Partition de l’île de Chypre : histoire d’une pierre d’achoppement diplomatique vieille de plus d’un demi-siècle (1/4). Historique de l’enjeu géopolitique de Chypre, de 1571 à 1960
Για το διαμελισμό της Κύπρου και το γεωπολιτικό παιχνίδι της περιοχής, πέντε αιώνες παιχνίδι στην πλάτη των ανθρώπων, και σχεδόν πενήντα χρόνια χωρισμένη στα δύο.
ΔΕΝ ΠΡΈΠΕΙ ΝΑ ΞΕΧΝΆΜΕ, γιατί πρέπει να έχουμε μάτια ανοιχτά.
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Par Emile Bouvier
Α’ μέρος
Les tensions diplomatiques, militaires et économiques ayant actuellement cours en Méditerranée orientale rappellent le statut très particulier de Chypre dans l’échiquier proche-oriental et la pierre d’achoppement que cette île d’un peu plus d’un million d’habitants représente dans les relations entre la Turquie et ses voisins européens, au premier rang desquels la Grèce.
De
fait, l’île est aujourd’hui partagée entre deux entités nationales : les
deux tiers méridionaux sont contrôlés par la République de Chypre, née le 16
août 1960 après avoir obtenu son indépendance de la Grande-Bretagne, tandis que
le tiers nord est quant à lui contrôlé par la République turque de Chypre du
Nord, créée à la suite de l’intervention militaire turque sur l’île en
1974 ; elle ne proclamera réellement son indépendance que le 15 novembre
1983, au grand dam des Nations unies qui condamneront cette proclamation
d’indépendance et la considéreront juridiquement nulle, à travers l’adoption de
la résolution 541 [1] du 18 novembre 1983 [2]. La Turquie est, de fait, le seul pays
à reconnaître la République turque de Chypre du Nord, aujourd’hui encore [3].
La
partition de l’île en deux entités juridiques fait aujourd’hui encore débat, et
encore plus depuis la découverte, ces dernières années, d’importants gisements gaziers dans les eaux du
bassin Levantin et de la Méditerranée orientale. La Turquie mise en effet sur
l’existence supposée d’eaux territoriales turques-chypriotes qu’elle est la
seule à reconnaître afin d’y conduire des missions de forage exploratoires
visant à déterminer les ressources que recèlent les fonds sous-marins. Chypre,
qui ne reconnaît pas son voisin au nord de l’île, considère quant à elle ces
missions exploratoires comme des violations de ses eaux territoriales et donc
de sa souveraineté, attirant à elle une vaste coalition opposée à la Turquie où
la Grèce figure en bonne place, aux côtés d’alliés plus inattendus tels que
l’Egypte, Israël ou encore la France, qui a déployé le 13 août un bâtiment de
la Marine nationale et deux avions de combat dans la zone [4].
Des
pourparlers diplomatiques autour de la partition de Chypre sont régulièrement
organisés mais échouent à une fréquence égale [5] ; si plusieurs plans ont été
proposés par l’ONU, l’Union européenne ou encore la Turquie, la question
chypriote apparaît souvent sacrifiée face aux enjeux géopolitiques plus larges
et jugés plus pressants dans l’agenda des différents pays concernés (crise des
migrants, guerre en Syrie, découverte de gisements gaziers en Méditerranée
orientale, etc.).
Cet
article ambitionne donc de retracer la genèse de cette partition et, partant,
de la pierre d’achoppement permanente que Chypre semble représenter dans les
relations entre la Turquie et ses voisins. Une première partie sera ainsi
consacrée à un historique de l’enjeu géopolitique représenté par Chypre, de
1571 (date de la conquête de l’île par les Ottomans) jusqu’en 1960, où l’île
obtient son indépendance. La deuxième partie se consacrera aux événements
conduisant de l’indépendance en 1930 jusqu’à l’invasion turque en 1974, à
travers le spectre, notamment, d’une partition silencieuse, officieuse mais
progressive de l’île. La troisième partie portera sur les opérations militaires
de la Turquie à Chypre et l’article se terminera par une quatrième partie
dressant un état des lieux des négociations portant sur la situation de l’île
de Chypre et des nombreux différends.
1. Chypre, une
monnaie d’échange diplomatique
En
1571, l’île de Chypre, majoritairement peuplée de Grecs, est conquise par
l’Empire ottoman à la suite de la guerre vénéto-ottomane (1570-1573). Après 300
ans de règne ottoman, l’île et sa population sont « prêtées » à la
Grande-Bretagne à l’occasion de la signature de la Convention de Chypre (4 juin
1878), un accord secret contracté entre les Ottomans et les Britanniques
prévoyant le soutien de Londres à Constantinople lors du Congrès de Berlin (13
juin-13 juillet 1878) [6], une conférence diplomatique au cours
de laquelle les grandes puissances de l’époque devaient s’accorder sur le
découpage territorial des Balkans à la suite de la guerre russo-ottomane de
1877-1878.
Londres
annexe toutefois totalement Chypre le 5 novembre 1914 en réaction à l’entrée en
guerre de l’Empire ottoman contre les Alliés durant la Première Guerre
mondiale. L’article 20 du traité de Lausanne (24 juillet 1923) signe
l’acquisition pleine et définitive de l’île de Chypre par l’Empire britannique
au détriment de la Turquie ; l’article 21 du traité laisse quant à lui le
choix aux Turcs résidant sur l’île de Chypre de partir dans un délai de deux
ans ou de rester et devenir, de fait, des citoyens de l’Empire britannique [7].
Au
lendemain de la Première Guerre mondiale, la population chypriote est composée
de Grecs et de Turcs en parts relativement égales qui s’identifient tous à leur
pays d’appartenance respectif ; toutefois, sujets britanniques depuis
maintenant une cinquantaine d’années, les deux communautés apparaissent plus éduquées
et moins nationalistes que leurs consœurs en Europe et en Asie mineure ; à
de rares exceptions, Turcs et Grecs chypriotes cohabitent ainsi en paix sur
l’île.
Au
début des années 1950 toutefois, un groupe nationaliste grec nommé
« Organisation nationale des combattants chypriotes » (EOKA) est
fondé en Grèce par un ancien officier hellène, Georgios Grivas, vétéran des
deux guerres mondiales et responsable d’une cellule de résistance communiste en
Grèce durant l’occupation du pays par les puissances de l’Axe [8]. Son but est de provoquer - et forcer
- le départ des Britanniques de l’île de Chypre dans un premier temps puis,
dans un second temps, de réintégrer l’île au giron grec : ce rêve d’une
fusion de Chypre et de la Grèce portera un nom, celui de « l’Enosis »
(« union » en grec) [9].
Les
premières réunions secrètes de l’EOKA sont organisées le 2 juillet 1952 à
Athènes sous l’égide de l’archevêque Makarios III [10], futur Président de Chypre de 1960 à
1974. A la suite de ces discussions, un « Conseil de la révolution »
est établi le 7 mars 1953 ; début 1954, des convois clandestins d’armes et
de munitions sont organisés avec l’aval du gouvernement grec vers l’île de
Chypre afin de préparer l’insurrection. Georgios Grivas débarque secrètement
sur l’île le 9 novembre 1954 [11] et commence les préparatifs pour
la campagne de guérilla qu’il s’apprête à mener contre la présence britannique.
2. Début des
hostilités
Les
hostilités commencent le 19 juin 1955 par l’attaque de plusieurs postes de
police à Nicosie et Kyrenia [12]. L’EOKA s’en prend également à des
Chypriotes grecs de gauche opposés à l’Enosis. Après le pogrom d’Istanbul du
6-7 septembre 1955 [13], l’EOKA s’en prendra également à
plusieurs citoyens et intérêts turcs sur l’île durant plusieurs jours [14].
