Entretien avec Azadeh Kian – Femmes moyen-orientales du Moyen Âge au début du XX ème siècle : actrices des transformations socio-politiques de la région
Publié
le 16/12/2020 • modifié le 16/12/2020 • Durée de lecture : 12 minutes
Azadeh
Kian
Azadeh Kian, professeure de sociologie, directrice du département de
sciences sociales et directrice du CEDREF, revient pour Les clés du
Moyen-Orient sur son ouvrage Femmes et pouvoir en islam (Editions
Michalon, 2019). En s’attachant à l’analyse des féminismes égyptiens, turcs et
iraniens, du Moyen Âge au début du XX ème siècle, elle s’intéresse à la place
des femmes dans les sphères du pouvoir politique, dans celles du religieux, et
aux actions menées dans le domaine associatif.
Pouvez-vous revenir sur votre parcours et sur votre
thèse “Politics of the New Middle Class in Iran and Egypt from the Nineteenth
Century Until 1979” ?
Je suis née en Iran et j’y ai grandi jusqu’à l’âge de 20 ans. J’étais
étudiante en quatrième année de science politique à Téhéran lorsque, après la
révolution de février 1979, le régime islamique a fermé les universités pour
faire « une révolution culturelle » à la chinoise. J’ai quitté le
pays pour la France fin 1980, j’ai appris la langue française et j’ai continué
mes études à l’EHESS où j’ai obtenu le diplôme équivalent à l’époque à une
maîtrise. La même année, je me suis rendue aux États-Unis et y ai découvert
l’UCLA (Université de Californie à Los Angeles) où j’ai décidé de rester et d’y
poursuivre mes études à partir de 1986. J’étais étudiante au département de
sociologie mais affiliée également au Centre du Moyen-Orient de l’UCLA. Après
ma thèse de doctorat, j’ai pris la décision de rentrer en France.
Lorsque les révoltes en Iran ont débuté en 1977-78, j’étais étudiante. Il
faut savoir que les universités étaient pionnières dans les contestations
contre le régime du Chah. Je participais donc à ces manifestations et par la
suite à la Révolution. Je voyais dans les manifestations non seulement des
étudiants mais également des fonctionnaires de l’État iranien : je me suis
ainsi interrogée sur le rôle des classes moyennes dites modernes, instruites,
qui, au Moyen-Orient, ont commencé à être numériquement importantes à partir
des années 1960-70 lorsque l’enseignement supérieur s’est étendu à différentes
couches sociales. Je me suis également interrogée sur les raisons de leur
mécontentement politique par rapport au régime du Chah : comment un régime
modernisateur comme celui du Chah qui a créé, contribué à l’extension de ces
classes moyennes modernes s’est-il retrouvé face à leur révolte ?
À mon arrivée en France, puis aux États-Unis, je me suis intéressée aux
classes moyennes modernes en Iran depuis le XIXème siècle. Une période
correspondant aux premières générations de personnes issues de l’équivalent de
l’école polytechnique en Iran que j’identifie comme étant les premiers noyaux
des classes moyennes modernes. Afin d’avoir un cas comparatif, j’ai choisi
d’étudier l’Égypte. À mon sens, il existe trois sociétés [1] au Moyen-Orient : l’Iran,
la Turquie et l’Egypte. Pourquoi l’Egypte ? De nombreux professeurs au
centre du Moyen-Orient de l’UCLA étaient Egyptiens, de plus, au XIXème siècle,
les Iraniens essayaient d’envoyer des étudiants en Egypte. La langue persane
était également la langue utilisée à la cour d’Egypte.
Cependant, à cette époque, je ne possédais pas de passeport français,
uniquement un passeport de réfugiés. Comme il n’y avait pas de relations
diplomatiques entre l’Iran et l’Egypte, les autorités égyptiennes ne m’ont pas
accordé de visa en raison de ma nationalité. Mon projet d’aller faire des
recherches de terrain n’a pas pu aboutir, je me suis donc contentée de lectures
bibliographiques et j’ai également interviewé des intellectuels égyptiens qui
se trouvaient à Paris ou qui étaient de passage à Paris. J’ai finalement rédigé
cette thèse qui était alors l’une des seules à s’être intéressée à l’évolution
des classes moyennes modernes et leur rôle politique en Iran.
