dimanche 13 décembre 2020

Για το δράμα της Κύπρου, σε λίγο θα είναι 50 χρόνια...

Partition de l’île de Chypre : histoire d’une pierre d’achoppement diplomatique vieille de plus d’un demi-siècle (1/4). Historique de l’enjeu géopolitique de Chypre, de 1571 à 1960

Για το διαμελισμό της Κύπρου και το γεωπολιτικό παιχνίδι της περιοχής, πέντε αιώνες παιχνίδι στην πλάτη των ανθρώπων, και σχεδόν πενήντα χρόνια χωρισμένη στα δύο.

ΔΕΝ ΠΡΈΠΕΙ ΝΑ ΞΕΧΝΆΜΕ, γιατί πρέπει να έχουμε μάτια ανοιχτά.

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Μελέτη σε 4 τμήματα:

Par Emile Bouvier

Cypriot President Archbishop Makarios III (left) meets with Greek Prime Minister George Papandreou © and General George Grivas ®, the EOKA (National Organisation of Cypriot Fighters) leader who spearheaded Cyprus fight for independance, in Athens on March 13, 1964. Makarios is meeting with Papandreou and Grivas to discuss the situation in Cyprus, the day after the funeral of the late King Paul. In 1964 Greek government of George Papandreou send Greek military division to Cyprus to assist in the island’s defence against a possible Turkish attack and George Grivas takes over the Supreme Command of the Greek Cypriot forces organised under the National Guard.

Α’ μέρος

Les tensions diplomatiques, militaires et économiques ayant actuellement cours en Méditerranée orientale rappellent le statut très particulier de Chypre dans l’échiquier proche-oriental et la pierre d’achoppement que cette île d’un peu plus d’un million d’habitants représente dans les relations entre la Turquie et ses voisins européens, au premier rang desquels la Grèce.

De fait, l’île est aujourd’hui partagée entre deux entités nationales : les deux tiers méridionaux sont contrôlés par la République de Chypre, née le 16 août 1960 après avoir obtenu son indépendance de la Grande-Bretagne, tandis que le tiers nord est quant à lui contrôlé par la République turque de Chypre du Nord, créée à la suite de l’intervention militaire turque sur l’île en 1974 ; elle ne proclamera réellement son indépendance que le 15 novembre 1983, au grand dam des Nations unies qui condamneront cette proclamation d’indépendance et la considéreront juridiquement nulle, à travers l’adoption de la résolution 541 [1] du 18 novembre 1983 [2]. La Turquie est, de fait, le seul pays à reconnaître la République turque de Chypre du Nord, aujourd’hui encore [3].

La partition de l’île en deux entités juridiques fait aujourd’hui encore débat, et encore plus depuis la découverte, ces dernières années, d’importants gisements gaziers dans les eaux du bassin Levantin et de la Méditerranée orientale. La Turquie mise en effet sur l’existence supposée d’eaux territoriales turques-chypriotes qu’elle est la seule à reconnaître afin d’y conduire des missions de forage exploratoires visant à déterminer les ressources que recèlent les fonds sous-marins. Chypre, qui ne reconnaît pas son voisin au nord de l’île, considère quant à elle ces missions exploratoires comme des violations de ses eaux territoriales et donc de sa souveraineté, attirant à elle une vaste coalition opposée à la Turquie où la Grèce figure en bonne place, aux côtés d’alliés plus inattendus tels que l’Egypte, Israël ou encore la France, qui a déployé le 13 août un bâtiment de la Marine nationale et deux avions de combat dans la zone [4].

Des pourparlers diplomatiques autour de la partition de Chypre sont régulièrement organisés mais échouent à une fréquence égale [5] ; si plusieurs plans ont été proposés par l’ONU, l’Union européenne ou encore la Turquie, la question chypriote apparaît souvent sacrifiée face aux enjeux géopolitiques plus larges et jugés plus pressants dans l’agenda des différents pays concernés (crise des migrants, guerre en Syrie, découverte de gisements gaziers en Méditerranée orientale, etc.).

Cet article ambitionne donc de retracer la genèse de cette partition et, partant, de la pierre d’achoppement permanente que Chypre semble représenter dans les relations entre la Turquie et ses voisins. Une première partie sera ainsi consacrée à un historique de l’enjeu géopolitique représenté par Chypre, de 1571 (date de la conquête de l’île par les Ottomans) jusqu’en 1960, où l’île obtient son indépendance. La deuxième partie se consacrera aux événements conduisant de l’indépendance en 1930 jusqu’à l’invasion turque en 1974, à travers le spectre, notamment, d’une partition silencieuse, officieuse mais progressive de l’île. La troisième partie portera sur les opérations militaires de la Turquie à Chypre et l’article se terminera par une quatrième partie dressant un état des lieux des négociations portant sur la situation de l’île de Chypre et des nombreux différends.

1. Chypre, une monnaie d’échange diplomatique

En 1571, l’île de Chypre, majoritairement peuplée de Grecs, est conquise par l’Empire ottoman à la suite de la guerre vénéto-ottomane (1570-1573). Après 300 ans de règne ottoman, l’île et sa population sont « prêtées » à la Grande-Bretagne à l’occasion de la signature de la Convention de Chypre (4 juin 1878), un accord secret contracté entre les Ottomans et les Britanniques prévoyant le soutien de Londres à Constantinople lors du Congrès de Berlin (13 juin-13 juillet 1878) [6], une conférence diplomatique au cours de laquelle les grandes puissances de l’époque devaient s’accorder sur le découpage territorial des Balkans à la suite de la guerre russo-ottomane de 1877-1878.

Londres annexe toutefois totalement Chypre le 5 novembre 1914 en réaction à l’entrée en guerre de l’Empire ottoman contre les Alliés durant la Première Guerre mondiale. L’article 20 du traité de Lausanne (24 juillet 1923) signe l’acquisition pleine et définitive de l’île de Chypre par l’Empire britannique au détriment de la Turquie ; l’article 21 du traité laisse quant à lui le choix aux Turcs résidant sur l’île de Chypre de partir dans un délai de deux ans ou de rester et devenir, de fait, des citoyens de l’Empire britannique [7].

Au lendemain de la Première Guerre mondiale, la population chypriote est composée de Grecs et de Turcs en parts relativement égales qui s’identifient tous à leur pays d’appartenance respectif ; toutefois, sujets britanniques depuis maintenant une cinquantaine d’années, les deux communautés apparaissent plus éduquées et moins nationalistes que leurs consœurs en Europe et en Asie mineure ; à de rares exceptions, Turcs et Grecs chypriotes cohabitent ainsi en paix sur l’île.

Au début des années 1950 toutefois, un groupe nationaliste grec nommé « Organisation nationale des combattants chypriotes » (EOKA) est fondé en Grèce par un ancien officier hellène, Georgios Grivas, vétéran des deux guerres mondiales et responsable d’une cellule de résistance communiste en Grèce durant l’occupation du pays par les puissances de l’Axe [8]. Son but est de provoquer - et forcer - le départ des Britanniques de l’île de Chypre dans un premier temps puis, dans un second temps, de réintégrer l’île au giron grec : ce rêve d’une fusion de Chypre et de la Grèce portera un nom, celui de « l’Enosis » (« union » en grec) [9].

Les premières réunions secrètes de l’EOKA sont organisées le 2 juillet 1952 à Athènes sous l’égide de l’archevêque Makarios III [10], futur Président de Chypre de 1960 à 1974. A la suite de ces discussions, un « Conseil de la révolution » est établi le 7 mars 1953 ; début 1954, des convois clandestins d’armes et de munitions sont organisés avec l’aval du gouvernement grec vers l’île de Chypre afin de préparer l’insurrection. Georgios Grivas débarque secrètement sur l’île le 9 novembre 1954 [11] et commence les préparatifs pour la campagne de guérilla qu’il s’apprête à mener contre la présence britannique.

2. Début des hostilités

Les hostilités commencent le 19 juin 1955 par l’attaque de plusieurs postes de police à Nicosie et Kyrenia [12]. L’EOKA s’en prend également à des Chypriotes grecs de gauche opposés à l’Enosis. Après le pogrom d’Istanbul du 6-7 septembre 1955 [13], l’EOKA s’en prendra également à plusieurs citoyens et intérêts turcs sur l’île durant plusieurs jours [14].

En 1956, l’EOKA intensifie ses opérations contre les autorités britanniques. Ces dernières recrutent, en réaction, un nombre croissant de Turcs au sein des forces de police afin de lutter contre les Grecs chypriotes soutenant l’EOKA. Toutefois, soucieux de ne pas ouvrir un second front contre les Turcs chypriotes en plus de celui, majeur, qui les oppose aux Britanniques, l’EOKA émet des consignes claires visant à éviter les attaques contre les Turcs chypriotes [15].