En
1956, l’EOKA intensifie ses opérations contre les autorités britanniques. Ces
dernières recrutent, en réaction, un nombre croissant de Turcs au sein des
forces de police afin de lutter contre les Grecs chypriotes soutenant l’EOKA.
Toutefois, soucieux de ne pas ouvrir un second front contre les Turcs
chypriotes en plus de celui, majeur, qui les oppose aux Britanniques, l’EOKA
émet des consignes claires visant à éviter les attaques contre les Turcs
chypriotes [15].
Ce
paradigme change toutefois en janvier 1957 : bouleversant ses tactiques,
l’EOKA choisit de cibler et de tuer délibérément des policiers turcs afin de
provoquer à Nicosie des émeutes de Turcs chypriotes révoltés contre ces
attentats commis par des Grecs [16]. Laissant Londres concentrée sur ces
émeutes, ces dernières offrent une diversion de choix à l’EOKA qui tire profit
de ce répit afin de consolider ses positions, essentiellement dans les
montagnes, et réarticuler son dispositif sur l’île. Les attentats de l’EOKA et
les émeutes de Nicosie, au cours desquelles un Grec chypriote est tué,
cristallisent les tensions entre communautés turques et grecques.
En
réaction à l’EOKA et aux hostilités croissantes entre Grecs et Turcs
chypriotes, une frange de ces derniers créé, avec le soutien d’Ankara,
l’Organisation turque de résistance (TMT) le 15 novembre 1957 [17]. Dès sa création, la TMT obtient un
soutien notable de la population turque chypriote car cette dernière perçoit en
l’EOKA une menace littéralement existentielle, se rappelant de l’exode général
des Turcs de Crète après la réunification de cette île avec la Grèce le 10 août
1913 (traité de Bucarest) [18]. Armée par Ankara, la TMT s’en prend
rapidement à l’EOKA et à ses soutiens grecs sur l’île de Chypre.
Le
12 juin 1958, huit Grecs chypriotes du village de Kondemenos, arrêtés par la
police britannique au titre de leur appartenance à un groupe armé suspecté de
préparer une attaque contre le quartier turc chypriote de Skylloura, sont tués
par la TMT près du village de Gönyeli, majoritairement peuplé de Turcs
chypriotes, après que les policiers britanniques les y ai laissés, provoquant
un tollé au sein de la population grecque de l’île [19]. La TMT détruit par ailleurs à
l’explosif les locaux du bureau de presse turc à Nicosie le 7 juin 1958 afin de
faire attribuer cet attentat aux Grecs chypriotes et mobiliser davantage les
Turcs. Plusieurs Turcs chypriotes partisans d’une indépendance pleine et
entière de l’île sont par ailleurs assassinés par les miliciens turcs [20].
Le
19 février 1959, la Turquie, la Grèce, la Grande-Bretagne et les responsables
des communautés turques et grecques chypriotes se réunissent à Lancaster House,
à Londres, afin de discuter d’une potentielle indépendance de l’île de Chypre [21]. Celle-ci sera finalement acceptée par
les différentes parties présentes et officialisée à Zürich, donnant ainsi
naissance aux « accords de Londres-Zürich » [22]. L’indépendance de Chypre devient
effective le 16 août 1960.
Lire
la partie 2
Bibliographie :
Hill, George. A
history of Cyprus. Vol. 3. Cambridge University Press, 2010.
Hatzivassiliou,
Evanthis. "The Lausanne Treaty Minorities in Greece and Turkey and the
Cyprus Question, 1954-9." Balkan Studies 32, no. 1 (1991) : 145-161.
Byford-Jones, Wilfred.
Grivas and the story of EOKA. R. Hale, 1959.
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"Enosis and Only Enosis." In Makarios, pp. 41-61. Palgrave Macmillan,
London, 1981.
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1954–60." The Journal of Imperial and Commonwealth History 21, no. 3
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Morag, Nadav.
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Hocknell, Peteri,
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"Kıbrıs’ ta Yaşananlar ve Türk Mukavemet Teşkilatı (1957-1964)."
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"Cyprus : Nationalism vs. Human Rights." Universal Hum. Rts. 1
(1979) : 89.
Akgül, Mehmet Uğraş.
"Türk Mukavemet Teşkilatı." Master’s thesis, Balıkesir Üniversitesi
Sosyal Bilimler Enstitüsü, 2016.
Holland, Robert.
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1950s." Middle Eastern Studies 56, no. 5 (2020) : 759-770.
Faustmann, Hubert.
"Independence Postponed : Cyprus 1959-1960." The Cyprus Review
14, no. 2 (2002) : 99-119.
Hatzivassiliou,
Evanthis. "Cyprus at the Crossroads, 1959–63." European History
Quarterly 35, no. 4 (2005) : 523-540.
·
Turquie
·
Histoire
Publié le 27/08/2020
EMILE
BOUVIER
Emile
Bouvier est étudiant à l’Université Paris 1 – Panthéon-Sorbonne, où il prépare
les concours de la fonction publique. Diplômé d’un Master 2 en Géopolitique, il
a connu de nombreuses expériences au Ministères des Armées, notamment au Centre
de planification et de conduite des opérations (CPCO), à l’Etat-major des
Armées dans une cellule d’analyse géopolitique, ou encore en Mission de Défense
(MdD) en Turquie. Son grand intérêt pour la Turquie et la question kurde l’ont
amené à voyager à de nombreuses reprises dans la région et à travailler sur les
problématiques turques et kurdes à de multiples occasions.
Notes
[1] Qui
réaffirmait, elle-même, la résolution 365 du 13 décembre 1974 à la suite de
l’invasion turque.
[2] http://unscr.com/en/resolutions/541
[3] https://www.diplomatie.gouv.fr/fr/dossiers-pays/chypre/presentation-de-chypre/
[4] https://www.lemonde.fr/international/article/2020/08/13/tensions-entre-la-grece-et-la-turquie-la-france-envoie-deux-rafale-et-deux-batiments-de-la-marine-nationale_6048868_3210.html
[5] https://www.aljazeera.com/news/2019/11/hails-frank-cyprus-talks-vows-seek-peace-effort-restart-191126052820206.html
[6] Hill, George. A history of Cyprus. Vol. 3.
Cambridge University Press, 2010.
[7] Hatzivassiliou, Evanthis. "The Lausanne
Treaty Minorities in Greece and Turkey and the Cyprus Question, 1954-9."
Balkan Studies 32, no. 1 (1991) : 145-161.
[8] Byford-Jones, Wilfred. Grivas and the story of
EOKA. R. Hale, 1959.
[9] Ibid.
[10] Mayes, Stanley. "Enosis and Only
Enosis." In Makarios, pp. 41-61. Palgrave Macmillan, London, 1981.
[11] Grivas, George, and Geōrgios Grivas. Guerrilla
warfare and EOKA’s struggle : A politico-military study. [London] :
Longmans, 1964.
[12] Anderson, David M. "Policing and
communal conflict : the Cyprus Emergency, 1954–60." The Journal of
Imperial and Commonwealth History 21, no. 3 (1993) : 177-207.
[13] Le pogrom
d’Istanbul de 1955 a consisté en l’attaque de Grecs et d’intérêts grecs à
Istanbul par des nationalistes turcs soutenus officieusement par Ankara ;
un nombre indéterminé de personnes, oscillant entre 13 et 30, trouvera la mort
au cours de ce pogrom.