Au cours de mes recherches historiques pour ma thèse de doctorat, je me
suis rendue compte que les femmes avaient été omniprésentes dans tous les
mouvements sociaux. Par le biais de la participation des classes moyennes
modernes aux mouvements sociaux de ces pays à partir du début du XXème siècle,
j’ai abordé la question des classes moyennes et de leur rôle politique. Les
femmes y sont présentes partout : la première participation importante des
femmes se fait au XIXème siècle lors de la révolte du tabac où les femmes, y
compris celles du roi et de son entourage, ont participé en refusant de fumer
le tabac devenu britannique. Elles ont également fondé en 1905 des associations
secrètes avec des revendications sociales et politiques et participé à la
révolution constitutionnelle de 1906-11. Une partie a même pris des armées pour
se battre et plusieurs dizaines ont été tuées par les forces de coercition. En
Egypte aussi, les femmes appartenant tant à l’élite qu’aux classes populaires
étaient présentes lors de la Révolution de 1919.
Je suis retournée en Iran en 1994 lorsque le président
Hachemi-Rafsanjani a favorisé le retour des Iraniens de la diaspora. À cette
époque, j’étais post-doctorante au CNRS, j’ai donc obtenu des missions de
recherche et un passeport iranien. Pour ce faire, il fallait prendre une photo
voilée. J’étais tétanisée à l’idée de me voiler ne serait-ce que pour prendre
une photo. Finalement je l’ai fait, sous la pression et l’encouragement de mes
parents qui souhaitaient mon retour. Une fois en Iran, j’ai constaté que
contrairement à leur représentation négative (passives, opprimées, cachées sous
leur tchador noir…), les femmes iraniennes étaient combatives, actives,
présentes malgré les interdits et les discriminations, elles luttaient pour
améliorer leur condition de vie. J’y ai aussi rencontré des féministes
musulmanes qui proposaient une relecture du Coran et des traditions islamiques
au profit de l’égalité homme-femme. Ce sont des femmes qui viennent
principalement de la classe moyenne, elles ont souvent une double formation
universitaire et religieuse et tentent d’expliquer que l’islam avait été
jusque-là réinterprété par des hommes jurisconsultes guidés par leurs intérêts
propres.
Plus tard, je me suis intéressée à l’Islam et au rôle des femmes dans
l’histoire de l’Islam, ce qui n’était pas le cas avant : je n’avais pas
appris la religion car ma famille est laïque voire agnostique. Est-il récent
que les femmes prennent cette initiative de réinterpréter la religion au profit
de l’égalité homme-femme ou est-ce ancré dans l’histoire ? Ces
interrogations ont structuré la rédaction de mon ouvrage Femmes et
pouvoir en Islam.
Pouvez-vous
expliquer la « construction statique et essentialiste » (page 14) des
femmes musulmanes que vous évoquez dans l’introduction de votre ouvrage ?
Les femmes moyen-orientales, surtout musulmanes, sont représentées
souvent par la littérature orientaliste comme des femmes « opprimées,
victimes de l’Islam, illettrées, incultes, paresseuses ». Ces mots sont
ceux utilisés par des voyageurs orientalistes (hommes et femmes) ayant visité
le Moyen-Orient au XVIIIème et XIXème siècles. Les femmes sont réduites à des
femmes de harem et stigmatisées du fait de leur port du voile.
Cette façon de représenter les femmes moyen-orientales laisse dire
qu’indépendamment de l’époque historique, ces femmes ne changent pas et
n’évoluent pas. Elles sont perçues comme étant incapables d’agir sur leur
propre vie et encore moins de participer aux transformations socio-politiques
de leur pays, victimes de leurs hommes et de l’Islam. Beaucoup de féministes
occidentales et les puissances coloniales se donnent alors pour mission
« de les sauver ». En 1792, la philosophe britannique Mary Wollstonecraft,
pourtant porte-étendard du féminisme libéral britannique, affirme, dans son
livre influent « La défense des droits de la femme » que les femmes
musulmanes n’ont pas d’âmes. Ce regard orientaliste des féministes occidentales
sur les femmes orientales est un regard statique et essentialiste qui refuse
toute possibilité de participation de ces femmes aux changements sociaux de
leur pays. Ce que j’essaie de montrer, c’est que contrairement à ces
allégations, ces femmes musulmanes iraniennes, turques, égyptiennes… étaient
très actives dans les mouvements sociaux de leurs pays et dans les
transformations sociopolitiques ou culturelles.
Les
femmes sont-elles présentes dans le milieu des sciences religieuses ?
Qu’est-ce que le Kitab al-nisa de l’historien Shams al-din al Sakhawi ?
