ISRAËL : APRÈS UN AN
DE BLOCAGE POLITIQUE, UN GOUVERNEMENT SE FORME SUR FOND DE CRISE SANITAIRE
ARTICLE PUBLIÉ LE 31/03/2020
Par Ines Gil
Alors que le Coronavirus s’étend dans le pays, Benny
Gantz a accepté de rejoindre un « gouvernement d’urgence nationale »
mené par Benyamin Netanyahou, à la surprise générale. Rivaux pendant plus d’un
an pour le poste de Premier ministre, les deux hommes ont entamé des
négociations pour la formation d’une coalition. Cette nouvelle étape met fin à
la plus intense crise politique connue par Israël et marque une victoire pour
Benyamin Netanyahou.
« Nous ne vivons pas des jours
ordinaires, nous avons donc besoin de décisions extraordinaires » (1). Les
Israéliens ont coutume de dire que tout peut changer d’un jour à l’autre dans
l’Etat hébreu. Benny Gantz l’a prouvé le jeudi 26 mars. Devant des députés
israéliens espacés par les règles de distanciation sociale, il a justifié son
choix de rejoindre un gouvernement mené par Benyamin Netanyahou. Scène
surréaliste, difficilement imaginable quelques jours plus tôt. Celui qui avait
juré pendant plus d’un an de faire tomber « Bibi » (surnom de
Benyamin Netanyahou) a été élu provisoirement Président de la Knesset le 26
mars, avec l’appui du Likoud (2).
Après une crise politique et
constitutionnelle sans précédent, trois élections législatives en moins d’un
an, les deux hommes sont parvenus à un accord : Benyamin Netanyahou
restera Premier ministre pendant un an et demi et en octobre 2021, Benny Gantz
reprendra le flambeau (3). Ce compromis marque la fin d’une période
d’instabilité basée sur l’opposition entre d’un côté « le Likoud, parti de
plus en plus identifié à son chef de file, et dont l’électorat voulait avant
tout son maintien au poste de Premier ministre » et de l’autre côté
« Bleu-Blanc, alliance électorale conçue dans le seul but de mettre un
terme au long règne de ce même Netanyahou » (4).
Mais qui sait ce qui se passera d’ici
octobre 2021 ? En un an et demi, à l’échelle de la politique israélienne,
qui plus est avec le stratège politique Benyamin Netanyahou aux manettes, tous
les scénarios sont possibles. Les événements du mois de mars prouvent largement
que d’un jour à l’autre, tout peut basculer dans l’Etat hébreu.
Un
mois de soubresauts politiques dans un pays plongé dans la peur du Covid-19
Au lendemain des élections du 2 mars dernier, Benyamin Netanyahou revendique un peu vite la
victoire. Avec 36 sièges (contre 33 pour les rivaux de Bleu-Blanc), son parti,
le Likoud, est certes en tête. Mais « Bibi » n’est pas en mesure de
former un gouvernement. Avec ses alliés naturels (les partis religieux et
l’extrême droite), il n’obtient que 58 sièges sur 120. Or, il en faut au moins
61 pour former une coalition. En quelques jours, renversement de situation.
Benny Gantz, qui a déjà à ses côtés la gauche (regroupement du Parti
travailliste, de Gesher et du Meretz), entame des discussions avec
l’ultra-nationaliste et séculier Avigdor Lieberman (leader d’Israel Beitenou, 7
sièges) et se rapproche de la Liste unifiée (formation de 4 partis à majorité
arabe, 15 sièges). Le chef de Bleu-Blanc semble en mesure de former un
gouvernement. A la mi mars, le Président israélien Reuven Rivlin lui confie un
mandat pour former une coalition. Mais les discussions patinent. La coalition
de B. Gantz est fragile. Difficile d’imaginer un gouvernement stable où les
partis arabes siègeraient avec Avigdor Lieberman (5). D’autant plus qu’une
poignée de députés alliés à Benny Gantz assurent qu’ils ne pourront pas siéger
dans un gouvernement soutenu par la Liste unifiée.