Ce paradigme change toutefois en janvier 1957 : bouleversant ses tactiques, l’EOKA choisit de cibler et de tuer délibérément des policiers turcs afin de provoquer à Nicosie des émeutes de Turcs chypriotes révoltés contre ces attentats commis par des Grecs [16]. Laissant Londres concentrée sur ces émeutes, ces dernières offrent une diversion de choix à l’EOKA qui tire profit de ce répit afin de consolider ses positions, essentiellement dans les montagnes, et réarticuler son dispositif sur l’île. Les attentats de l’EOKA et les émeutes de Nicosie, au cours desquelles un Grec chypriote est tué, cristallisent les tensions entre communautés turques et grecques.

En réaction à l’EOKA et aux hostilités croissantes entre Grecs et Turcs chypriotes, une frange de ces derniers créé, avec le soutien d’Ankara, l’Organisation turque de résistance (TMT) le 15 novembre 1957 [17]. Dès sa création, la TMT obtient un soutien notable de la population turque chypriote car cette dernière perçoit en l’EOKA une menace littéralement existentielle, se rappelant de l’exode général des Turcs de Crète après la réunification de cette île avec la Grèce le 10 août 1913 (traité de Bucarest) [18]. Armée par Ankara, la TMT s’en prend rapidement à l’EOKA et à ses soutiens grecs sur l’île de Chypre.

Le 12 juin 1958, huit Grecs chypriotes du village de Kondemenos, arrêtés par la police britannique au titre de leur appartenance à un groupe armé suspecté de préparer une attaque contre le quartier turc chypriote de Skylloura, sont tués par la TMT près du village de Gönyeli, majoritairement peuplé de Turcs chypriotes, après que les policiers britanniques les y ai laissés, provoquant un tollé au sein de la population grecque de l’île [19]. La TMT détruit par ailleurs à l’explosif les locaux du bureau de presse turc à Nicosie le 7 juin 1958 afin de faire attribuer cet attentat aux Grecs chypriotes et mobiliser davantage les Turcs. Plusieurs Turcs chypriotes partisans d’une indépendance pleine et entière de l’île sont par ailleurs assassinés par les miliciens turcs [20].

Le 19 février 1959, la Turquie, la Grèce, la Grande-Bretagne et les responsables des communautés turques et grecques chypriotes se réunissent à Lancaster House, à Londres, afin de discuter d’une potentielle indépendance de l’île de Chypre [21]. Celle-ci sera finalement acceptée par les différentes parties présentes et officialisée à Zürich, donnant ainsi naissance aux « accords de Londres-Zürich » [22]. L’indépendance de Chypre devient effective le 16 août 1960.

Lire la partie 2

Bibliographie :
- Hill, George. A history of Cyprus. Vol. 3. Cambridge University Press, 2010.
- Hatzivassiliou, Evanthis. "The Lausanne Treaty Minorities in Greece and Turkey and the Cyprus Question, 1954-9." Balkan Studies 32, no. 1 (1991) : 145-161.
- Byford-Jones, Wilfred. Grivas and the story of EOKA. R. Hale, 1959.
- Mayes, Stanley. "Enosis and Only Enosis." In Makarios, pp. 41-61. Palgrave Macmillan, London, 1981.
- Grivas, George, and Geōrgios Grivas. Guerrilla warfare and EOKA’s struggle : A politico-military study. [London] : Longmans, 1964.
- Anderson, David M. "Policing and communal conflict : the Cyprus Emergency, 1954–60." The Journal of Imperial and Commonwealth History 21, no. 3 (1993) : 177-207.
- Vryonis, Speros. The mechanism of catastrophe : the Turkish pogrom of September 6-7, 1955, and the destruction of the Greek community of Istanbul. Greekworks. Com Incorporated, 2005.
- Morag, Nadav. "Cyprus and the clash of Greek and Turkish nationalisms." Nationalism and Ethnic Politics 10, no. 4 (2004) : 595-624.
- Hocknell, Peteri, Vangelis Calotychos, and Yiannis Papadakis. "Introduction : Divided Nicosia." Journal of Mediterranean Studies 8, no. 2 (1998) : 147-168.
- YÜKSEL, Dilek YİĞİT. "Kıbrıs’ ta Yaşananlar ve Türk Mukavemet Teşkilatı (1957-1964)." Atatürk Araştırma Merkezi Dergisi 34, no. 98 (2018) : 311-376.
- Pollis, Adamantia. "Cyprus : Nationalism vs. Human Rights." Universal Hum. Rts. 1 (1979) : 89.
- Akgül, Mehmet Uğraş. "Türk Mukavemet Teşkilatı." Master’s thesis, Balıkesir Üniversitesi Sosyal Bilimler Enstitüsü, 2016.
- Holland, Robert. "Playing the Turkish card : British policy and Cyprus in the 1950s." Middle Eastern Studies 56, no. 5 (2020) : 759-770.
- Faustmann, Hubert. "Independence Postponed : Cyprus 1959-1960." The Cyprus Review 14, no. 2 (2002) : 99-119.
- Hatzivassiliou, Evanthis. "Cyprus at the Crossroads, 1959–63." European History Quarterly 35, no. 4 (2005) : 523-540.

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Publié le 27/08/2020

   


EMILE BOUVIER

Emile Bouvier est étudiant à l’Université Paris 1 – Panthéon-Sorbonne, où il prépare les concours de la fonction publique. Diplômé d’un Master 2 en Géopolitique, il a connu de nombreuses expériences au Ministères des Armées, notamment au Centre de planification et de conduite des opérations (CPCO), à l’Etat-major des Armées dans une cellule d’analyse géopolitique, ou encore en Mission de Défense (MdD) en Turquie. Son grand intérêt pour la Turquie et la question kurde l’ont amené à voyager à de nombreuses reprises dans la région et à travailler sur les problématiques turques et kurdes à de multiples occasions.

Voir toutes ses publications 


Notes

[1] Qui réaffirmait, elle-même, la résolution 365 du 13 décembre 1974 à la suite de l’invasion turque.

[2http://unscr.com/en/resolutions/541

[3https://www.diplomatie.gouv.fr/fr/dossiers-pays/chypre/presentation-de-chypre/

[4https://www.lemonde.fr/international/article/2020/08/13/tensions-entre-la-grece-et-la-turquie-la-france-envoie-deux-rafale-et-deux-batiments-de-la-marine-nationale_6048868_3210.html

[5https://www.aljazeera.com/news/2019/11/hails-frank-cyprus-talks-vows-seek-peace-effort-restart-191126052820206.html

[6] Hill, George. A history of Cyprus. Vol. 3. Cambridge University Press, 2010.

[7] Hatzivassiliou, Evanthis. "The Lausanne Treaty Minorities in Greece and Turkey and the Cyprus Question, 1954-9." Balkan Studies 32, no. 1 (1991) : 145-161.

[8] Byford-Jones, Wilfred. Grivas and the story of EOKA. R. Hale, 1959.

[9] Ibid.

[10] Mayes, Stanley. "Enosis and Only Enosis." In Makarios, pp. 41-61. Palgrave Macmillan, London, 1981.

[11] Grivas, George, and Geōrgios Grivas. Guerrilla warfare and EOKA’s struggle : A politico-military study. [London] : Longmans, 1964.

[12] Anderson, David M. "Policing and communal conflict : the Cyprus Emergency, 1954–60." The Journal of Imperial and Commonwealth History 21, no. 3 (1993) : 177-207.

[13] Le pogrom d’Istanbul de 1955 a consisté en l’attaque de Grecs et d’intérêts grecs à Istanbul par des nationalistes turcs soutenus officieusement par Ankara ; un nombre indéterminé de personnes, oscillant entre 13 et 30, trouvera la mort au cours de ce pogrom.

[14] Vryonis, Speros. The mechanism of catastrophe : the Turkish pogrom of September 6-7, 1955, and the destruction of the Greek community of Istanbul. Greekworks. Com Incorporated, 2005.

[15] Morag, Nadav. "Cyprus and the clash of Greek and Turkish nationalisms." Nationalism and Ethnic Politics 10, no. 4 (2004) : 595-624.

[16] Hocknell, Peteri, Vangelis Calotychos, and Yiannis Papadakis. "Introduction : Divided Nicosia." Journal of Mediterranean Studies 8, no. 2 (1998) : 147-168.

[17] YÜKSEL, Dilek YİĞİT. "Kıbrıs’ ta Yaşananlar ve Türk Mukavemet Teşkilatı (1957-1964)." Atatürk Araştırma Merkezi Dergisi 34, no. 98 (2018) : 311-376.

[18] Pollis, Adamantia. "Cyprus : Nationalism vs. Human Rights." Universal Hum. Rts. 1 (1979) : 89.