[14] Vryonis, Speros. The mechanism of
catastrophe : the Turkish pogrom of September 6-7, 1955, and the
destruction of the Greek community of Istanbul. Greekworks. Com Incorporated,
2005.
[15] Morag, Nadav. "Cyprus and the clash of Greek
and Turkish nationalisms." Nationalism and Ethnic Politics 10, no. 4
(2004) : 595-624.
[16] Hocknell, Peteri, Vangelis Calotychos, and Yiannis
Papadakis. "Introduction : Divided Nicosia." Journal of
Mediterranean Studies 8, no. 2 (1998) : 147-168.
[17] YÜKSEL, Dilek YİĞİT. "Kıbrıs’ ta Yaşananlar
ve Türk Mukavemet Teşkilatı (1957-1964)." Atatürk Araştırma Merkezi
Dergisi 34, no. 98 (2018) : 311-376.
[18] Pollis, Adamantia. "Cyprus :
Nationalism vs. Human Rights." Universal Hum. Rts. 1 (1979) : 89.
[19] Akgül, Mehmet Uğraş. "Türk Mukavemet
Teşkilatı." Master’s thesis, Balıkesir Üniversitesi Sosyal Bilimler
Enstitüsü, 2016.
[20] Holland, Robert. "Playing the Turkish
card : British policy and Cyprus in the 1950s." Middle Eastern
Studies 56, no. 5 (2020) : 759-770.
[21] Faustmann, Hubert. "Independence
Postponed : Cyprus 1959-1960." The Cyprus Review 14, no. 2
(2002) : 99-119.
[22] Hatzivassiliou, Evanthis. "Cyprus at the
Crossroads, 1959–63." European History Quarterly 35, no. 4 (2005) :
523-540.
β’ μέρος
AFP
1. Une république
en crise dès sa naissance
Les
accords de Londres-Zürich créent une république chypriote dont la Constitution
s’avère toutefois inadaptée : impraticable aux vu des enjeux identitaires
inhérents aux particularités socio-ethniques de l’île, ce texte de loi ne vivra
que trois ans, essentiellement en raison d’un clivage majeur entre Grecs et
Turcs chypriotes : là où les premiers souhaitent « l’Enosis »,
c’est-à-dire l’unification avec la Grèce, les seconds lui préfèrent la
« Taksim » (« division », en turc), c’est-à-dire une
partition territoriale de l’île entre la Grèce et la Turquie [1].
Par
ailleurs, les Grecs chypriotes expriment un ressentiment croissant envers le
grand nombre de postes gouvernementaux attribués aux Turcs au vu de leur plus
faible population comparé aux Grecs à Chypre. Selon la Constitution, 30% des
postes administratifs devaient en effet être attribués aux Turcs [2], quand bien même ils ne représentaient
que 18% de la population en 1960 [3]. Le poste de vice-président était, de
surcroît, réservé aux Turcs ; compte-tenu du pouvoir de veto que le
président et le vice-président détenaient, l’attribution de ce poste aux Turcs
revêtait une dimension particulièrement irritante pour les Grecs [4].
En
décembre 1963, après une fronde parlementaire menée par les députés turcs ayant
bloqué le processus législatif chypriote [5], le Président de la république
chypriote Makarios propose treize amendements constitutionnels consistant
principalement à dépouiller les Turcs chypriotes d’un grand nombre de leurs
protections en tant que minorité et d’ajuster notamment les quotas ethniques au
sein du gouvernement, révoquant par la même occasion le veto du Président et de
son adjoint [6].
Ces
propositions de réforme constitutionnelle provoquent un scandale en raison de
leur ressemblance avec plusieurs points du « plan Akritas » :
frustrés par les blocages provoqués par les parlementaires turcs et convaincus
que la Constitution chypriote empêche l’Enosis, tout en garantissant des droits
disproportionnellement étendus à la communauté turque, plusieurs hommes
politiques grecs chypriotes ont mis au point le « plan
Akritas » ; ce document interne à l’EOKA consiste en un programme
d’affaiblissement des Turcs chypriotes devant ouvrir la voie à une réunification
de la Grèce avec Chypre. Afin de parvenir à sa fin, le plan Akritas prévoyait
notamment une prise de pouvoir des Grecs par la force et l’établissement
préalable d’une force paramilitaire dont la mission consisterait à mater
violemment toute révolte turque cherchant à s’opposer au bon déroulement du
plan [7].
Les
amendements constitutionnels proposés par le Président chypriote sont, sans
surprise, rejetés massivement par les parlementaires turcs tandis les ministres
turcs quittent aussitôt le gouvernement. Quelques jours après, le 21 décembre
1963, les premiers affrontements intercommunautaires recommencent : deux
Turcs chypriotes sont tués lors d’un incident impliquant la police grecque. La
Turquie, la Grande-Bretagne et la Grèce, garants des accords de Londres-Zürich
qui ont conduit à l’indépendance de Chypre, expriment alors leur souhait d’une
intervention de l’OTAN sur l’île afin d’y ramener le calme [8].
Le
Président chypriote Makarios et le Vice-président Küçük appellent à la paix et
au dialogue, en vain. Tandis que les affrontements intercommunautaires
s’intensifient, les contingents de l’armée turque basés à Chypre quittent leur
base et s’emparent de la position la plus stratégique de l’île, située sur la
route entre Nicosie et Kyrenia, veine jugulaire historique de l’île [9]. Les forces turques garderont le
contrôle de cette route jusqu’au 20 juillet 1974, tirant parti de cet atout
stratégique majeur pour leur invasion de l’île. De 1963 jusqu’en 1974, les
Grecs chypriotes souhaitant utiliser cette route ne pourront le faire
qu’accompagnés d’un convoi de l’ONU [10].
En
représailles, 700 résidents turcs de Nicosie du nord sont pris en otages ;
seuls 534 seront libérés vivants à l’issue de combats qui provoqueront la mort
de 364 Turcs et 174 Grecs chypriotes. 109 villages turcs ou mixtes seront
détruits et environ 30 000 Turcs fuiront leur domicile [11].
Dans
la suite de ces événements, la Turquie propose à nouveau la solution d’une
partition territoriale de l’île. L’intensification des combats, en particulier
autour des zones tenues par des milices turques chypriotes, ainsi que l’échec
de la Constitution de 1960, sont utilisées comme justifications à une possible
invasion turque. La Turquie est sur le point de lancer l’offensive lorsque le
Président américain Lyndon B. Johnson avertit Ankara, le 5 juin 1964, que
Washington s’oppose à une invasion turque de Chypre et que les Etats-Unis ne viendraient
pas en aide à la Turquie si une invasion de l’île menait à une confrontation
avec l’Union soviétique [12]. Un mois plus tard, les négociations
débutent entre Athènes et Ankara sous l’égide des Etats-Unis et plus
particulièrement du Secrétaire d’Etat américain Dean Rusk [13].
La
crise résultera finalement en la fin de la participation turque à
l’administration publique de Chypre. Dans certaines régions, les Grecs
chypriotes empêcheront les Turcs de se déplacer et d’entrer dans des bâtiments
gouvernementaux, tandis qu’en d’autres endroits les Turcs refuseront de quitter
leur poste et continueront d’obéir aux ordres d’un gouvernement turc chypriote
non-officiel.
Cette
situation aboutira ainsi de facto à la création d’enclaves administratives
turques directement soutenues par la Turquie. Le 4 mars 1964, le Conseil de
sécurité des Nations unies adopte la résolution 186 entérinant le déploiement
de Casques bleues à Chypre [14]. La Force des Nations unies chargée du
maintien de la paix à Chypre (UNFICYP) se déploie ainsi à l’aéroport de Nicosie
et sépare la capitale en deux par une « Green Line » [15].