Alors que l’incertitude grandit sur l’issue politique des élections, la peur du Coronavirus s’étend dans le pays. Certes, Israël a rapidement pris des mesures
radicales, en coordination avec l’Autorité palestinienne, pour contenir
l’épidémie. D’abord, en empêchant les touristes en provenance des pays
est-asiatiques et d’Europe d’entrer dans le pays. Puis, en fermant les lieux
publics, et enfin, courant mars, en décrétant le confinement. Cependant, une
poignée de touristes et certains nationaux revenus de l’étrangers sont entrés
dans le pays porteurs du virus. Le maintien de la fête de Pourim (carnaval juif
célébré début mars) et les difficultés à faire respecter le confinement au sein
de la communauté juive ultra-orthodoxe ont facilité la propagation du virus (6)
dans le pays.
Tout au long du mois de mars, Benyamin
Netanyahou multiplie les appels à la formation d’un « gouvernement
d’urgence nationale » mené par lui-même, pour gérer la crise du Covid-19.
Il est rapidement accusé par ses opposants politiques et une partie de la
presse israélienne de profiter de la crise sanitaire pour se maintenir au
pouvoir et même échapper à la justice. Son procès dans trois affaires pour
corruption, fraude et abus de confiance devait en effet s’ouvrir le 17 mars
dernier. Mais deux jours plus tôt, le 15 mars, le ministère de la Justice
décide de limiter l’activité des tribunaux aux affaires urgentes. Le procès est
reporté au 24 mai.
Le 18 mars, les événements s’accélèrent.
Le parti de Benny Gantz souhaite présenter un texte au Parlement israélien
interdisant à tout député mis en examen d’accéder au poste de Premier ministre.
Un texte qui vise donc directement Benyamin Netanyahou. La formation centriste
veut aussi proposer un candidat Bleu-Blanc pour succéder à Yuli Edelstein,
député Likoud, comme Président de la Knesset. En réponse, Yuli Edelstein
empêche les députés de se réunir pour voter. Il invoque les mesures sanitaires
prises par le ministère israélien de la Santé dans la lutte contre le Covid-19,
interdisant tout regroupement de plus de 10 personnes dans le pays. Mais les
motivations politiques sont difficiles à masquer. Yuli Edelstein est aussi un
proche de Benyamin Netanyahou. De nombreux analystes assurent que le Président
de la Knesset agit avec le soutien de « Bibi », pour lui faire gagner
du temps et imposer l’idée d’un « gouvernement d’urgence nationale ».
Coup de tonnerre dans la presse israélienne, et dans l’opposition. Certains
parlent d’un coup d’Etat. Quelques jours passent, et la Cour suprême, la plus
haute autorité judiciaire en Israël, demande à Yuli Edelstein de laisser les
députés se réunir et voter. Il n’en fera rien. Finalement, il démissionne le 25
mars (7).
Le 26 mars, dernier chapitre de la crise
et nouveau séisme politique : après 8 longues heures de négociations,
Benny Gantz accepte de rejoindre un gouvernement mené par Benyamin Netanyahou.
Tous s’interrogent : qu’est-ce qui a poussé le leader de Bleu-Blanc, le
mieux placé pour remplacer « Bibi » comme Premier ministre, à
accepter cet accord ?
Une
victoire pour Benyamin Netanyahou
Avec les partis arabes et Avigdor
Lieberman, Benny Gantz n’était pas en mesure de présenter une coalition assez
homogène pour gouverner. Seul point commun entre ces députés : la volonté
de faire tomber Benyamin Netanyahou. Le leader de Bleu-Blanc, qu’on dit exténué
par les campagnes législatives à répétition, a aussi été poussé par la crise du
Covid-19.