[19] Akgül, Mehmet Uğraş. "Türk Mukavemet Teşkilatı." Master’s thesis, Balıkesir Üniversitesi Sosyal Bilimler Enstitüsü, 2016.

[20] Holland, Robert. "Playing the Turkish card : British policy and Cyprus in the 1950s." Middle Eastern Studies 56, no. 5 (2020) : 759-770.

[21] Faustmann, Hubert. "Independence Postponed : Cyprus 1959-1960." The Cyprus Review 14, no. 2 (2002) : 99-119.

[22] Hatzivassiliou, Evanthis. "Cyprus at the Crossroads, 1959–63." European History Quarterly 35, no. 4 (2005) : 523-540.

β’ μέρος

Greek Prime Minister Constantin Karamanlis © meets Kissinger’s special envoy ®, and Taska, US Ambassador to Athens (L) in Athens on August 07, 1974. In July, 1974, after the fall of the military junta and a disastrous military venture in Cyprus, Constantin Karamanlis is recalled to Athens as prime minister of an emergency government. His party, New Democracy Party, wins a substantial majority in the legislative elections of November, 1974.

AFP


1. Une république en crise dès sa naissance

Les accords de Londres-Zürich créent une république chypriote dont la Constitution s’avère toutefois inadaptée : impraticable aux vu des enjeux identitaires inhérents aux particularités socio-ethniques de l’île, ce texte de loi ne vivra que trois ans, essentiellement en raison d’un clivage majeur entre Grecs et Turcs chypriotes : là où les premiers souhaitent « l’Enosis », c’est-à-dire l’unification avec la Grèce, les seconds lui préfèrent la « Taksim » (« division », en turc), c’est-à-dire une partition territoriale de l’île entre la Grèce et la Turquie [1].

Par ailleurs, les Grecs chypriotes expriment un ressentiment croissant envers le grand nombre de postes gouvernementaux attribués aux Turcs au vu de leur plus faible population comparé aux Grecs à Chypre. Selon la Constitution, 30% des postes administratifs devaient en effet être attribués aux Turcs [2], quand bien même ils ne représentaient que 18% de la population en 1960 [3]. Le poste de vice-président était, de surcroît, réservé aux Turcs ; compte-tenu du pouvoir de veto que le président et le vice-président détenaient, l’attribution de ce poste aux Turcs revêtait une dimension particulièrement irritante pour les Grecs [4].

En décembre 1963, après une fronde parlementaire menée par les députés turcs ayant bloqué le processus législatif chypriote [5], le Président de la république chypriote Makarios propose treize amendements constitutionnels consistant principalement à dépouiller les Turcs chypriotes d’un grand nombre de leurs protections en tant que minorité et d’ajuster notamment les quotas ethniques au sein du gouvernement, révoquant par la même occasion le veto du Président et de son adjoint [6].

Ces propositions de réforme constitutionnelle provoquent un scandale en raison de leur ressemblance avec plusieurs points du « plan Akritas » : frustrés par les blocages provoqués par les parlementaires turcs et convaincus que la Constitution chypriote empêche l’Enosis, tout en garantissant des droits disproportionnellement étendus à la communauté turque, plusieurs hommes politiques grecs chypriotes ont mis au point le « plan Akritas » ; ce document interne à l’EOKA consiste en un programme d’affaiblissement des Turcs chypriotes devant ouvrir la voie à une réunification de la Grèce avec Chypre. Afin de parvenir à sa fin, le plan Akritas prévoyait notamment une prise de pouvoir des Grecs par la force et l’établissement préalable d’une force paramilitaire dont la mission consisterait à mater violemment toute révolte turque cherchant à s’opposer au bon déroulement du plan [7].

Les amendements constitutionnels proposés par le Président chypriote sont, sans surprise, rejetés massivement par les parlementaires turcs tandis les ministres turcs quittent aussitôt le gouvernement. Quelques jours après, le 21 décembre 1963, les premiers affrontements intercommunautaires recommencent : deux Turcs chypriotes sont tués lors d’un incident impliquant la police grecque. La Turquie, la Grande-Bretagne et la Grèce, garants des accords de Londres-Zürich qui ont conduit à l’indépendance de Chypre, expriment alors leur souhait d’une intervention de l’OTAN sur l’île afin d’y ramener le calme [8].

Le Président chypriote Makarios et le Vice-président Küçük appellent à la paix et au dialogue, en vain. Tandis que les affrontements intercommunautaires s’intensifient, les contingents de l’armée turque basés à Chypre quittent leur base et s’emparent de la position la plus stratégique de l’île, située sur la route entre Nicosie et Kyrenia, veine jugulaire historique de l’île [9]. Les forces turques garderont le contrôle de cette route jusqu’au 20 juillet 1974, tirant parti de cet atout stratégique majeur pour leur invasion de l’île. De 1963 jusqu’en 1974, les Grecs chypriotes souhaitant utiliser cette route ne pourront le faire qu’accompagnés d’un convoi de l’ONU [10].

En représailles, 700 résidents turcs de Nicosie du nord sont pris en otages ; seuls 534 seront libérés vivants à l’issue de combats qui provoqueront la mort de 364 Turcs et 174 Grecs chypriotes. 109 villages turcs ou mixtes seront détruits et environ 30 000 Turcs fuiront leur domicile [11].

Dans la suite de ces événements, la Turquie propose à nouveau la solution d’une partition territoriale de l’île. L’intensification des combats, en particulier autour des zones tenues par des milices turques chypriotes, ainsi que l’échec de la Constitution de 1960, sont utilisées comme justifications à une possible invasion turque. La Turquie est sur le point de lancer l’offensive lorsque le Président américain Lyndon B. Johnson avertit Ankara, le 5 juin 1964, que Washington s’oppose à une invasion turque de Chypre et que les Etats-Unis ne viendraient pas en aide à la Turquie si une invasion de l’île menait à une confrontation avec l’Union soviétique [12]. Un mois plus tard, les négociations débutent entre Athènes et Ankara sous l’égide des Etats-Unis et plus particulièrement du Secrétaire d’Etat américain Dean Rusk [13].

La crise résultera finalement en la fin de la participation turque à l’administration publique de Chypre. Dans certaines régions, les Grecs chypriotes empêcheront les Turcs de se déplacer et d’entrer dans des bâtiments gouvernementaux, tandis qu’en d’autres endroits les Turcs refuseront de quitter leur poste et continueront d’obéir aux ordres d’un gouvernement turc chypriote non-officiel.

Cette situation aboutira ainsi de facto à la création d’enclaves administratives turques directement soutenues par la Turquie. Le 4 mars 1964, le Conseil de sécurité des Nations unies adopte la résolution 186 entérinant le déploiement de Casques bleues à Chypre [14]. La Force des Nations unies chargée du maintien de la paix à Chypre (UNFICYP) se déploie ainsi à l’aéroport de Nicosie et sépare la capitale en deux par une « Green Line » [15].

La présence de l’UNFICYP ne se montrera toutefois pas assez dissuasive : les affrontements reprennent en 1967. La situation ne se calmera pas avant la menace d’une nouvelle invasion turque, justifiée cette fois par les menaces de nettoyage ethnique planant, selon Ankara, sur les Turcs chypriotes. Afin d’éviter une invasion turque, un compromis est trouvé par les Etats-Unis et les signataires des accords de Londres-Zürich afin d’amener la Grèce à retirer une partie de ses troupes de l’île ; Georgios Grivas, leader de l’EOKA, est quant à lui sommé de se retirer de l’île. Il est demandé au gouvernement chypriote, enfin, de lever certaines restrictions de mouvement pesant sur les Turcs chypriotes et d’améliorer leur accès aux denrées de première nécessité [16]. La situation s’apaise alors jusqu’en 1974, où un nouveau coup de théâtre se produit.

En effet, au printemps 1974, les services de renseignement grecs chypriotes découvrent que l’EOKA-B [17] planifie un coup d’Etat contre le Président Makarios avec le soutien de la junte militaire grecque.

La junte est en effet arrivée au pouvoir à Athènes le 21 avril 1967 après un putsch organisé par des colonels de l’armée grecque ; cette junte en tirera d’ailleurs son surnom, la « dictature des colonels ». Le 25 novembre 1973 toutefois, un nouveau coup d’Etat organisé par le général de brigade Dimitrios Ioannidis vient renverser la junte en place par une dictature plus inflexible encore, présidée par le général Phaedon Gizikis.

Ioannidis estime que Makaroios n’est plus un partisan de l’Enosis et le suspecte même de sympathie envers le communisme ; à ce titre, il décide de soutenir l’EOKA-B et la Garde nationale grecque dans leur projet de renverser Makarios [18].