La
présence de l’UNFICYP ne se montrera toutefois pas assez dissuasive : les
affrontements reprennent en 1967. La situation ne se calmera pas avant la
menace d’une nouvelle invasion turque, justifiée cette fois par les menaces de
nettoyage ethnique planant, selon Ankara, sur les Turcs chypriotes. Afin
d’éviter une invasion turque, un compromis est trouvé par les Etats-Unis et les
signataires des accords de Londres-Zürich afin d’amener la Grèce à retirer une
partie de ses troupes de l’île ; Georgios Grivas, leader de l’EOKA, est
quant à lui sommé de se retirer de l’île. Il est demandé au gouvernement
chypriote, enfin, de lever certaines restrictions de mouvement pesant sur les
Turcs chypriotes et d’améliorer leur accès aux denrées de première nécessité [16]. La situation s’apaise alors jusqu’en
1974, où un nouveau coup de théâtre se produit.
En effet, au printemps
1974, les services de renseignement grecs chypriotes découvrent que l’EOKA-B [17] planifie
un coup d’Etat contre le Président Makarios avec le soutien de la junte
militaire grecque.
La junte est en effet
arrivée au pouvoir à Athènes le 21 avril 1967 après un putsch organisé par des
colonels de l’armée grecque ; cette junte en tirera d’ailleurs son surnom,
la « dictature des colonels ». Le 25 novembre 1973 toutefois, un
nouveau coup d’Etat organisé par le général de brigade Dimitrios Ioannidis
vient renverser la junte en place par une dictature plus inflexible encore,
présidée par le général Phaedon Gizikis.
Ioannidis estime que
Makaroios n’est plus un partisan de l’Enosis et le suspecte même de sympathie
envers le communisme ; à ce titre, il décide de soutenir l’EOKA-B et la
Garde nationale grecque dans leur projet de renverser Makarios [18].
Le 2 juillet 1974,
Makarios écrit une lettre ouverte au Président Gizikis où il déplore que
« des cadres du régime militaire grec soutiennent et pilotent les
activités de l’organisation terroriste EOKA-B » [19].
Il y ordonne par ailleurs que la Grèce retire du territoire chypriote les
quelque 650 officiers grecs alors détachés au sein de la Garde nationale
chypriote. La réponse du gouvernement grec est immédiate : il ordonne
l’exécution du coup d’Etat et le 15 juillet 1974, des bataillons de la Garde
nationale chypriote, conduits par des officiers grecs, renversent le
gouvernement de Chypre.
Makarios échappe de
peu à la mort au cours des affrontements. Il fuit le palais présidentiel par
une porte dérobée et se rend à Paphos, où les Britanniques parviennent à le
récupérer dans l’après-midi du 16 juillet et l’exfiltrent vers Londres après un
passage à Malte [20].
Dans le même temps,
Nikos Sampson est déclaré président par intérim du nouveau gouvernement
chypriote. Ultra-nationaliste et partisan résolu de l’Enosis, Sampson est connu
pour son opposition farouche à la présence turque sur le sol chypriote et a
pris part, à plusieurs reprises, à des violences contre des civils turcs lors
des affrontements ayant eu cours à Chypre les années précédentes [21].
Le régime de Sampson
prend le contrôle des stations de radio et déclare que Makarios a été
tué ; mais Makarios, réfugié à Londres, est alors en mesure de prouver le
contraire. 91 personnes seront tuées pendant le coup d’Etat [22].
Les Turcs chypriotes ne seront toutefois pas affectés par le coup d’Etat contre
Makarios ; Ioannides ne souhaite pas, en effet, provoquer une réaction de
la Turquie.
En réaction au putsch,
le Secrétaire d’Etat américain Henry Kissinger envoie le diplomate Joseph Sisco
tenter une médiation du conflit [23] ;
la Turquie lui adresse alors une liste de demandes [24] incluant
le retrait immédiat de Nikos Sampson du pouvoir, le retrait des 650 officiers
grecs de la Garde nationale chypriote, l’admission sur le territoire chypriote
de contingents militaires venant de Turquie afin que cette dernière puisse
protéger sa communauté, des droits égaux pour les deux communautés, et un accès
à la mer au nord de l’île pour les Turcs chypriotes [25]. Bülent Ecevit, Premier ministre turc de l’époque,
prend parallèlement attache avec son homologue britannique afin d’appeler la
Grande-Bretagne, en tant que signataire et garante des traités de
Londres-Zürich, à officier auprès de la Grèce afin de rétablir le calme à
Chypre. La Grande-Bretagne déclinera l’offre de la primature turque et
refusera, de fait, que cette dernière utilise les bases britanniques à Chypre
pour ses opérations militaires à venir. Face au chaos régnant à Chypre, et
craignant pour la communauté turque locale, la Turquie se prépare en effet à
lancer une invasion à grande échelle de l’île ; ce sera l’objet de
la troisième partie
de cet article.
Lire sur Les clés du
Moyen-Orient :
Les enjeux
énergétiques en Méditerranée orientale, ou la création d’une nouvelle arène
géopolitique au Moyen-Orient. Partie I : des gisements d’hydrocarbures
particulièrement prometteurs
Les enjeux
énergétiques en Méditerranée orientale, ou la création d’une nouvelle arène
géopolitique au Moyen-Orient. Partie II : manœuvres et contre-manœuvres
géopolitiques en MEDOR
Tensions entre
la Turquie, la France et la Grèce en Méditerranée orientale : origine de
la crise et point d’actualité
Rapprochements
et marginalisations autour du gaz en Méditerranée orientale (1/2)
L’Europe, la
Turquie, le Général. Les relations franco-turques à l’époque du Général de
Gaulle (1958-1969)
Bibliographie :
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Sitographie :
Tensions entre la
Grèce et la Turquie : la France envoie deux Rafale et deux bâtiments de la
marine nationale, Le Monde, 13/08/2020
https://www.lemonde.fr/international/article/2020/08/13/tensions-entre-la-grece-et-la-turquie-la-france-envoie-deux-rafale-et-deux-batiments-de-la-marine-nationale_6048868_3210.html
UN hails ’frank’
Cyprus talks, vows to seek peace effort restart, Al Jazeera, 26/11/2019
https://www.aljazeera.com/news/2019/11/hails-frank-cyprus-talks-vows-seek-peace-effort-restart-191126052820206.html
·
Notes
[1] Loizides, Neophytos G. "Ethnic nationalism
and adaptation in Cyprus." International Studies Perspectives 8, no. 2
(2007) : 172-189.
[2] Adams, Thomas W. "The first republic of Cyprus :
A review of an unworkable constitution." Western Political Quarterly 19,
no. 3 (1966) : 475-490.
[3] Cassia, Paul Sant. Bodies of evidence :
Burial, memory and the recovery of missing persons in Cyprus. Vol. 20. Berghahn
Books, 2005.
[4] Ker-Lindsay, James. "Presidential power and
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[5] Bitsios, Dēmētrēs S. Cyprus : The vulnerable
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[6] Hadjipavlou, Maria. "The Cyprus
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[7] Özgür, Özdemir. "The Cyprus Dispute and the
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[8] Windsor, Philip. "NATO and the Cyprus
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[9] Ker-Lindsay, James. Britain and the Cyprus crisis,
1963-1964. Vol. 27. Mannheim, Germany : Bibliopolis, 2004.
[10] Kliot, Nurit, and Yoel Mansfield. "The
political landscape of partition : The case of Cyprus." Political
geography 16, no. 6 (1997) : 495-521.