Les sources que j’ai utilisées indiquent que savoir et science étaient
en effet fortement valorisés dans la société islamique médiévale. A partir du
IXème-Xème siècle, des femmes devenaient des spécialistes de hadith (les
dires et faits du Prophète) et de jurisprudence islamique. J’en cite seulement
une quinzaine dans mon ouvrage, mais il en existe des milliers dans l’ensemble
de ces pays musulmans, à Bagdad, au Caire, en Iran également. Elles
interprétaient et réinterprétaient les lois et traditions islamiques, elles
avaient une autorité et enseignaient dans les écoles théologiques de l’époque.
Elles étaient très respectées, leur influence dépassait largement la région de
leur résidence, elles étaient connues dans l’ensemble du Moyen-Orient.
Shams al-din al Sakhawi (1428-1497) est un savant égyptien du XVème
siècle, il avait lui aussi le droit d’interpréter la religion. Il a fait des
recherches sur la vie de plusieurs centaines de femmes afin de montrer qu’elles
avaient des droits : elles pouvaient négocier dans le cadre des lois
islamiques, leur droit au divorce, au remariage… Il était un homme littéraire
et s’intéressait aux conditions des femmes dans l’islam. Dans ses ouvrages, il
admet avoir été influencé par les enseignements de certaines femmes
théologiennes qui enseignaient dans les écoles théologiques. Néanmoins, ces
femmes ne devenaient pas directrices, étant dû au fait que les théologiens
hommes ont tout fait pour qu’elles ne puissent pas accéder aux postes clés. Il
s’agit donc d’une question de rapports de pouvoir qui étaient au détriment des
femmes.
Pouvez-vous
revenir sur le rôle des femmes de la famille des califes fatimides ? (page
43) ainsi que sous la dynastie Timuride ?
Les Fatimides sont une dynastie fondée en Ifriqiya au
Maghreb actuel, puis régnant depuis l’Egypte où ils choisissent Le Caire pour
capitale. Certaines femmes étaient à la fois reine et dont l’autorité était
reconnue dans les Mosquées. Contrairement à une idée reçue, dans l’histoire de
l’Islam, les femmes étaient présentes et respectées, elles s’occupaient à la
fois des affaires de la religion mais elles avaient également la capacité de
faire des jugements. Sous les Fatimides par exemple, les femmes avaient le
droit au divorce et le même droit à l’héritage que les hommes. D’autres sources
montrent qu’ailleurs, en Anatolie orientale par exemple, au XVIIème siècle, que
les femmes dans les villages allaient voir le juge religieux, elles obtenaient
le divorce et la garde de leurs enfants, leur part de l’héritage…
Chez les Fatimides, Malika Asma et Malika Arwa étaient deux reines de
Yémen qui était la capitale de cette dynastie au Xème-XIème siècle. Elles
jouaient un rôle important aux côtés de leur mari, califes, dans l’ensemble des
prises de décision religieuses, politiques, militaires et autres. En même
temps, elles étaient des bâtisseuses de mosquées qui portaient leur nom. Lors
des prières du vendredi, leurs noms étaient récités, montrant ainsi le respect
que les religieux avaient pour ces femmes.
Sitt al-Mulk, lorsque Le Caire était la capitale de la dynastie, a pris les
rênes du pouvoir en 1021 pendant 4 ans contre son frère, devenu fou et qui
avait ordonné des mesures extrêmement restrictives à l’encontre des femmes.
Sous la dynastie des Timurides, les femmes de la cour royale jouaient un rôle
important. Elles participaient souvent à des prises de décisions, elles
signaient des lettres officielles et jouaient le rôle de diplomates.
Sous
l’Empire Safavide, les femmes possèdent-elles un rôle politique voire
militaire ?
Les femmes de la famille royale Safavide étaient influentes, elles
participaient aux décisions politiques et militaires. D’autres avaient une
influence sur leurs fils qui devenaient par la suite prince ou roi. À partir du
système de cage, ce sont les mères des princes qui commencent à jouer un rôle
prépondérant dans l’éducation des princes, futurs rois, ce qui n’était pas le
cas avant. Ce phénomène se retrouve aussi sous l’Empire ottoman. Avant le
système de cage, les princes étaient envoyés en province et formés loin de la
cour royale.
Mahin Banou (1519-1562), Pari Khan Khanum II (1548 - 78) ou encore Zeynab Begum
(décédée en 1641) étaient des princesses très importantes et influentes.