Le 2 juillet 1974, Makarios écrit une lettre ouverte au Président Gizikis où il déplore que « des cadres du régime militaire grec soutiennent et pilotent les activités de l’organisation terroriste EOKA-B » [19]. Il y ordonne par ailleurs que la Grèce retire du territoire chypriote les quelque 650 officiers grecs alors détachés au sein de la Garde nationale chypriote. La réponse du gouvernement grec est immédiate : il ordonne l’exécution du coup d’Etat et le 15 juillet 1974, des bataillons de la Garde nationale chypriote, conduits par des officiers grecs, renversent le gouvernement de Chypre.

Makarios échappe de peu à la mort au cours des affrontements. Il fuit le palais présidentiel par une porte dérobée et se rend à Paphos, où les Britanniques parviennent à le récupérer dans l’après-midi du 16 juillet et l’exfiltrent vers Londres après un passage à Malte [20].

Dans le même temps, Nikos Sampson est déclaré président par intérim du nouveau gouvernement chypriote. Ultra-nationaliste et partisan résolu de l’Enosis, Sampson est connu pour son opposition farouche à la présence turque sur le sol chypriote et a pris part, à plusieurs reprises, à des violences contre des civils turcs lors des affrontements ayant eu cours à Chypre les années précédentes [21].

Le régime de Sampson prend le contrôle des stations de radio et déclare que Makarios a été tué ; mais Makarios, réfugié à Londres, est alors en mesure de prouver le contraire. 91 personnes seront tuées pendant le coup d’Etat [22]. Les Turcs chypriotes ne seront toutefois pas affectés par le coup d’Etat contre Makarios ; Ioannides ne souhaite pas, en effet, provoquer une réaction de la Turquie.

En réaction au putsch, le Secrétaire d’Etat américain Henry Kissinger envoie le diplomate Joseph Sisco tenter une médiation du conflit [23] ; la Turquie lui adresse alors une liste de demandes [24] incluant le retrait immédiat de Nikos Sampson du pouvoir, le retrait des 650 officiers grecs de la Garde nationale chypriote, l’admission sur le territoire chypriote de contingents militaires venant de Turquie afin que cette dernière puisse protéger sa communauté, des droits égaux pour les deux communautés, et un accès à la mer au nord de l’île pour les Turcs chypriotes [25]. Bülent Ecevit, Premier ministre turc de l’époque, prend parallèlement attache avec son homologue britannique afin d’appeler la Grande-Bretagne, en tant que signataire et garante des traités de Londres-Zürich, à officier auprès de la Grèce afin de rétablir le calme à Chypre. La Grande-Bretagne déclinera l’offre de la primature turque et refusera, de fait, que cette dernière utilise les bases britanniques à Chypre pour ses opérations militaires à venir. Face au chaos régnant à Chypre, et craignant pour la communauté turque locale, la Turquie se prépare en effet à lancer une invasion à grande échelle de l’île ; ce sera l’objet de la troisième partie de cet article.

Lire sur Les clés du Moyen-Orient :
- Les enjeux énergétiques en Méditerranée orientale, ou la création d’une nouvelle arène géopolitique au Moyen-Orient. Partie I : des gisements d’hydrocarbures particulièrement prometteurs
- Les enjeux énergétiques en Méditerranée orientale, ou la création d’une nouvelle arène géopolitique au Moyen-Orient. Partie II : manœuvres et contre-manœuvres géopolitiques en MEDOR
- Tensions entre la Turquie, la France et la Grèce en Méditerranée orientale : origine de la crise et point d’actualité
- Rapprochements et marginalisations autour du gaz en Méditerranée orientale (1/2)
- L’Europe, la Turquie, le Général. Les relations franco-turques à l’époque du Général de Gaulle (1958-1969)

Bibliographie :
- Loizides, Neophytos G. "Ethnic nationalism and adaptation in Cyprus." International Studies Perspectives 8, no. 2 (2007) : 172-189.
- Adams, Thomas W. "The first republic of Cyprus : A review of an unworkable constitution." Western Political Quarterly 19, no. 3 (1966) : 475-490.
- Cassia, Paul Sant. Bodies of evidence : Burial, memory and the recovery of missing persons in Cyprus. Vol. 20. Berghahn Books, 2005.
- Ker-Lindsay, James. "Presidential power and authority in the Republic of Cyprus." Mediterranean Politics 11, no. 1 (2006) : 21-37.
- Bitsios, Dēmētrēs S. Cyprus : The vulnerable republic. Vol. 152. Thessaloniki, Greece : Institute for Balkan Studies, 1975.
- Hadjipavlou, Maria. "The Cyprus conflict : Root causes and implications for peacebuilding." Journal of Peace Research 44, no. 3 (2007) : 349-365.
- Özgür, Özdemir. "The Cyprus Dispute and the Birth of the" Turkish Republic of Northern Cyprus", by Necati Nunir Ertekun (Book Review)." The Cyprus Review 2, no. 1 (1990) : 140.
- Windsor, Philip. "NATO and the Cyprus Crisis." Adelphi Papers 4, no. 14 (1964) : 3-19.
- Ker-Lindsay, James. Britain and the Cyprus crisis, 1963-1964. Vol. 27. Mannheim, Germany : Bibliopolis, 2004.
- Kliot, Nurit, and Yoel Mansfield. "The political landscape of partition : The case of Cyprus." Political geography 16, no. 6 (1997) : 495-521.
- Crawshaw, Nancy. "Cyprus : collapse of the Zurich Agreement." The World Today 20, no. 8 (1964) : 338-347.
- Brands Jr, H. W. "America enters the Cyprus tangle, 1964." Middle Eastern Studies 23, no. 3 (1987) : 348-362.
- Göktepe, Cihat. "The Cyprus crisis of 1967 and its effects on Turkey’s foreign relations." Middle Eastern Studies 41, no. 3 (2005) : 431-444.
- Higgins, Rosalyn. "Basic Facts on the UN Force in Cyprus." The World Today 20, no. 8 (1964) : 347-350.
- Mirbagheri, Farid. Cyprus and International Peacemaking 1964-1986. Routledge, 2014.
- Göktepe, Cihat. "The Cyprus crisis of 1967 and its effects on Turkey’s foreign relations." Middle Eastern Studies 41, no. 3 (2005) : 431-444.
- Nafpliotis, Alexandros. "Ioannidis, Cyprus, and the irony of history." International Affairs at LSE (2010).
- Fouskas, Vassilis. "Reflections on the Cyprus Issue and the Turkish Invasions of 1974." Mediterranean Quarterly 12, no. 3 (2001) : 98-127.
- Mayes, Stanley. Makarios : A biography. Springer, 1981.
- Lewis, Paul. "Nikos Sampson, 66, Cyprus President after coup, dies." New York Times 11 (2001).
- Drousiotis, Makarios. "Cyprus 1974 : Greek Coup and Turkish Invasion." Quotations from The Cyprus Review are welcome, but acknowledgement (2009) : 241.
- Joseph, Joseph S. "International dimensions of the Cyprus problem." The Cyprus Review 2, no. 2 (1990) : 15.
- Adamson, Fiona B. "Democratization and the domestic sources of foreign policy : Turkey in the 1974 Cyprus crisis." Political Science Quarterly 116, no. 2 (2001) : 277-303.

Sitographie :
- Tensions entre la Grèce et la Turquie : la France envoie deux Rafale et deux bâtiments de la marine nationale, Le Monde, 13/08/2020
https://www.lemonde.fr/international/article/2020/08/13/tensions-entre-la-grece-et-la-turquie-la-france-envoie-deux-rafale-et-deux-batiments-de-la-marine-nationale_6048868_3210.html
- UN hails ’frank’ Cyprus talks, vows to seek peace effort restart, Al Jazeera, 26/11/2019
https://www.aljazeera.com/news/2019/11/hails-frank-cyprus-talks-vows-seek-peace-effort-restart-191126052820206.html

·       



Notes

[1] Loizides, Neophytos G. "Ethnic nationalism and adaptation in Cyprus." International Studies Perspectives 8, no. 2 (2007) : 172-189.

[2] Adams, Thomas W. "The first republic of Cyprus : A review of an unworkable constitution." Western Political Quarterly 19, no. 3 (1966) : 475-490.

[3] Cassia, Paul Sant. Bodies of evidence : Burial, memory and the recovery of missing persons in Cyprus. Vol. 20. Berghahn Books, 2005.

[4] Ker-Lindsay, James. "Presidential power and authority in the Republic of Cyprus." Mediterranean Politics 11, no. 1 (2006) : 21-37.

[5] Bitsios, Dēmētrēs S. Cyprus : The vulnerable republic. Vol. 152. Thessaloniki, Greece : Institute for Balkan Studies, 1975.

[6] Hadjipavlou, Maria. "The Cyprus conflict : Root causes and implications for peacebuilding." Journal of Peace Research 44, no. 3 (2007) : 349-365.