[11] Crawshaw, Nancy. "Cyprus : collapse of
the Zurich Agreement." The World Today 20, no. 8 (1964) : 338-347.
[12] Brands Jr, H. W. "America enters the Cyprus
tangle, 1964." Middle Eastern Studies 23, no. 3 (1987) : 348-362.
[13] Göktepe, Cihat. "The Cyprus crisis of 1967
and its effects on Turkey’s foreign relations." Middle Eastern Studies 41,
no. 3 (2005) : 431-444.
[14] Higgins, Rosalyn. "Basic Facts on the UN
Force in Cyprus." The World Today 20, no. 8 (1964) : 347-350.
[15] Mirbagheri, Farid. Cyprus and International
Peacemaking 1964-1986. Routledge, 2014.
[16] Göktepe, Cihat. "The Cyprus crisis of 1967
and its effects on Turkey’s foreign relations." Middle Eastern Studies 41,
no. 3 (2005) : 431-444.
[17] Successeur de l’EOKA créé en 1970, fondé et
toujours dirigé par Georgios Grivas qui, le 31 août 1971, est retourné
secrètement à Chypre pour y prendre en main sa nouvelle organisation. Il mourra
le 27 janvier 1974 d’une crise cardiaque alors qu’il se cachait dans une maison
de Limassol.
[18] Nafpliotis, Alexandros. "Ioannidis, Cyprus,
and the irony of history." International Affairs at LSE (2010).
[19] Fouskas, Vassilis. "Reflections on the
Cyprus Issue and the Turkish Invasions of 1974." Mediterranean Quarterly
12, no. 3 (2001) : 98-127.
[20] Mayes, Stanley. Makarios : A biography.
Springer, 1981.
[21] Lewis, Paul. "Nikos Sampson, 66, Cyprus
President after coup, dies." New York Times 11 (2001).
[22] Drousiotis, Makarios. "Cyprus 1974 :
Greek Coup and Turkish Invasion." Quotations from The Cyprus Review are
welcome, but acknowledgement (2009) : 241.
[23] Joseph, Joseph S. "International dimensions
of the Cyprus problem." The Cyprus Review 2, no. 2 (1990) : 15.
[24] Adamson, Fiona B. "Democratization and the
domestic sources of foreign policy : Turkey in the 1974 Cyprus
crisis." Political Science Quarterly 116, no. 2 (2001) : 277-303.
[25] Ibid.
------------------------------------------------------------------
γ' Μέρος
1. Première
invasion turque, juillet 1974
Dans
la nuit du 19 au 20 juillet 1974, la Turquie lance l’opération
« Atilla » : l’invasion de Chypre commence. Des détachements
turcs débarquent peu avant l’aube avec de l’armement lourd à Kyrenia
(aujourd’hui Girne, en turc) sur la côte nord et rencontrent une forte
résistance de la part des forces grecques et chypriotes grecques. La
justification d’Ankara pour lancer son offensive consiste alors à brandir le
« Traité de Garantie » en vertu duquel la Turquie dispose de
prérogatives pour protéger les Chypriotes turcs et garantir l’indépendance de
Chypre [1].
Deux jours après les premiers affrontements, au moment où le Conseil de
sécurité des Nations unies réussit à obtenir un cessez-le-feu, les forces
turques sont parvenues à s’emparer d’un étroit couloir territorial reliant
Kyrenia à Nicosie (équivalant peu ou prou à 3% du territoire chypriote [2]).
Au terme de plusieurs violations du cessez-le-feu imposé par la résolution 353
du Conseil de Sécurité le 20 juillet [3],
l’armée turque parviendra au fil des semaines suivantes à étendre davantage
encore l’espace chypriote sous son contrôle [4].
Les
réactions grecques à l’offensive ne se font pas attendre. Dès le 20 juillet, alors
que les 10 000 Turcs de l’enclave de Limassol se rendent à la Garde
nationale chypriote, le quartier général de ces derniers est brûlé par les
Grecs, des femmes sont violées et plusieurs Turcs abattus [5].
Sur ces 10 000 Turcs chypriotes, 1 300 seront ensuite détenus dans un
camp de prisonniers [6].
L’enclave de Famagusta fait quant à elle l’objet de plusieurs bombardements,
tandis que celle de Lefka est aussitôt occupée par les forces grecques
chypriotes [7].
Selon
le Comité International de la Croix Rouge, le total des prisonniers de guerre
détenus par les deux camps à ce stade et avant la seconde invasion comprend 385
Grecs chypriotes habitant la ville d’Adana en Turquie, et 63 autres dans le
district de Saray, dans la province de Van, toujours en Turquie. Sur l’île de
Chypre même, les Grecs détiennent 3 268 Turcs dans plusieurs camps de
prisonniers disséminés à travers Chypre [8].
Le
23 juillet 1974, la junte en Grèce s’effondre, essentiellement en raison de la
situation à Chypre. Nikos Sampson renonce à la présidence de Chypre le même
jour ; il est remplacé temporairement par Glafcos Clerides, qui restera en
poste jusqu’au 7 décembre 1974. Dans le cadre de la disparition de la junte,
les dirigeants politiques grecs, alors en exil, reviennent dans leur
pays : le 24 juillet 1974, Constantine Karamantis rentre ainsi de Paris et
prête le serment de Premier ministre. Sa première mesure est de s’opposer à ce
que la Grèce entre en guerre contre la Turquie [9].
Cette action sera hautement critiquée par l’opposition et certains la
caractériseront d’acte de trahison [10].
Dans
le cadre du cessez-le-feu exigé par le Conseil de Sécurité des Nations unies et
de la volonté de Constantine Karamantis de négocier, un premier cycle de
pourparlers de paix est organisé à Genève, en Suisse, du 25 au 30 juillet 1974.
James Callaghan, Secrétaire aux Affaires étrangères britannique de l’époque (et
par ailleurs futur Premier ministre), est à l’initiative de cette conférence à
laquelle participeront les trois puissances garantes des traités de
Londres-Zürich [11].
Cette conférence aboutit en une déclaration commune dans laquelle les
représentants respectifs estiment que la zone d’occupation turque doit cesser
d’être élargie, que les enclaves turques doivent être immédiatement évacuées
par les Grecs et qu’une autre conférence doit être tenue à Genève au plus vite,
en présence des représentants des deux communautés turques et grecques
chypriotes afin de restaurer la paix et de rétablir un gouvernement
constitutionnel [12].
Entre
la tenue de la première conférence de Genève et de la deuxième, en août 1974,
la sympathie de la communauté internationale, initialement portée vers la
Turquie dont elle estimait l’action militaire légitime, s’est tournée vers la
Grèce, qui vient alors de tourner le dos à la junte militaire pour renouer avec
un régime démocratique [13].
Ankara perçoit ce revirement d’attention comme une menace pour son agenda
chypriote [14].
Ainsi, lors du
deuxième cycle de négociations, la Turquie exige de la Grèce quelle accepte la
création d’un Etat fédéral et un transfert de population. Glafcos Clerides,
nouveau président de la République de Chypre, donnera sa réponse par une
promesse d’acceptation ou de refus de la proposition turque dans un délai de
36h à 48h afin de consulter Athènes et les leaders grecs chypriotes [15]. Craignant que Makarios et ses alliés
ne profitent de ce gain de temps pour organiser une coalition diplomatique,
voire militaire, contre la Turquie, cette dernière relance, le même jour, son
invasion de Chypre [16].