Certaines femmes ne souhaitaient pas être perçues comme mère au sein de
la cour royale, elles ne se mariaient pas afin d’accéder à des postes
importants telles que Mahin Banou. Zeinab Begum était conseillère privée du
Shah Abbas Ier. Sous le règne des Mamelouks, à la fois en Egypte et en Inde,
des femmes ont aussi obtenu du pouvoir politique. Chajarat ad-dur, souveraine
d’Égypte, prit le pouvoir au Caire en 1250. Elle mit en déroute les armées des
Français et fit prisonnier le roi de France Louis IX.
Galia al-Wahhabia a dirigé dans la péninsule Arabique un mouvement de résistance
militaire des Bédouins pour défendre notamment La Mecque au début du XVIIIe
siècle contre la mainmise étrangère.
Cependant, lorsque l’on étudie l’histoire de ces pays, nous constatons
l’invisibilisation et la non-reconnaissance du rôle important joué par de
nombreuses femmes.
Ces femmes d’autorité religieuse ne sont pas des exceptions. À partir du
XVIIIème-XIXème siècle, avec la rencontre de l’Occident (c’est le cas pour
l’Iran) et la colonisation pour d’autres exemples (Egypte), d’autres
institutions sont imposées et les femmes perdent leur pouvoir de négociation.
Les lois islamiques perdent également leur flexibilité parce que ces dernières
deviennent graduellement codifiées (Code Civil ou Code de statut personnel) de
manière institutionnelle. Le voile que portaient les femmes n’avait pas une
connotation religieuse, mais plutôt culturelle. Il devient un symbole religieux
par les Européens comme Lord Cromer, un temps gouverneur d’Egypte, qui le
considérait comme un symbole de l’Islam. Les interprétations changent du fait
d’une imposition des idées des Occidentaux sur ces pays. La représentation du
harem que l’on retrouve dans les récits de voyages ne correspondent pas à la
réalité de ces sociétés. Lorsque l’on étudie l’Iran ou l’Empire ottoman, nous
constatons que la majorité écrasante de la population habitait en milieu rural
ou tribal. Les classes populaires des villes travaillaient y compris les
femmes, une infime minorité issue des couches très aisées de la population ne
travaillait pas et pouvait être considérée comme des femmes de harem.
Cependant, même ces femmes n’étaient pas « incultes et paresseuses »,
elles apprenaient des langues étrangères ou des instruments de musique et
étaient actives dans les œuvres de bienfaisance. Le mythe du harem a
des impacts et des conséquences encore aujourd’hui.
Quel est
le lien entre les femmes et le Waqf ?
Les recherches sur le Waqf sont récentes pour ce qui concerne les
femmes, en tout cas pour le cas de l’Iran. L’apogée de la participation des
femmes à cette institution du Waqf se fait au cours de l’Empire safavide. Le
Waqf correspond à la fondation religieuse, un phénomène qui existe tant sous
l’Empire safavide que sous l’Empire ottoman. Il consiste à léguer une partie de
la richesse des femmes (et des hommes aussi) à cette institution. De nombreuses
femmes riches le faisaient et nommaient d’autres femmes de leur entourage pour
gérer ou administrer le waqf après leur décès. Étant une institution
religieuse, il est impossible de vendre ou d’acheter les biens du Waqf. Lorsque
l’on fait cette opération, nous donnons quelque chose pour toujours, cela
pouvait être des caravansérails, des écoles, des hammams, des fontaines ou
encore des maisons pour les pauvres et les enfants.
Qui est
Sadiqeh Dowlatabadi ?
Sadiqeh Dowlatabadi est originaire de la ville d’Ispahan, elle a grandi
dans une famille littéraire et intellectuelle. Elle fait des études à la
Sorbonne et parle à la fois le français et l’anglais, c’est une femme
exceptionnelle de l’époque. Elle était très active dans le mouvement
nationaliste iranien, elle était contre l’influence des Britanniques et les
Russes en Iran même si le pays n’a jamais été colonisé. Il avait un statut de
semi-colonie, c’était une sphère d’influence britannique et russe. Sadiqeh
Dowlatabadi a participé activement à la campagne de boycottage des produits
britanniques. Elle est un exemple par excellence de l’imbrication du féminisme
et du nationalisme en Iran.
Sadiqeh Dowlatabadi a fondé une association pour les femmes à Ispahan et
un journal féminin dans les années 1919-1920. Elle était contre le voile
islamique et pensait que c’était ce dernier qui empêchait les femmes de
participer à la vie publique de leurs sociétés. Les locaux de son association à
Ispahan ont été attaqués par des obscurantistes, elle avait été obligée de
venir s’installer à Téhéran, mieux protégé. Sadiqeh Dowlatabadi était aussi
proche d’un certain nombre de féministes occidentales, notamment américaines.