[7] Özgür, Özdemir. "The Cyprus Dispute and the Birth of the" Turkish Republic of Northern Cyprus", by Necati Nunir Ertekun (Book Review)." The Cyprus Review 2, no. 1 (1990) : 140.

[8] Windsor, Philip. "NATO and the Cyprus Crisis." Adelphi Papers 4, no. 14 (1964) : 3-19.

[9] Ker-Lindsay, James. Britain and the Cyprus crisis, 1963-1964. Vol. 27. Mannheim, Germany : Bibliopolis, 2004.

[10] Kliot, Nurit, and Yoel Mansfield. "The political landscape of partition : The case of Cyprus." Political geography 16, no. 6 (1997) : 495-521.

[11] Crawshaw, Nancy. "Cyprus : collapse of the Zurich Agreement." The World Today 20, no. 8 (1964) : 338-347.

[12] Brands Jr, H. W. "America enters the Cyprus tangle, 1964." Middle Eastern Studies 23, no. 3 (1987) : 348-362.

[13] Göktepe, Cihat. "The Cyprus crisis of 1967 and its effects on Turkey’s foreign relations." Middle Eastern Studies 41, no. 3 (2005) : 431-444.

[14] Higgins, Rosalyn. "Basic Facts on the UN Force in Cyprus." The World Today 20, no. 8 (1964) : 347-350.

[15] Mirbagheri, Farid. Cyprus and International Peacemaking 1964-1986. Routledge, 2014.

[16] Göktepe, Cihat. "The Cyprus crisis of 1967 and its effects on Turkey’s foreign relations." Middle Eastern Studies 41, no. 3 (2005) : 431-444.

[17] Successeur de l’EOKA créé en 1970, fondé et toujours dirigé par Georgios Grivas qui, le 31 août 1971, est retourné secrètement à Chypre pour y prendre en main sa nouvelle organisation. Il mourra le 27 janvier 1974 d’une crise cardiaque alors qu’il se cachait dans une maison de Limassol.

[18] Nafpliotis, Alexandros. "Ioannidis, Cyprus, and the irony of history." International Affairs at LSE (2010).

[19] Fouskas, Vassilis. "Reflections on the Cyprus Issue and the Turkish Invasions of 1974." Mediterranean Quarterly 12, no. 3 (2001) : 98-127.

[20] Mayes, Stanley. Makarios : A biography. Springer, 1981.

[21] Lewis, Paul. "Nikos Sampson, 66, Cyprus President after coup, dies." New York Times 11 (2001).

[22] Drousiotis, Makarios. "Cyprus 1974 : Greek Coup and Turkish Invasion." Quotations from The Cyprus Review are welcome, but acknowledgement (2009) : 241.

[23] Joseph, Joseph S. "International dimensions of the Cyprus problem." The Cyprus Review 2, no. 2 (1990) : 15.

[24] Adamson, Fiona B. "Democratization and the domestic sources of foreign policy : Turkey in the 1974 Cyprus crisis." Political Science Quarterly 116, no. 2 (2001) : 277-303.

[25] Ibid.

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γ' Μέρος 

1. Première invasion turque, juillet 1974

Dans la nuit du 19 au 20 juillet 1974, la Turquie lance l’opération « Atilla » : l’invasion de Chypre commence. Des détachements turcs débarquent peu avant l’aube avec de l’armement lourd à Kyrenia (aujourd’hui Girne, en turc) sur la côte nord et rencontrent une forte résistance de la part des forces grecques et chypriotes grecques. La justification d’Ankara pour lancer son offensive consiste alors à brandir le « Traité de Garantie » en vertu duquel la Turquie dispose de prérogatives pour protéger les Chypriotes turcs et garantir l’indépendance de Chypre [1]. Deux jours après les premiers affrontements, au moment où le Conseil de sécurité des Nations unies réussit à obtenir un cessez-le-feu, les forces turques sont parvenues à s’emparer d’un étroit couloir territorial reliant Kyrenia à Nicosie (équivalant peu ou prou à 3% du territoire chypriote [2]). Au terme de plusieurs violations du cessez-le-feu imposé par la résolution 353 du Conseil de Sécurité le 20 juillet [3], l’armée turque parviendra au fil des semaines suivantes à étendre davantage encore l’espace chypriote sous son contrôle [4].

Les réactions grecques à l’offensive ne se font pas attendre. Dès le 20 juillet, alors que les 10 000 Turcs de l’enclave de Limassol se rendent à la Garde nationale chypriote, le quartier général de ces derniers est brûlé par les Grecs, des femmes sont violées et plusieurs Turcs abattus [5]. Sur ces 10 000 Turcs chypriotes, 1 300 seront ensuite détenus dans un camp de prisonniers [6]. L’enclave de Famagusta fait quant à elle l’objet de plusieurs bombardements, tandis que celle de Lefka est aussitôt occupée par les forces grecques chypriotes [7].

Selon le Comité International de la Croix Rouge, le total des prisonniers de guerre détenus par les deux camps à ce stade et avant la seconde invasion comprend 385 Grecs chypriotes habitant la ville d’Adana en Turquie, et 63 autres dans le district de Saray, dans la province de Van, toujours en Turquie. Sur l’île de Chypre même, les Grecs détiennent 3 268 Turcs dans plusieurs camps de prisonniers disséminés à travers Chypre [8].

Le 23 juillet 1974, la junte en Grèce s’effondre, essentiellement en raison de la situation à Chypre. Nikos Sampson renonce à la présidence de Chypre le même jour ; il est remplacé temporairement par Glafcos Clerides, qui restera en poste jusqu’au 7 décembre 1974. Dans le cadre de la disparition de la junte, les dirigeants politiques grecs, alors en exil, reviennent dans leur pays : le 24 juillet 1974, Constantine Karamantis rentre ainsi de Paris et prête le serment de Premier ministre. Sa première mesure est de s’opposer à ce que la Grèce entre en guerre contre la Turquie [9]. Cette action sera hautement critiquée par l’opposition et certains la caractériseront d’acte de trahison [10].

Dans le cadre du cessez-le-feu exigé par le Conseil de Sécurité des Nations unies et de la volonté de Constantine Karamantis de négocier, un premier cycle de pourparlers de paix est organisé à Genève, en Suisse, du 25 au 30 juillet 1974. James Callaghan, Secrétaire aux Affaires étrangères britannique de l’époque (et par ailleurs futur Premier ministre), est à l’initiative de cette conférence à laquelle participeront les trois puissances garantes des traités de Londres-Zürich [11]. Cette conférence aboutit en une déclaration commune dans laquelle les représentants respectifs estiment que la zone d’occupation turque doit cesser d’être élargie, que les enclaves turques doivent être immédiatement évacuées par les Grecs et qu’une autre conférence doit être tenue à Genève au plus vite, en présence des représentants des deux communautés turques et grecques chypriotes afin de restaurer la paix et de rétablir un gouvernement constitutionnel [12].

Entre la tenue de la première conférence de Genève et de la deuxième, en août 1974, la sympathie de la communauté internationale, initialement portée vers la Turquie dont elle estimait l’action militaire légitime, s’est tournée vers la Grèce, qui vient alors de tourner le dos à la junte militaire pour renouer avec un régime démocratique [13]. Ankara perçoit ce revirement d’attention comme une menace pour son agenda chypriote [14]. Ainsi, lors du deuxième cycle de négociations, la Turquie exige de la Grèce quelle accepte la création d’un Etat fédéral et un transfert de population. Glafcos Clerides, nouveau président de la République de Chypre, donnera sa réponse par une promesse d’acceptation ou de refus de la proposition turque dans un délai de 36h à 48h afin de consulter Athènes et les leaders grecs chypriotes [15]. Craignant que Makarios et ses alliés ne profitent de ce gain de temps pour organiser une coalition diplomatique, voire militaire, contre la Turquie, cette dernière relance, le même jour, son invasion de Chypre [16].

2. La deuxième invasion turque, du 14 au 16 août 1974

Quelques jours avant l’organisation du deuxième cycle de négociations à Genève, et en prévision de l’issue de celui-ci, le ministre turc des Affaires étrangères Turan Günes aurait indiqué au Premier ministre Bülent Ecevit que : « Quand je dis Ayse doit partir en vacances, cela voudra dire que nos forces armées seront prêtes à agir. Même si la ligne téléphonique est mise sur écoute, cela n’éveillera aucun soupçon » [17].

De fait, une heure et demi après la fin de la conférence, Turan Günes appelle Ecevit et prononce la phrase codée. Le 14 août 1974, la Turquie lance ainsi sa deuxième opération aéroterrestre sur Chypre, qui aboutira à l’occupation par la Turquie de 37% du territoire chypriote [18]. Le Secrétaire britannique aux Affaires étrangères James Callaghan, divulguera plus tard que le Secrétaire d’Etat américain Henry Kissinger se serait opposé à une action militaire que les Britanniques envisageaient afin d’empêcher une nouvelle invasion turque [19].