2. La deuxième invasion turque, du 14 au
16 août 1974
Quelques jours avant
l’organisation du deuxième cycle de négociations à Genève, et en prévision de
l’issue de celui-ci, le ministre turc des Affaires étrangères Turan Günes
aurait indiqué au Premier ministre Bülent Ecevit que : « Quand je dis
Ayse doit partir en vacances, cela voudra dire que nos forces armées seront
prêtes à agir. Même si la ligne téléphonique est mise sur écoute, cela
n’éveillera aucun soupçon » [17].
De fait, une heure et
demi après la fin de la conférence, Turan Günes appelle Ecevit et prononce la
phrase codée. Le 14 août 1974, la Turquie lance ainsi sa deuxième opération
aéroterrestre sur Chypre, qui aboutira à l’occupation par la Turquie de 37% du
territoire chypriote [18]. Le Secrétaire britannique aux
Affaires étrangères James Callaghan, divulguera plus tard que le Secrétaire
d’Etat américain Henry Kissinger se serait opposé à une action militaire que
les Britanniques envisageaient afin d’empêcher une nouvelle invasion turque [19].
Les forces turques
bousculent rapidement le dispositif défensif grec et parviennent à atteindre
Louroujina, à vingt kilomètres au sud-est de Nicosie. Malgré la perte de
plusieurs chars principaux de combat M47 Patton, les Turcs parviennent sans
difficulté majeure à atteindre les objectifs qu’ils s’étaient fixés [20]. Cette nouvelle offensive turque créé
son flot de réfugiés, en particulier parmi les Chypriotes grecs ; le total
de ces derniers est alors estimé entre 140 000 et 160 000 [21]. Le 18 août, après la déclaration d’un
cessez-le-feu la veille et après avoir atteint les objectifs qu’ils s’étaient
fixés, les Turcs cessent les hostilités, mettant fin aux opérations militaires
d’invasion de Chypre.
Les forces turques se
sont arrêtées, comme l’Etat-Major turc l’avait souhaité [22], à la simili-frontière incarnée par la
« Green line », créée lors des violences intercommunautaires de
l’hiver 1963. Celle-ci tient lieu, aujourd’hui encore, de frontière entre la
République turque de Chypre nord et la République de Chypre.
Cette limite est
également appelée « Atilla Line », en référence aux noms des
opérations turques d’invasion de Chypre (« Atilla-1 » et
« Atilla-2 »). Après l’avoir atteinte à l’issue des combats du mois
d’août 1974, les forces armées turques en feront en effet un véritable limes
équipé de fils de fer barbelés et parfois électrifiés, de murs en béton, de
miradors, de fossés antichars et, en certains endroits, de champs de mines [23]. Cette frontière matérielle passe par
le centre de Nicosie, séparant de fait la capitale chypriote en deux zones
méridionale et septentrionale [24].
Après la deuxième offensive
turque sur l’île de Chypre, une « zone de sécurité » sera établie par
les puissances garantes des traités de Londres et Zürich. Cet espace, situé
dans une sorte de no man’s land séparant les territoires turcs de ceux
contrôlés par les Chypriotes du sud, consiste en une zone tampon au sein de
laquelle, comme édictée par la résolution 353 du Conseil de Sécurité des
Nations unies, aucune force militaire autre que celle de la Force des Nations
unies chargée du maintien de la paix à Chypre (UNFICYP) ne peut pénétrer [25]. Elle borde donc, à l’est et au nord,
la ligne Atilla et, au sud et à l’ouest, la ligne de front grecque chypriote.
Après le conflit, les
représentants grecs chypriotes et les Nations unies consentent à un transfert
des 51 000 chypriotes turcs, qui n’avaient pas quitté leurs foyers dans le
sud, afin de les installer dans le nord contrôlé par les forces turques [26].
Le Conseil de Sécurité
des Nations unies condamnera à plusieurs reprises les actions militaires de la
Turquie à Chypre, en l’accusant notamment d’avoir violé l’article 4 du
« Traité de Garantie » donnant le droit aux garants de recourir à la
force dans le seul but de préserver, à Chypre, l’équilibre politique et
territorial tel que les garants l’avaient détaillé pendant les années 1960 [27]. Les conséquences de l’invasion de la
Turquie n’ont en effet pas abouti en une sauvegarde de la souveraineté de la
République et de son intégralité territoriale : l’île est aujourd’hui
divisée de facto entre deux entités politiques adverses, au nord et au sud.
Passant outre les
avertissements du Conseil de Sécurité des Nations unies, la Turquie déclare le
13 février 1975 que les zones occupées au nord de l’île de Chypre formeront
désormais « l’Etat fédéré turc de Chypre », créant un véritable tollé
international et une nouvelle condamnation du Conseil de Sécurité (résolution
367 du 12 mars 1975) [28]. Les Nations unies refusent alors de
reconnaître cette nouvelle situation politique au nord de Chypre et réaffirment
leur reconnaissance d’une seule et même souveraineté de la République de
Chypre, en vertu des clauses édictées de son indépendance en 1960.
En proclamant la
création de cet Etat fédéré turc de Chypre, les Turcs chypriotes espéraient
pouvoir, d’une certaine manière, imposer leur conception de la résolution du
conflit à Chypre, c’est-à-dire la création d’un Etat fédéral où coexisteraient
une zone turque et une zone grecque dotées toutes deux des mêmes droits et
prérogatives [29]. Le 10 juin 1976, des élections sont
ainsi organisées au sein de l’Etat fédéré turc et voient la victoire de Rauf
Denktaş, leader du « Parti de l’unité nationale ». Une fois le
Parlement turc chypriote élu, une constitution sera même rédigée et
s’articulera autour de l’espoir de la création prochaine d’un Etat fédéré grec
chypriote, au sud, permettant d’envisager la fondation d’un Etat fédéral
chypriote.
Finalement, après huit
ans de négociations infructueuses avec les Chypriotes grecs, les représentants
de Chypre nord déclarent unilatéralement leur indépendance et proclament la
création de la République turque de Chypre du Nord.
·
Turquie
Publié le 10/12/2020
EMILE BOUVIER
Emile Bouvier est
étudiant à l’Université Paris 1 – Panthéon-Sorbonne, où il prépare les concours
de la fonction publique. Diplômé d’un Master 2 en Géopolitique, il a connu de
nombreuses expériences au Ministères des Armées, notamment au Centre de
planification et de conduite des opérations (CPCO), à l’Etat-major des Armées
dans une cellule d’analyse géopolitique, ou encore en Mission de Défense (MdD)
en Turquie. Son grand intérêt pour la Turquie et la question kurde l’ont amené
à voyager à de nombreuses reprises dans la région et à travailler sur les
problématiques turques et kurdes à de multiples occasions.
Notes
[1] Drousiotis,
Makarios. "Cyprus 1974 : Greek Coup and Turkish
Invasion." Quotations from The Cyprus Review are welcome, but
acknowledgement (2009) : 241.
[2] https://www.aa.com.tr/en/europe/turkish-cyprus-marks-36th-foundation-anniversary/1646123
[3] http://unscr.com/en/resolutions/353
[4] Theodorides,
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(UNFICYP)." Int’l & Comp. LQ 31 (1982) : 765.
[5] Loizos,
Peter. The heart grown bitter : A chronicle of Cypriot war refugees.
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[6] Stern,
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Cyprus." Foreign Policy 19 (1975) : 34-78.
[7] Ibid.
[8] Berkes,
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Formation of Customary International Law, Melland Schill. Perspectives on
International Law (Manchester University Press, 2019) (2019).
[9] Clerides,
Glafcos. "Impediments to the Solution of the Cyprus
Problem." Seton Hall J. Dipl. & Int’l Rel. 1 (2000) :
15.