En Israël, la décision de Benny Gantz a
déjà fait une victime : le parti Bleu-Blanc, disloqué après la nouvelle.
Les poids lourds, Moshe Ya’alon et surtout Yair Lapid (co-fondateurs) ont
quitté la formation politique. Et elle pourrait faire une autre victime :
Benny Gantz lui-même. Les conséquences sur l’image du leader centriste seront
lourdes. Critiqué ces derniers jours pour son manque de persévérance comme chef
de l’opposition, sa capacité à prendre la place de Benyamin Netanyahou est
largement remise en cause en Israël (8).
Pour Noa Landau, responsable des questions de diplomatie au
quotidien Haaretz, Benny Gantz a « trahi ses électeurs en
revenant sur une de ses promesses les plus importante : ne pas entrer dans
un gouvernement mené par Benyamin Netanyahou » (9). Même constat pour Dror
Even Sapir, journaliste franco-israélien spécialiste de la politique
israélienne : « une partie importante de l’électorat centriste et de
celui de la gauche considère probablement que l’ancien général a péché par
excès de naïveté et qu’il a accordé une planche de salut à un Benyamin
Netanyahu affaibli par son inculpation. Yaïr Lapid tentera de représenter cet
électorat » (10).
En jetant l’éponge, Benny Gantz offre à
Benyamin Netanyahou une victoire inespérée. Bien que mis en examen dans trois
affaires et conspué par la moitié du pays, le leader du Likoud est assuré de se
maintenir comme Premier ministre dans les mois qui viennent. Le 24 mai
prochain, il se présentera au tribunal en position de force, en chef de
gouvernement.
Un
gouvernement d’urgence nationale pour gérer le Covid-19
Le weekend du 28/29 mars, Benny Gantz et
Benyamin Netanyahou ont donc entamé des négociations pour distribuer les
portefeuilles ministériels en vue de la formation du prochain gouvernement. Le
ministère des Affaires étrangères a d’abord été évoqué pour B. Gantz (en
attendant qu’il reprenne le poste de Premier ministre en octobre 2021). Mais en
Israël, ce portefeuille ministériel a peu d’importance. D’autant plus qu’avec
la crise sanitaire, le ministre ne pourrait pas se déplacer à l’étranger. Le
général Gantz pourrait finalement récupérer la Défense, un ministère très
convoité en Israël. Durant les discussions avec Benyamin Netanyahou, il devrait
jouer sur son passé de chef d’Etat-major de l’armée israélienne pour l’obtenir
(de 2011 à 2015, Benny Gantz a été numéro un de l’armée israélienne). Le parti
Bleu blanc devrait aussi récupérer la Justice et les Communications (pourtant chères
à Benyamin Netanyahou).
En rejoignant le « gouvernement
d’urgence nationale », Benny Gantz a ouvert la voie à d’autres députés.
Amir Peretz, président du Parti travailliste (centre-gauche) a suivi le
mouvement. Il devrait obtenir le ministère des Finances (11). Il sera
accompagné d’un autre travailliste, Itzik Shmuli, qui devrait reprendre les
Affaires sociales. Des portefeuilles stratégiques, particulièrement à l’heure
du Coronavirus. Comme dans le reste du monde, les conséquences du confinement vont
s’avérer dramatiques pour l’économie israélienne. Le chômage en Israël, de
seulement 4% avant la crise sanitaire, a bondi, dépassant les 20% (12). Nul
doute que les Israéliens, qui s’apprêtent à traverser une crise sociale
majeure, apprécieront la présence de députés travaillistes aux Finances et aux
Affaires sociales. Mais l’entrée de ces députés dans un gouvernement Netanyahou
pourrait avoir de lourdes conséquences sur le parti de gauche, qui perd un peu
plus d’électeurs chaque année. A terme, la Liste unifiée d’Ayman Odeh pourrait
récupérer cet électorat déçu.
