
s’implantent en Anatolie vers le IIIe millénaire avant Jésus-Christ et étendent
peu à peu leur influence dans la région, jusqu’à devenir la grande puissance
rivale de l’Égypte antique. Sur les vestiges de cet empire, effondré vers 1200
avant Jésus-Christ, naissent les royaumes dits néo-hittites et araméens, sur
les territoires de la Turquie et de la Syrie actuelles. Découvertes au début du
XXe siècle, les ruines des sites majeurs de ces royaumes oubliés sont exposées
en partie au musée du Louvres jusqu’au 12 août 2019. La muséographie efficace
de l’exposition fait office de cours d’histoire en images pour le visiteur,
mais constitue surtout une formidable leçon sur la double persistance et
fragilité du fait patrimonial.
Au cœur des royaumes oubliés
Les Hittites n’ont pas formé un seul
royaume unifié au cours de leur développement en Anatolie, où ils s’installent
vers 2 000 av. J.-C. Ils prennent la place du peuple Hatti, dont la
présence dans la région date probablement de 2 500 av. J.-C. et dont la
civilisation prend progressivement fin avec l’ascension du royaume hittite. Ce
dernier commence à représenter une puissance régionale en 1 650, sous le
règne de Hattusili Ier, qui unifie les différentes cités-États qui prospéraient
jusque-là. Hattusili Ier établit la capitale du royaume hittite à Hattusa, dont
les ruines ont été retrouvés à Bogâzköy, en Anatolie centrale. L’apogée de ce
premier royaume est marquée par la destruction de Babylone, en 1595, sous
Mursili Ier, avant que la puissance des Hittites ne s’étiole peu à peu sous le
fait de l’instabilité politique.
Un nouveau royaume hittite voit le jour en
1 450 av. J.-C. Les rois Suppiluliuma Ier, Mursili II, Hattusili III et
Tudhaliya IV en sont les souverains les plus remarquables. Ils s’illustrent
notamment par le développement d’un art hittite qui mélange les différentes
influences de la région, mais aussi par la conquête de nouveaux territoires
dans le nord de la Syrie actuelle.
Ce royaume s’effondre brutalement, vers
1 200 av. J.-C. Les raisons en sont mal connues, mais les royaumes de
l’Âge de Bronze récent subissent alors les invasions des Peuples de la mer. Ces
populations issues de l’ouest et de la mer Égée s’installent au Levant en
semant confusion et destruction au sein des royaumes établis. Les Pelesets
(Philistins) en font partie.
L’exposition éclaire un fait important de
l’histoire du nouveau royaume hittite : ses relations diplomatiques avec
l’Empire égyptien. Entamées sous le règne de Thoutmosis III (environ
1 479-1 425 av. J.-C.), ces relations ne sont pas toujours
paisibles ; les conquêtes territoriales des Hittites sont notamment au
centre de tensions avec les Égyptiens. Un incident diplomatique exacerbe le
conflit : la veuve de Toutankhamon souhaite se remarier avec un prince
hittite, car ce royaume seul lui semble assez digne pour lui envoyer un époux
de renom. Mais le prince Zannanza, dépêché par le roi Suppiluliuma Ier, est
assassiné en chemin. Alors que le mariage devait permettre de prévenir un
éventuel conflit, l’incident renforce les tensions. Ces dernières connaissent
leur paroxysme en 1 275, lorsque la bataille de Qadesh oppose le Hatti
contre les troupes égyptiennes. Le traité de paix de 1 258 met néanmoins
un terme aux affrontements entre les deux puissances.
Une pièce insolite de la première salle de
l’exposition illustre l’apaisement des relations entre souverains hittites et
pharaons égyptiens : il s’agit d’une lettre concluant l’alliance
matrimoniale entre la fille de Hattusili III (1 265 à 1 238) et de
Ramsès II. Ce mariage fut célébré pendant la trente-quatrième année de règne du
pharaon.
Différents systèmes d’écriture et de
langue sont utilisés par les Hittites. Les hiéroglyphes louvites (du nom du
peuple qui aurait invité cette forme d’écriture, ces hiéroglyphes ne sont pas
les mêmes que ceux employés en Égypte) couvrent ainsi les monuments et les
sites importants du royaume, tandis que l’on retrouve une écriture cunéiforme
empruntée au monde syro-mésopotamien sur les tablettes d’argile.
Après la chute du royaume hittite, les
royaumes néo-hittites et araméens s’étendent dans toute l’Anatolie ainsi qu’au
nord de la Syrie. On estime que les Araméens étaient déjà présents dans la
région, mais constituaient jusque-là des peuples nomades vivant en marge des
populations sédentaires, comme les Assyriens. Au cours du Ier millénaire av.
J.-C., ils s’implantent sous forme de divers petits royaumes et gagnent peu à
peu en puissance. Leur langue et leur culture sont d’abord très empreintes de
celles des peuples de la région : l’araméen, langue sémitique proche de
l’hébreu, n’est adopté que progressivement et remplace alors le louvite, le
phénicien et l’assyrien qui prévalaient jusque lors.
L’un des plus importants royaumes araméens
est Bit-Bahiani et a pour capitale Guzana, renommée par la suite Tell Halaf.
Cette ville, fondée vers le 11e siècle av. J.-C. et située près de l’actuelle
frontière turco-syrienne, se distingue notamment par sa citadelle, qui comporte
un palais ainsi qu’un temple aux décors d’une extraordinaire richesse
iconographique, d’influence hittite, syro-anatolienne, mésopotamienne et assyrienne.