Les forces turques bousculent rapidement le dispositif défensif grec et parviennent à atteindre Louroujina, à vingt kilomètres au sud-est de Nicosie. Malgré la perte de plusieurs chars principaux de combat M47 Patton, les Turcs parviennent sans difficulté majeure à atteindre les objectifs qu’ils s’étaient fixés [20]. Cette nouvelle offensive turque créé son flot de réfugiés, en particulier parmi les Chypriotes grecs ; le total de ces derniers est alors estimé entre 140 000 et 160 000 [21]. Le 18 août, après la déclaration d’un cessez-le-feu la veille et après avoir atteint les objectifs qu’ils s’étaient fixés, les Turcs cessent les hostilités, mettant fin aux opérations militaires d’invasion de Chypre.

Les forces turques se sont arrêtées, comme l’Etat-Major turc l’avait souhaité [22], à la simili-frontière incarnée par la « Green line », créée lors des violences intercommunautaires de l’hiver 1963. Celle-ci tient lieu, aujourd’hui encore, de frontière entre la République turque de Chypre nord et la République de Chypre.

Cette limite est également appelée « Atilla Line », en référence aux noms des opérations turques d’invasion de Chypre (« Atilla-1 » et « Atilla-2 »). Après l’avoir atteinte à l’issue des combats du mois d’août 1974, les forces armées turques en feront en effet un véritable limes équipé de fils de fer barbelés et parfois électrifiés, de murs en béton, de miradors, de fossés antichars et, en certains endroits, de champs de mines [23]. Cette frontière matérielle passe par le centre de Nicosie, séparant de fait la capitale chypriote en deux zones méridionale et septentrionale [24].

Après la deuxième offensive turque sur l’île de Chypre, une « zone de sécurité » sera établie par les puissances garantes des traités de Londres et Zürich. Cet espace, situé dans une sorte de no man’s land séparant les territoires turcs de ceux contrôlés par les Chypriotes du sud, consiste en une zone tampon au sein de laquelle, comme édictée par la résolution 353 du Conseil de Sécurité des Nations unies, aucune force militaire autre que celle de la Force des Nations unies chargée du maintien de la paix à Chypre (UNFICYP) ne peut pénétrer [25]. Elle borde donc, à l’est et au nord, la ligne Atilla et, au sud et à l’ouest, la ligne de front grecque chypriote.

Après le conflit, les représentants grecs chypriotes et les Nations unies consentent à un transfert des 51 000 chypriotes turcs, qui n’avaient pas quitté leurs foyers dans le sud, afin de les installer dans le nord contrôlé par les forces turques [26].

Le Conseil de Sécurité des Nations unies condamnera à plusieurs reprises les actions militaires de la Turquie à Chypre, en l’accusant notamment d’avoir violé l’article 4 du « Traité de Garantie » donnant le droit aux garants de recourir à la force dans le seul but de préserver, à Chypre, l’équilibre politique et territorial tel que les garants l’avaient détaillé pendant les années 1960 [27]. Les conséquences de l’invasion de la Turquie n’ont en effet pas abouti en une sauvegarde de la souveraineté de la République et de son intégralité territoriale : l’île est aujourd’hui divisée de facto entre deux entités politiques adverses, au nord et au sud.

Passant outre les avertissements du Conseil de Sécurité des Nations unies, la Turquie déclare le 13 février 1975 que les zones occupées au nord de l’île de Chypre formeront désormais « l’Etat fédéré turc de Chypre », créant un véritable tollé international et une nouvelle condamnation du Conseil de Sécurité (résolution 367 du 12 mars 1975) [28]. Les Nations unies refusent alors de reconnaître cette nouvelle situation politique au nord de Chypre et réaffirment leur reconnaissance d’une seule et même souveraineté de la République de Chypre, en vertu des clauses édictées de son indépendance en 1960.

En proclamant la création de cet Etat fédéré turc de Chypre, les Turcs chypriotes espéraient pouvoir, d’une certaine manière, imposer leur conception de la résolution du conflit à Chypre, c’est-à-dire la création d’un Etat fédéral où coexisteraient une zone turque et une zone grecque dotées toutes deux des mêmes droits et prérogatives [29]. Le 10 juin 1976, des élections sont ainsi organisées au sein de l’Etat fédéré turc et voient la victoire de Rauf Denktaş, leader du « Parti de l’unité nationale ». Une fois le Parlement turc chypriote élu, une constitution sera même rédigée et s’articulera autour de l’espoir de la création prochaine d’un Etat fédéré grec chypriote, au sud, permettant d’envisager la fondation d’un Etat fédéral chypriote.

Finalement, après huit ans de négociations infructueuses avec les Chypriotes grecs, les représentants de Chypre nord déclarent unilatéralement leur indépendance et proclament la création de la République turque de Chypre du Nord.

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Publié le 10/12/2020

   


EMILE BOUVIER

Emile Bouvier est étudiant à l’Université Paris 1 – Panthéon-Sorbonne, où il prépare les concours de la fonction publique. Diplômé d’un Master 2 en Géopolitique, il a connu de nombreuses expériences au Ministères des Armées, notamment au Centre de planification et de conduite des opérations (CPCO), à l’Etat-major des Armées dans une cellule d’analyse géopolitique, ou encore en Mission de Défense (MdD) en Turquie. Son grand intérêt pour la Turquie et la question kurde l’ont amené à voyager à de nombreuses reprises dans la région et à travailler sur les problématiques turques et kurdes à de multiples occasions.

Voir toutes ses publications 


Notes

[1] Drousiotis, Makarios. "Cyprus 1974 : Greek Coup and Turkish Invasion." Quotations from The Cyprus Review are welcome, but acknowledgement (2009) : 241.

[2https://www.aa.com.tr/en/europe/turkish-cyprus-marks-36th-foundation-anniversary/1646123

[3http://unscr.com/en/resolutions/353

[4] Theodorides, John. "The United Nations Peace Keeping Force in Cyprus (UNFICYP)." Int’l & Comp. LQ 31 (1982) : 765.

[5] Loizos, Peter. The heart grown bitter : A chronicle of Cypriot war refugees. CUP Archive, 1981.

[6] Stern, Laurence. "Bitter lessons : How we failed in Cyprus." Foreign Policy 19 (1975) : 34-78.

[7] Ibid.

[8] Berkes, Antal. "The formation of customary international law by de facto regimes." International Organizations and Non-State Actors in the Formation of Customary International Law, Melland Schill. Perspectives on International Law (Manchester University Press, 2019) (2019).

[9] Clerides, Glafcos. "Impediments to the Solution of the Cyprus Problem." Seton Hall J. Dipl. & Int’l Rel. 1 (2000) : 15.

[10] Ibid.

[11] Ülman, Haluk. "GENEVA CONFERENCES (July-August 1974)." Dış Politika 1 (2009) : 134-154.

[12] Asmussen, Jan. Cyprus at War, Diplomacy and Conflict during the 1974 Crisis. London and New York, 2008.

[13] Kazamias, George. "From Pragmatism to Idealism to Failure : Britain in the Cyprus crisis of 1974." (2010).

[14] Salih, Ibrahim H. "Cyprus-A special Issue of Foreign Policy (Book Review)." Middle East Journal 29, no. 4 (1975) : 467.

[15] Theophanous, Andreas. "The Intercommunal Negotiations after 1974 and Future Prospects." The Cyprus Review 31, no. 1 (2019) : 279-309.

[16] Bishku, Michael B. "Turkey, Greece and the Cyprus Conflict." Journal of Third World Studies 8, no. 1 (1991) : 165-179.

[17] Alptekin, Ali Berat. "ÇUKUROVALI ÂSIKLARIN DÐLÐNDE 1974 KIBRIS BARIS HAREKÂTI." Journal of Türklük Bilimi Arastirmalari 16, no. 29 (2011).

[18https://www.europarl.europa.eu/enlargement/briefings/1a2_en.htm

[19] Warner, Geoffrey. "The United States and the Cyprus crisis of 1974." International Affairs 85, no. 1 (2009) : 129-143.

[20] Henn, Francis. A Business of Some Heat : The United Nations Force in Cyprus Before and During the 1974 Turkish Invasion. Casemate Publishers, 2004.

[21] Loizos, Peter. The heart grown bitter : A chronicle of Cypriot war refugees. CUP Archive, 1981.

[22] Fouskas, Vassilis. "Reflections on the Cyprus Issue and the Turkish Invasions of 1974." Mediterranean Quarterly 12, no. 3 (2001) : 98-127.