[10] Ibid.
[11] Ülman,
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[12] Asmussen,
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[13] Kazamias,
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[14] Salih,
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[15] Theophanous,
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[16] Bishku,
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[17] Alptekin,
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[18] https://www.europarl.europa.eu/enlargement/briefings/1a2_en.htm
[19] Warner,
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[20] Henn,
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[21] Loizos,
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[22] Fouskas,
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[23] Higate,
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[24] Gumpert,
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[25] Christodoulidou,
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Cyprus Review 20, no. 1 (2008) : 115-126.
[26] Özmen,
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[27] Kyriakides,
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[28] White,
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[29] Nedjati,
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Federated State of Cyprus." Anglo-American Law Review 5, no. 1
(1976) : 67-92.
--------------------------------------
4ο και τελευταίο μέρος της μελέτης
1. Proclamation de
la République turque de Chypre du Nord
Le
15 novembre 1983, l’assemblée chypriote turque déclare l’indépendance de la
République Turque de Chypre Nord. Immédiatement après cette déclaration, la
Grande-Bretagne, troisième pays le plus impliqué dans le dossier chypriote
après la Turquie et la Grèce, convoque une réunion extraordinaire du Conseil de
Sécurité des Nations unies afin de condamner celle-ci comme étant
« légalement invalide » [1].
La résolution 541 du Conseil de Sécurité des Nations unies adoptée le 18
novembre 1983 considère ainsi que « la tentative de créer la République
Turque de Chypre Nord est invalide, et va contribuer à empirer la situation à
Chypre » [2].
Le Conseil précise également « considérer la déclaration légalement
invalide et faire appel à son retrait » [3].
D’autres
condamnations suivront dans les mois à venir. La résolution 550 du 11 mai 1984
condamnera par exemple les « échanges d’ambassadeurs » entre la
Turquie et la République Turque de Chypre Nord, ajoutant que le Conseil de Sécurité
« considère que les tentatives de peupler une quelconque partie de l’île
par des populations autres que ses habitants indigènes est inadmissible, […] et
[le Conseil de Sécurité] appelle à un transfert de la zone nord de Chypre à
l’administration des Nations unies » [4].
La Turquie et République turque de Chypre Nord passeront outre cette résolution
et continueront de développer les institutions de la nouvelle entité politique
gouvernant le nord de l’île de Chypre.
Le
22 juillet 2010, la Cour de Justice Internationale des Nations unies décide que
« la loi internationale ne contient aucune interdiction sur les
déclarations d’indépendance » [5].
Face au tollé que va provoquer cette réponse pourtant juridiquement
non-contraignante, mais que beaucoup d’opposants à la République turque de
Chypre Nord perçoivent comme un blanc-seing à l’attention de cette dernière, le
Ministre allemand des Affaires étrangères Guido Westerwelle précisera que cette
décision « ne s’adresse pas à un différend spécifique comme celui de
Chypre mais à toute situation que pourrait connaître le monde ». Ces
déclarations ne suffiront pas à éteindre la polémique, que les médias turcs
progouvernementaux exploiteront à l’envi [6].
2. Etat des
négociations autour du différend chypriote : le plan Annan
Malgré
les appels récurrents du Conseil de Sécurité à destination de la Turquie
l’exhortant à rapatrier immédiatement et inconditionnellement toutes ses
troupes du territoire chypriote et de permettre le retour des réfugiés en toute
sécurité chez eux, la Turquie et la République turque de Chypre du Nord ont
maintenu leur position, affirmant qu’un retrait des troupes turques allait
mener à un retour des massacres et des violences intercommunautaires [7].
De
nombreuses initiatives visant à résoudre le conflit ont vu le jour depuis les
premières tensions en 1964 et en particulier depuis 1974. De l’invasion turque
de Chypre jusqu’à 2002, date du début des discussions autour du « Plan
Annan », qui sera détaillé plus loin, le camp chypriote turc sera perçu
par la communauté internationale comme le plus intransigeant et le moins ouvert
à un compromis ; toutefois, depuis 2002, la situation s’est inversée à la
suite, en particulier, du rejet du Plan Annan par les Grecs chypriotes [8].
En
effet, le Plan Annan, du nom de feu le Secrétaire général des Nations unies
Kofi Annan (1997-2006), a connu cinq révisions avant de parvenir à sa version
finale. La cinquième révision proposait, entre autres choses, la création d’une
République unie de Chypre couvrant la totalité de l’île à l’exception des zones
de souveraineté britanniques où sont situées, notamment, d’importantes
infrastructures militaires et aéronavales. Ce nouveau pays aurait consisté en
une fédération de deux Etats, l’un grec chypriote et l’autre turc chypriote, agissant
sous couvert d’un gouvernement fédéral inspiré du modèle suisse [9].
Le
Plan Annan prévoyait même, dans sa version finale, une gestion humanitaire et
sociale de l’après-crise visant à éteindre au plus vite, et au mieux, les
rancœurs éprouvées par les Chypriotes turcs et grecs : plus de la moitié
des chypriotes grecs déplacés en 1974 et leurs descendants auraient ainsi
récupéré leurs propriétés et y auraient habité sous un règlement administratif
chypriote grec pendant une période de 35 à 42 mois à partir de l’entrée en
force dudit règlement ; pour les Chypriotes dont les propriétés ne
pouvaient leur être rendues, un système de compensations financières ou
immobilières devait voir le jour suivant des modalités qui restaient encore à
préciser [10].
La
version finale du Plan Annan, fruit de plusieurs années de négociations
intenses avec les différents protagonistes du conflit, sera finalement proposée
à l’assentiment des Chypriotes eux-mêmes à l’occasion d’un référendum organisé
le 24 avril 2004 : si les Turcs chypriotes l’approuvent à une large
majorité (64,91%), les Grecs le refuseront avec davantage d’assurance encore
(75,83%) [11].
L’implémentation
du plan Annan étant conditionnée à son approbation par les deux parties
chypriotes, le refus grec enterrera définitivement ce projet d’un Etat fédéral.
Le Président de la République de Chypre Tassos Papadopoulos pondérera le
résultat du référendum en affirmant que ses concitoyens avaient juste rejeté le
plan Annan mais pas les autres solutions au problème chypriote ; en
Turquie, le Premier ministre Recep Tayyip Erdoğan, aujourd’hui Président de la
République turque, affirmera que ce résultat montrait la « bonne volonté
des Turcs de Chypre du Nord », ajoutant que « Chypre du Sud est la
véritable perdante de l’échec de ce référendum » [12].
L’échec
du référendum n’empêchera pas la République de Chypre d’intégrer l’Union
européenne quelques jours plus tard, le 1er mai 2004, aux côtés de neuf autres
pays. Eu égard à la situation particulière de l’île, l’Union européenne
affirmera que, bien que Chypre soit toujours divisée, l’acquis communautaire
européen – le corps législatif de l’Union européenne – s’applique uniquement
aux zones sous contrôle gouvernemental direct et sera donc suspendu dans les
zones occupées par l’armée turque et administrées par les Chypriotes turcs [13].
Néanmoins, un individu chypriote turc pouvant attester de son éligibilité à la
citoyenneté de la République de Chypre pourra légalement bénéficier des mêmes
droits accordés aux autres citoyens de l’Union européenne [14].
3. De 2018 à
aujourd’hui
Le
3 juillet 2018, dans une démarche de relance des négociations, le Secrétaire
Général des Nations unies Antonio Guterres nomme la diplomate américain Jane
Holl Lute comme sa nouvelle conseillère sur la question chypriote [15].