Les royaumes néo-hittites et araméens
doivent composer avec leurs puissants voisins : l’Assyrie, mais aussi
l’Urartu - un grand royaume situé sur le territoire de l’Arménie actuelle -et
les cités phéniciennes. Les Assyriens conquièrent un à un les États
néo-hittites et araméens et les intègrent dans leur empire.
Des fouilles à la mise en scène muséographique
La recherche sur les Hittites est
relativement récente. Ce n’est qu’au milieu du XIXe siècle que Charles Texier
et William John Hamilton découvrent les premières ruines de ces royaumes, sans
se douter alors qu’il s’agit de sites hittites. C’est que les Hittites ne sont
alors connus que par les rares mentions qu’en fait la Bible. Sur l’hypothèse du
philologue britannique Archibald Sayce et de l’archéologue français Georges
Perrot, les vestiges découverts à Bogâzköy sont identifiés comme des sites
hittites. Quelques décennies plus tard, sous l’impulsion de l’allemand Hugo
Winckler, « l’hittitologie » prend son essor.
La première salle de l’exposition est
consacrée au patrimoine de l’ancien et du nouveau royaume hittite. On y
découvre une série de vases zoomorphiques, des stèles ainsi que des moulages de
reliefs issus du site de Fraktın sur lesquels sont représentées des scènes
religieuses et politiques. Les pièces exposées sont présentées selon leur site
d’origine, ce qui permet au visiteur d’en apprendre davantage sur les
différents territoires conquis par les Hittites. Il en est ainsi de Karkemish,
située au nord de la Syrie, conquise sous Suppiluliuma Ier vers 1 350 av.
J.-C. et relai majeur du pouvoir hittite, au même titre qu’Alep. A la chute du
royaume hittite, Karkemish devient l’une des plus puissantes entités politiques
de la région. Ses souverains descendent du roi Suppiluliuma Ier, qui y avait
installé son fils comme gouverneur lors de son règne. Une nouvelle dynastie les
remplace à l’aube du premier millénaire av. J.-C. et lance un programme de
rénovation des monuments. La suite de l’exposition présente certains vestiges
des monuments de Karkemish, à l’instar des nombreux orthostates du « Long
Wall of Sculpture », le mur oriental de l’imposant temple du dieu de
l’orage, l’une des principales divinités hittites. On y voit également la
statue du roi Katuwa, souverain issu de la nouvelle dynastie. Comme les dieux
généralement représentés sur le dos de leurs animaux attributs, Katuwa figure
debout sur deux lions.
Stèles, sculptures et reliefs des vestiges
des différents royaumes araméens et néo-hittites sont exposés : Hamath,
Tuwana, Sam’al, Bit-Adini ou encore Gurgum. On y retrouve souvent l’influence
de la culture hittite, avec par exemple la présence de lions et de sphinx
généralement monumentaux. Ces animaux servent de gardiens des palais et des
temples. C’est le cas des reliefs de la porte des Lions, issue du royaume
néo-hittite de Malizi (ou Melid). Datée du VIIIe siècle av. J.-C., la porte des
Lions comporte cependant des reliefs des XII et XIe siècles réemployés pour la
décorer.
La fin de l’exposition est consacrée aux
découvertes du baron Max von Oppenheim, correspondant politique allemand
installé au Caire. En 1899, il organise un voyage d’étude au nord de la Syrie
actuelle, à la recherche du site de Tell Halaf, où des statues monumentales
d’animaux venaient d’être exhumées. En 1911, von Oppenheim lance les fouilles
et découvre les vestiges d’une ville araméenne datée du Xe siècle av. J.-C.
Mais les transformations politiques de la région - devenue mandat français
après la Première Guerre mondiale - compliquent son travail. Ainsi, il faut
attendre 1927 pour que les sculptures découvertes soient acheminées jusqu’à
Berlin. Ravagées par un incendie provoqué par une bombe au phosphore durant la
Seconde Guerre mondiale, les statues sont en grande partie détruites. Leurs
fragments sont conservés au Pergamonmuseum de Berlin. Au début des années 2000,
un travail de recomposition est entrepris pour tenter de restaurer près d’une
centaine de sculptures à partir des 27 000 fragments. Elles sont
aujourd’hui présentes dans les collections permanentes du musée. Plusieurs
d’entre elles ont été transportées au Louvre pour l’exposition : une
statue d’homme oiseau-scorpion, qui semble tout droit issu de l’épopée de
Gilgamesh, un dieu barbu dont l’apparence semble inspirée de l’art assyrien, un
sphinx, un lion, ou encore l’un des deux imposants griffons qui gardaient
l’entrée du palais. Une vidéo permet également au visiteur de se replonger dans
le palais tel qu’il devait apparaître à l’époque grâce à une modélisation 3D.
Enfin, une magnifique collection de pièces
en ivoire issues du site d’Arslan Tash est exposée dans la dernière salle. Ce
site, localisé en Syrie du Nord, est la capitale provinciale de l’Assyrie entre
le IX et le VIIIe siècles av. J.-C. Il s’agissait probablement autrefois d’une
ville du royaume araméen de Bit-Adini. Dans le « bâtiment aux
ivoires » fut retrouvé un exceptionnel corpus de plaques en ivoire. Travaillé
dans le Levant dès le néolithique, l’ivoire est au centre des traditions
artistiques du premier millénaire av. J.-C., au point que cette période est
parfois qualifiée « d’Age d’ivoire. » Les pièces en ivoire étaient
notamment utilisées pour décorer le mobilier des palais.
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