[23] Higate, Paul, and Marsha Henry. "Militarising spaces : A geographical exploration of Cyprus." Kirsch, S. & C. Flint, Reconstructing Conflict : Integrating War and Post-War Geographies, Farham, Ashgate (2011) : 133-156.

[24] Gumpert, Gary, and Susan Drucker. "The green line : impact and change in Nicosia." Journal of Mediterranean Studies 8, no. 2 (1998) : 205-222.

[25] Christodoulidou, Theodora. "The Illegal Status of the Buffer Zone in Cyprus." The Cyprus Review 20, no. 1 (2008) : 115-126.

[26] Özmen, Müslüm Özgür, Kaan Hıdıroğlu, Atila Orhon, Doruk Eröncel, and Ferdi Aslan. "Immigration from the south to the north of the island after the 1974 Cyprus Peace Operation." Melike Ünal, HIST 200-4 (2013-2014 Fall) ; 10 (2014).

[27] Kyriakides, Klearchos A. "The 1960 Treaties and the search for security in Cyprus." Journal of Balkan and Near Eastern Studies 11, no. 4 (2009) : 427-439.

[28] White, Gillian M. "The Turkish Federated State of Cyprus : a lawyer’s view." The World Today 37, no. 4 (1981) : 135-141.

[29] Nedjati, Zaim, and Geraint Leathes. "A Study of the Constitution of the Turkish Federated State of Cyprus." Anglo-American Law Review 5, no. 1 (1976) : 67-92.

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4ο και τελευταίο μέρος της μελέτης

1. Proclamation de la République turque de Chypre du Nord

Le 15 novembre 1983, l’assemblée chypriote turque déclare l’indépendance de la République Turque de Chypre Nord. Immédiatement après cette déclaration, la Grande-Bretagne, troisième pays le plus impliqué dans le dossier chypriote après la Turquie et la Grèce, convoque une réunion extraordinaire du Conseil de Sécurité des Nations unies afin de condamner celle-ci comme étant « légalement invalide » [1]. La résolution 541 du Conseil de Sécurité des Nations unies adoptée le 18 novembre 1983 considère ainsi que « la tentative de créer la République Turque de Chypre Nord est invalide, et va contribuer à empirer la situation à Chypre » [2]. Le Conseil précise également « considérer la déclaration légalement invalide et faire appel à son retrait » [3].

D’autres condamnations suivront dans les mois à venir. La résolution 550 du 11 mai 1984 condamnera par exemple les « échanges d’ambassadeurs » entre la Turquie et la République Turque de Chypre Nord, ajoutant que le Conseil de Sécurité « considère que les tentatives de peupler une quelconque partie de l’île par des populations autres que ses habitants indigènes est inadmissible, […] et [le Conseil de Sécurité] appelle à un transfert de la zone nord de Chypre à l’administration des Nations unies » [4]. La Turquie et République turque de Chypre Nord passeront outre cette résolution et continueront de développer les institutions de la nouvelle entité politique gouvernant le nord de l’île de Chypre.

Le 22 juillet 2010, la Cour de Justice Internationale des Nations unies décide que « la loi internationale ne contient aucune interdiction sur les déclarations d’indépendance » [5]. Face au tollé que va provoquer cette réponse pourtant juridiquement non-contraignante, mais que beaucoup d’opposants à la République turque de Chypre Nord perçoivent comme un blanc-seing à l’attention de cette dernière, le Ministre allemand des Affaires étrangères Guido Westerwelle précisera que cette décision « ne s’adresse pas à un différend spécifique comme celui de Chypre mais à toute situation que pourrait connaître le monde ». Ces déclarations ne suffiront pas à éteindre la polémique, que les médias turcs progouvernementaux exploiteront à l’envi [6].

2. Etat des négociations autour du différend chypriote : le plan Annan

Malgré les appels récurrents du Conseil de Sécurité à destination de la Turquie l’exhortant à rapatrier immédiatement et inconditionnellement toutes ses troupes du territoire chypriote et de permettre le retour des réfugiés en toute sécurité chez eux, la Turquie et la République turque de Chypre du Nord ont maintenu leur position, affirmant qu’un retrait des troupes turques allait mener à un retour des massacres et des violences intercommunautaires [7].

De nombreuses initiatives visant à résoudre le conflit ont vu le jour depuis les premières tensions en 1964 et en particulier depuis 1974. De l’invasion turque de Chypre jusqu’à 2002, date du début des discussions autour du « Plan Annan », qui sera détaillé plus loin, le camp chypriote turc sera perçu par la communauté internationale comme le plus intransigeant et le moins ouvert à un compromis ; toutefois, depuis 2002, la situation s’est inversée à la suite, en particulier, du rejet du Plan Annan par les Grecs chypriotes [8].

En effet, le Plan Annan, du nom de feu le Secrétaire général des Nations unies Kofi Annan (1997-2006), a connu cinq révisions avant de parvenir à sa version finale. La cinquième révision proposait, entre autres choses, la création d’une République unie de Chypre couvrant la totalité de l’île à l’exception des zones de souveraineté britanniques où sont situées, notamment, d’importantes infrastructures militaires et aéronavales. Ce nouveau pays aurait consisté en une fédération de deux Etats, l’un grec chypriote et l’autre turc chypriote, agissant sous couvert d’un gouvernement fédéral inspiré du modèle suisse [9].

Le Plan Annan prévoyait même, dans sa version finale, une gestion humanitaire et sociale de l’après-crise visant à éteindre au plus vite, et au mieux, les rancœurs éprouvées par les Chypriotes turcs et grecs : plus de la moitié des chypriotes grecs déplacés en 1974 et leurs descendants auraient ainsi récupéré leurs propriétés et y auraient habité sous un règlement administratif chypriote grec pendant une période de 35 à 42 mois à partir de l’entrée en force dudit règlement ; pour les Chypriotes dont les propriétés ne pouvaient leur être rendues, un système de compensations financières ou immobilières devait voir le jour suivant des modalités qui restaient encore à préciser [10].

La version finale du Plan Annan, fruit de plusieurs années de négociations intenses avec les différents protagonistes du conflit, sera finalement proposée à l’assentiment des Chypriotes eux-mêmes à l’occasion d’un référendum organisé le 24 avril 2004 : si les Turcs chypriotes l’approuvent à une large majorité (64,91%), les Grecs le refuseront avec davantage d’assurance encore (75,83%) [11].

L’implémentation du plan Annan étant conditionnée à son approbation par les deux parties chypriotes, le refus grec enterrera définitivement ce projet d’un Etat fédéral. Le Président de la République de Chypre Tassos Papadopoulos pondérera le résultat du référendum en affirmant que ses concitoyens avaient juste rejeté le plan Annan mais pas les autres solutions au problème chypriote ; en Turquie, le Premier ministre Recep Tayyip Erdoğan, aujourd’hui Président de la République turque, affirmera que ce résultat montrait la « bonne volonté des Turcs de Chypre du Nord », ajoutant que « Chypre du Sud est la véritable perdante de l’échec de ce référendum » [12].

L’échec du référendum n’empêchera pas la République de Chypre d’intégrer l’Union européenne quelques jours plus tard, le 1er mai 2004, aux côtés de neuf autres pays. Eu égard à la situation particulière de l’île, l’Union européenne affirmera que, bien que Chypre soit toujours divisée, l’acquis communautaire européen – le corps législatif de l’Union européenne – s’applique uniquement aux zones sous contrôle gouvernemental direct et sera donc suspendu dans les zones occupées par l’armée turque et administrées par les Chypriotes turcs [13]. Néanmoins, un individu chypriote turc pouvant attester de son éligibilité à la citoyenneté de la République de Chypre pourra légalement bénéficier des mêmes droits accordés aux autres citoyens de l’Union européenne [14].

3. De 2018 à aujourd’hui

Le 3 juillet 2018, dans une démarche de relance des négociations, le Secrétaire Général des Nations unies Antonio Guterres nomme la diplomate américain Jane Holl Lute comme sa nouvelle conseillère sur la question chypriote [15]. Sa mission est de jouer le rôle de courroie de transmission entre les deux dirigeants chypriotes, Nicos Anastasiades et Mustafa Akinci, ainsi que les trois partis garants (la Grèce, la Turquie et le Royaume Uni) afin de déterminer si les conditions sont réunies pour envisager une reprise des négociations sous l’égide de l’ONU et, le cas échéant, organiser ce nouveau cycle de discussions. Jane Holl Lute conduira ainsi quatre cycles de consultations : le premier en septembre 2018, le deuxième en octobre 2018, le troisième en janvier 2019 et le quatrième le 7 avril 2019 ; elle conclura que les protagonistes du différend chypriote sont pour le moment trop opposés pour envisager de nouvelles négociations [16].