Elle reprenait souvent les arguments ou les questions abordées dans les
magazines féminins américains dans son magazine, Zaban-e Zanan (« La
langue des femmes »).
Je compare le féminisme iranien et le féminisme égyptien car il y a de
nombreuses ressemblances. Contrairement à Huda Sharawi dont la revue appelée « l’égyptienne »
était dans un premier temps publié en langue française, les premiers magazines
iraniens dès le début du vingtième siècle étaient quant à eux publiés en
persan. Précisons qu’à l’époque très peu de femmes dans cette région pouvaient
lire et écrire.
Comment
sont perçues les féministes moyen-orientales par les féministes
occidentales ? (années 1930-1940)
Certaines féministes occidentales se voulaient et se pensaient
supérieures aux femmes orientales. Elles tentaient de décider pour elles et
pensaient que la trajectoire des femmes occidentales devait être suivie par les
femmes orientales afin qu’elles puissent se libérer et s’émanciper. Or, nous
constatons que chaque pays a sa propre histoire, contexte socio-économique,
culturel… Il n’y a donc pas une seule trajectoire possible, les femmes de ces
pays-là, même lorsqu’il s’agissait de femmes familières avec la culture
occidentale comme Huda Sharawi, Doria Shafik, ou Sadiqeh Dowlatabadi, opéraient
et vivaient dans des pays orientaux avec des histoires totalement différentes
des pays occidentaux. Elles étaient à la fois influencées mais en même temps
déçues des féministes occidentales.
Par exemple, la direction de l’Alliance mondiale des femmes était
uniquement constituée de féministes occidentales alors qu’il y avait des
féministes égyptiennes, iraniennes qui en faisaient partie mais elles
n’obtenaient jamais les postes importants, décisionnaires dans cette
association. Des féministes occidentales souhaitaient décider quelles questions
étaient importantes pour des femmes orientales, par exemple la question du
voile. Jus Suffrajii qui était l’organe de cette association
internationale, considérait la question du voile comme primordiale. Pourtant,
durant ces années-là, cette question n’était absolument pas primordiale pour
les féministes égyptiennes ou iraniennes ou turques dans leur ensemble, elles
privilégiaient la problématique de l’accès des femmes à l’éducation ou la lutte
contre la polygamie.
Aujourd’hui, lors de l’invasion américaine de l’Afghanistan, de nombreuses
féministes américaines et canadiennes ont adhéré au discours de Georges Bush
afin de « libérer » les femmes afghanes. Ce regard est également
présent parmi certaines féministes orientales qui se considèrent comme
supérieures aux femmes « ordinaires » de leur pays, moins instruites
et subalternes. Cette vision binaire et hiérarchique supériorité/infériorité
persiste et empêche qu’un mouvement de femmes puisse voir le jour dans ces
pays-là.
Publié le 16/12/2020
MARGOT LEFÈVRE
Après
avoir obtenu une double-licence en histoire et en science politique, Margot
Lefèvre a effectué un Master 1 en géopolitique et en relations internationales
à l’ICP. Dans le cadre de ses travaux de recherche, elle s’intéresse à la
région du Moyen-Orient et plus particulièrement au Golfe à travers un premier
mémoire sur le conflit yéménite, puis un second sur l’espace maritime du Golfe
et ses enjeux. Elle s’est également rendue à Beyrouth afin d’effectuer un
semestre à l’Université Saint-Joseph au sein du Master d’histoire et de
relations internationales.
AZADEH KIAN
Azadeh
Kian est professeure de sociologie, directrice du département de sciences
sociales et directrice du CEDREF, l’université de Paris.
Parmi ses récentes publications :
"Femmes et pouvoir en islam", Paris, Editions Michalon, 2019 ;
et "Etat-nation et fabrique du genre, des corps et des sexualités :
Iran, Turquie, Afghanistan", co-direction avec Lucia Direnberger, Presses
universitaires de Provence, collection genre, 2019.
Notes
[1] « Sociétés »
dans le sens où elles ont une histoire et où nous pouvons étudier dans un temps
long l’évolution de tel ou tel groupe social ou phénomène social. Ce qui n’est
pas le cas d’autres États du Moyen-Orient dont beaucoup ont été créé par les
divisions opérées par les puissances colonialistes notamment la Grande-Bretagne
et la France. Ce qui n’est pas le cas de l’Iran même si elle a perdu une grande
partie de son territoire comme l’Asie centrale, le Caucase, ou une partie de
l’Afghanistan…
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