Sa mission est de jouer le rôle de courroie de transmission entre les deux
dirigeants chypriotes, Nicos Anastasiades et Mustafa Akinci, ainsi que les
trois partis garants (la Grèce, la Turquie et le Royaume Uni) afin de
déterminer si les conditions sont réunies pour envisager une reprise des
négociations sous l’égide de l’ONU et, le cas échéant, organiser ce nouveau
cycle de discussions. Jane Holl Lute conduira ainsi quatre cycles de
consultations : le premier en septembre 2018, le deuxième en octobre 2018,
le troisième en janvier 2019 et le quatrième le 7 avril 2019 ; elle
conclura que les protagonistes du différend chypriote sont pour le moment trop
opposés pour envisager de nouvelles négociations [16].
Le
5 février 2019, la Grèce et la Turquie annoncent pourtant leur souhait d’un
désamorçage des tensions caractérisant leurs relations diplomatiques depuis
maintenant plusieurs décennies [17] ;
les deux pays égéens s’engagent alors à mener un dialogue franc et constructif,
y compris sur le dossier du conflit chypriote. Finalement, la concurrence
politique et économique entre nations méditerranéennes autour de la découverte
de vastes gisements
d’hydrocarbures en Méditerranée orientale viendra mettre
un terme à ces discussions [18].
Conclusion
Aucun
progrès n’a été constaté sur le différend chypriote depuis le début de l’année
2020 ; le regain très net des tensions entre la Grèce et la Turquie sur la
question des migrants et de l’exploration des fonds sous-marins en Méditerranée
orientale notamment ne laisse que peu d’espoirs quant à une reprise des
négociations et d’une résolution potentielle de la question chypriote. Pour
autant, les diplomaties athénienne
et ankariote, qui se caractérisent par leur grand
pragmatisme, ont montré récemment leur capacité à initier des discussions
franches en se passant de la tutelle d’une grande puissance ou d’une
organisation internationale ; le dossier de la Méditerranée orientale, où
la Turquie et la Grèce se sont entendues le 22 septembre, au plus forte de la
crise, à reprendre le dialogue, tend à l’illustrer. La
possibilité d’une réouverture inattendue du dialogue sur le dossier chypriote
entre les deux éternels adversaires égéens reste ainsi toute ouverte.
Lire
sur les Clés du Moyen-Orient :
La Turquie et ses
nouveaux « alliés », sous la direction de Jean Marcou, revue Orients
Stratégiques numéro 9, 2019
Les enjeux
énergétiques en Méditerranée orientale, ou la création d’une nouvelle arène
géopolitique au Moyen-Orient. Partie II : manœuvres et contre-manœuvres
géopolitiques en MEDOR
Tensions entre la
Turquie, la France et la Grèce en Méditerranée orientale : origine de la
crise et point d’actualité
Rapprochements et
marginalisations autour du gaz en Méditerranée orientale (1/2)
L’Europe, la Turquie,
le Général. Les relations franco-turques à l’époque du Général de Gaulle
(1958-1969)
Bibliographie :
Nedjati, Zaim, and
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2003.
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and Eser Keskiner. "The Aftermath of the Annan Plan referendums :
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Sitographie :
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https://www.aljazeera.com/news/2020/9/7/greece-to-boost-military-amid-tension-with-turkey
Erdogan :
Turkey-Greece disputes can be resolved peacefully
https://www.aljazeera.com/news/2019/2/5/erdogan-turkey-greece-disputes-can-be-resolved-peacefully
UN envoy ends mission
in Nicosia without announcing resumption of Cyprus negotiations, Xinhuanet,
05/02/2019
http://www.xinhuanet.com/english/2019-02/05/c_137799431.htm
Security Council Renews
Mandate of United Nations Peacekeeping Force in Cyprus, Unanimously Adopting
Resolution 2430 (2018), United Nations, 26/07/2018
https://www.un.org/press/en/2018/sc13434.doc.htm
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https://www.europarl.europa.eu/enlargement/briefings/1a2_en.htm
Turkish Cyprus marks
36th foundation anniversary, Anadolu Ajansi, 15/11/2019
https://www.aa.com.tr/en/europe/turkish-cyprus-marks-36th-foundation-anniversary/1646123
Resolution 353, UNSCR,
20/07/1974
http://unscr.com/en/resolutions/353
Publié le 18/12/2020
EMILE
BOUVIER
Emile
Bouvier est étudiant à l’Université Paris 1 – Panthéon-Sorbonne, où il prépare
les concours de la fonction publique. Diplômé d’un Master 2 en Géopolitique, il
a connu de nombreuses expériences au Ministères des Armées, notamment au Centre
de planification et de conduite des opérations (CPCO), à l’Etat-major des
Armées dans une cellule d’analyse géopolitique, ou encore en Mission de Défense
(MdD) en Turquie. Son grand intérêt pour la Turquie et la question kurde l’ont
amené à voyager à de nombreuses reprises dans la région et à travailler sur les
problématiques turques et kurdes à de multiples occasions.
Notes
[1] Nedjati,
Zaim, and Geraint Leathes. "A Study of the Constitution of the Turkish
Federated State of Cyprus." Anglo-American Law Review 5, no. 1
(1976) : 67-92.
[2] https://undocs.org/fr/S/RES/541(1983)
[3] Ibid.
[4] https://undocs.org/fr/S/RES/550(1984)
[5] https://www.icj-cij.org/files/case-related/141/16012.pdf
[6] Uluğ
Eryılmaz, Burçin. "Europeanization or not ? Turkish foreign policy
and the Cyprus problem, 1999-2014." PhD diss., Bilkent University, 2015.
[7] Migdalovitz,
Carol, and Foreign Affairs, Defense, and Trade Division. "Cyprus :
Status of UN Negotiations." Congressional Research Service, The Library of
Congress, 2003.
[8] Loizides,
Neophytos, and Eser Keskiner. "The Aftermath of the Annan Plan
referendums : Cross-voting moderation for Cyprus." Southeast
European Politics 5, no. 2-3 (2004) : 158-171.
[9] Sözen,
A., & Özersay, K. (2007). The Annan plan : state succession or
continuity. Middle Eastern Studies, 43(1), 125-141.
[10] Hoffmeister,
Frank. Legal aspects of the Cyprus problem : Annan plan and EU
accession. Vol. 67. Martinus Nijhoff Publishers, 2006.
[11] Chadjipadelis,
Theodore, and Ioannis Andreadis. "Analysis of the Cyprus referendum on the
Annan plan." In Conference of the Political Studies Association
(PSA). 2007.
[12] Webster,
Craig, and Alexandros Lordos. "Who Supported the Annan
Plan ?." The Cyprus Review 18, no. 1 (2006) : 13-35.
[13] Eralp,
Atila. "The Last Chance in Cyprus Negotiations and the Turkey-EU
Relationship." ELIAMEP Thesis 1 (2010).
[14] Eralp,
Atila. "Temporality, Cyprus Problem and Turkey-EU
Relationship." Centre for Economics and Foreign Policy
Studies (2009).
[15] https://www.un.org/press/en/2018/sc13434.doc.htm
[16] http://www.xinhuanet.com/english/2019-02/05/c_137799431.htm
[17] https://www.aljazeera.com/news/2019/2/5/erdogan-turkey-greece-disputes-can-be-resolved-peacefully
[18] https://www.aljazeera.com/news/2020/9/7/greece-to-boost-military-amid-tension-with-turkey
https://static.lesclesdumoyenorient.com/La-politique-etrangere-de-la-Turquie-depuis-la-tentative-de-coup-d-Etat-de-2016.html
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