Le 5 février 2019, la Grèce et la Turquie annoncent pourtant leur souhait d’un désamorçage des tensions caractérisant leurs relations diplomatiques depuis maintenant plusieurs décennies [17] ; les deux pays égéens s’engagent alors à mener un dialogue franc et constructif, y compris sur le dossier du conflit chypriote. Finalement, la concurrence politique et économique entre nations méditerranéennes autour de la découverte de vastes gisements d’hydrocarbures en Méditerranée orientale viendra mettre un terme à ces discussions [18].

Conclusion

Aucun progrès n’a été constaté sur le différend chypriote depuis le début de l’année 2020 ; le regain très net des tensions entre la Grèce et la Turquie sur la question des migrants et de l’exploration des fonds sous-marins en Méditerranée orientale notamment ne laisse que peu d’espoirs quant à une reprise des négociations et d’une résolution potentielle de la question chypriote. Pour autant, les diplomaties athénienne et ankariote, qui se caractérisent par leur grand pragmatisme, ont montré récemment leur capacité à initier des discussions franches en se passant de la tutelle d’une grande puissance ou d’une organisation internationale ; le dossier de la Méditerranée orientale, où la Turquie et la Grèce se sont entendues le 22 septembre, au plus forte de la crise, à reprendre le dialogue, tend à l’illustrer. La possibilité d’une réouverture inattendue du dialogue sur le dossier chypriote entre les deux éternels adversaires égéens reste ainsi toute ouverte.

Lire sur les Clés du Moyen-Orient :
- La Turquie et ses nouveaux « alliés », sous la direction de Jean Marcou, revue Orients Stratégiques numéro 9, 2019
- Les enjeux énergétiques en Méditerranée orientale, ou la création d’une nouvelle arène géopolitique au Moyen-Orient. Partie II : manœuvres et contre-manœuvres géopolitiques en MEDOR
- Tensions entre la Turquie, la France et la Grèce en Méditerranée orientale : origine de la crise et point d’actualité
- Rapprochements et marginalisations autour du gaz en Méditerranée orientale (1/2)
- L’Europe, la Turquie, le Général. Les relations franco-turques à l’époque du Général de Gaulle (1958-1969)

Bibliographie :
- Nedjati, Zaim, and Geraint Leathes. "A Study of the Constitution of the Turkish Federated State of Cyprus." Anglo-American Law Review 5, no. 1 (1976) : 67-92.
- Uluğ Eryılmaz, Burçin. "Europeanization or not ? Turkish foreign policy and the Cyprus problem, 1999-2014." PhD diss., Bilkent University, 2015.
- Migdalovitz, Carol, and Foreign Affairs, Defense, and Trade Division. "Cyprus : Status of UN Negotiations." Congressional Research Service, The Library of Congress, 2003.
- Loizides, Neophytos, and Eser Keskiner. "The Aftermath of the Annan Plan referendums : Cross-voting moderation for Cyprus." Southeast European Politics 5, no. 2-3 (2004) : 158-171.
- Sözen, A., & Özersay, K. (2007). The Annan plan : state succession or continuity. Middle Eastern Studies, 43(1), 125-141.
- Hoffmeister, Frank. Legal aspects of the Cyprus problem : Annan plan and EU accession. Vol. 67. Martinus Nijhoff Publishers, 2006.
- Chadjipadelis, Theodore, and Ioannis Andreadis. "Analysis of the Cyprus referendum on the Annan plan." In Conference of the Political Studies Association (PSA). 2007.
- Webster, Craig, and Alexandros Lordos. "Who Supported the Annan Plan ?." The Cyprus Review 18, no. 1 (2006) : 13-35.
- Eralp, Atila. "The Last Chance in Cyprus Negotiations and the Turkey-EU Relationship." ELIAMEP Thesis 1 (2010).
- Eralp, Atila. "Temporality, Cyprus Problem and Turkey-EU Relationship." Centre for Economics and Foreign Policy Studies (2009).

Sitographie :
- Greece to boost military amid tension with Turkey, Al Jazeera, 07/09/2020
https://www.aljazeera.com/news/2020/9/7/greece-to-boost-military-amid-tension-with-turkey
- Erdogan : Turkey-Greece disputes can be resolved peacefully
https://www.aljazeera.com/news/2019/2/5/erdogan-turkey-greece-disputes-can-be-resolved-peacefully
- UN envoy ends mission in Nicosia without announcing resumption of Cyprus negotiations, Xinhuanet, 05/02/2019
http://www.xinhuanet.com/english/2019-02/05/c_137799431.htm
- Security Council Renews Mandate of United Nations Peacekeeping Force in Cyprus, Unanimously Adopting Resolution 2430 (2018), United Nations, 26/07/2018
https://www.un.org/press/en/2018/sc13434.doc.htm
- Cyprus and the Enlargement of the European Union, European Parliament, 08/08/2000
https://www.europarl.europa.eu/enlargement/briefings/1a2_en.htm
- Turkish Cyprus marks 36th foundation anniversary, Anadolu Ajansi, 15/11/2019
https://www.aa.com.tr/en/europe/turkish-cyprus-marks-36th-foundation-anniversary/1646123
- Resolution 353, UNSCR, 20/07/1974
http://unscr.com/en/resolutions/353

Publié le 18/12/2020

   


EMILE BOUVIER

Emile Bouvier est étudiant à l’Université Paris 1 – Panthéon-Sorbonne, où il prépare les concours de la fonction publique. Diplômé d’un Master 2 en Géopolitique, il a connu de nombreuses expériences au Ministères des Armées, notamment au Centre de planification et de conduite des opérations (CPCO), à l’Etat-major des Armées dans une cellule d’analyse géopolitique, ou encore en Mission de Défense (MdD) en Turquie. Son grand intérêt pour la Turquie et la question kurde l’ont amené à voyager à de nombreuses reprises dans la région et à travailler sur les problématiques turques et kurdes à de multiples occasions.

Voir toutes ses publications 


Notes

[1] Nedjati, Zaim, and Geraint Leathes. "A Study of the Constitution of the Turkish Federated State of Cyprus." Anglo-American Law Review 5, no. 1 (1976) : 67-92.

[2https://undocs.org/fr/S/RES/541(1983)

[3] Ibid.

[4https://undocs.org/fr/S/RES/550(1984)

[5https://www.icj-cij.org/files/case-related/141/16012.pdf

[6] Uluğ Eryılmaz, Burçin. "Europeanization or not ? Turkish foreign policy and the Cyprus problem, 1999-2014." PhD diss., Bilkent University, 2015.

[7] Migdalovitz, Carol, and Foreign Affairs, Defense, and Trade Division. "Cyprus : Status of UN Negotiations." Congressional Research Service, The Library of Congress, 2003.

[8] Loizides, Neophytos, and Eser Keskiner. "The Aftermath of the Annan Plan referendums : Cross-voting moderation for Cyprus." Southeast European Politics 5, no. 2-3 (2004) : 158-171.

[9] Sözen, A., & Özersay, K. (2007). The Annan plan : state succession or continuity. Middle Eastern Studies, 43(1), 125-141.

[10] Hoffmeister, Frank. Legal aspects of the Cyprus problem : Annan plan and EU accession. Vol. 67. Martinus Nijhoff Publishers, 2006.

[11] Chadjipadelis, Theodore, and Ioannis Andreadis. "Analysis of the Cyprus referendum on the Annan plan." In Conference of the Political Studies Association (PSA). 2007.

[12] Webster, Craig, and Alexandros Lordos. "Who Supported the Annan Plan ?." The Cyprus Review 18, no. 1 (2006) : 13-35.

[13] Eralp, Atila. "The Last Chance in Cyprus Negotiations and the Turkey-EU Relationship." ELIAMEP Thesis 1 (2010).

[14] Eralp, Atila. "Temporality, Cyprus Problem and Turkey-EU Relationship." Centre for Economics and Foreign Policy Studies (2009).

[15https://www.un.org/press/en/2018/sc13434.doc.htm

[16http://www.xinhuanet.com/english/2019-02/05/c_137799431.htm

[17https://www.aljazeera.com/news/2019/2/5/erdogan-turkey-greece-disputes-can-be-resolved-peacefully

[18https://www.aljazeera.com/news/2020/9/7/greece-to-boost-military-amid-tension-with-turkey

 

 https://static.lesclesdumoyenorient.com/La-politique-etrangere-de-la-Turquie-depuis-la-tentative-de-coup-d-Etat-de-2016.html

La politique étrangère de la Turquie depuis la tentative de coup d’Etat de 2016, ou la militarisation de l’outil diplomatique turc

πώς ένα (υποτιθέμενο) πραξικόπημα οδήγησε στην ... στρατικοποίηση της τουρκικής διπλωματίας.

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