Le « gouvernement d’urgence nationale » (13), qui devrait
perdurer pendant les six prochains mois, « sera stable » assure
Jonathan Lis dans le quotidien Haaretz, « mais il aura des
difficultés à réaliser certains promesses électorales ». Selon le
journaliste israélien, le prochain gouvernement Netanyahou sera concentré sur
la gestion du Covid-19 et sur la crise économique et sociale à venir. En
rassemblant des députés issus de courants idéologiques si divers, il semble peu
probable que ce nouveau gouvernement prenne des décisions idéologiques
fondamentales. Les promesses électorales de part et d’autre, comme l’obligation
de conscription pour les Israéliens juifs ultra-orthodoxes (Bleu-Blanc), ou l’annexion
d’une partie de la Cisjordanie (promesse électorale majeure de Benyamin
Netanyahou) ne verront probablement pas le jour dans les prochains mois.
Lire sur Les clés du Moyen-Orient :
Elections législatives du 2 mars 2020 en Israël : une victoire en demi-teinte pour Benyamin Netanyahou
Coronavirus : la peur gagne Israël
Notes :Elections législatives du 2 mars 2020 en Israël : une victoire en demi-teinte pour Benyamin Netanyahou
Coronavirus : la peur gagne Israël
(1) https://www.france24.com/fr/20200326-benny-gantz-%C3%A9lu-chef-du-parlement-isra%C3%A9lien-%C3%A0-la-surprise-g%C3%A9n%C3%A9rale
(2) droite israélienne, parti de Benyamin Netanyahou.
(3) Pour également un an et demi.
(4) http://www.crif.org/fr/actualites/interview-crif-dror-even-sapir-decrypte-les-derniers-rebondissements-politiques-en-israel
(5) Connu pour ses propos virulents envers la minorité arabe, Avigdor Lieberman a toujours affirmé qu’il ne pourrait jamais siéger avec la Liste unifiée.
(6) https://www.haaretz.com/israel-news/.premium-inside-israel-s-ultra-orthodox-coronavirus-hot-spots-1.8722073
(7) https://www.mediapart.fr/journal/fil-dactualites/250320/israel-demission-du-president-du-parlement-un-allie-de-netanyahu
(8) https://www.nytimes.com/2020/03/26/world/middleeast/israel-netanyahu-gantz-government.html
(9) https://www.haaretz.com/israel-news/listen-bibi-s-impossible-victory-and-israel-s-coronavirus-blind-spots-1.8722128
(10) http://www.crif.org/fr/actualites/interview-crif-dror-even-sapir-decrypte-les-derniers-rebondissements-politiques-en-israel
(11) https://www.haaretz.com/israel-news/elections/.premium-following-gantz-labor-chairman-to-join-netanyahu-led-unity-government-1.8722650
(12) https://fr.timesofisrael.com/liveblog_entry/le-taux-de-chomage-depasse-les-20/
(13) https://www.haaretz.com/israel-news/elections/.premium-gantz-netanyahu-gov-t-may-be-stable-but-will-struggle-to-keep-election-promises-1.8719564
(8) https://www.nytimes.com/2020/03/26/world/middleeast/israel-netanyahu-gantz-government.html
(9) https://www.haaretz.com/israel-news/listen-bibi-s-impossible-victory-and-israel-s-coronavirus-blind-spots-1.8722128
(10) http://www.crif.org/fr/actualites/interview-crif-dror-even-sapir-decrypte-les-derniers-rebondissements-politiques-en-israel
(11) https://www.haaretz.com/israel-news/elections/.premium-following-gantz-labor-chairman-to-join-netanyahu-led-unity-government-1.8722650
(12) https://fr.timesofisrael.com/liveblog_entry/le-taux-de-chomage-depasse-les-20/
(13) https://www.haaretz.com/israel-news/elections/.premium-gantz-netanyahu-gov-t-may-be-stable-but-will-struggle-to-keep-election-promises-1.8719564
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