L’ART EST UNE VOIE ATARAXIQUE
COMME UNE AUTRE : PHILODÈME DE GADARA OU L’ÉPICURISME INSPIRÉ
ARTICLE PUBLIÉ LE 02/04/2020
ARTICLE PUBLIÉ LE 02/04/2020
Par Florence Somer Gavage
Ποιητής και φιλόσοφος από τα Γάδαρα της Κοίλης Συρίας. Έζησε από το 110 έως το 40 ή 35 π.Χ. Το 75 π.Χ. οδηγήθηκε στη Ρώμη, ως αιχμάλωτος του Α΄ Μιθριδατικού πολέμου, σχετίστηκε με κύκλους λογίων ("έγινε φίλος και σπιτοφιλόσοφος εκείνου του L. Calpurnius Piso, που τον ξέρουμε πεθερόν του Καίσαρα και αντίπαλον του Κικέρωνα" γράφει ο Λέσκυ). Ίδρυσε επικούρεια σχολή στη Νεάπολη, υπερασπίζοντας τη διδασκαλία του Επίκουρου έναντι της Στοάς. Έγραψε "Περί ρητορικής", "Περί ποιημάτων", "Περί μουσικής", "Περί θεών", "Περί θανάτου" κ.ά. Ανήκει στη λεγόμενη "φοινικική"σχολή επιγραμματοποιών, μαζί με τον Μελέαγρο και τον Αντίπατρο. Τα ποιήματά του, προϊόντα πιθανόν της νεανικής του ηλικίας, αποτελούν συνθέματα ενός ελευθερωμένου ποιητικού λόγου, επηρέασαν δε ιδιαίτερα τη ρωμαϊκή ερωτική ποίηση. Ο Φιλόδημος θεωρούσε την τέχνη αυτόνομη πνευματική εκδήλωση, η αξία της οποίας δεν εξαρτάται από το περιεχόμενό της. (http://www.biblionet.gr)
L’éruption du Vésuve, le 29 août 79, a permis la
préservation des papyrus du philosophe Philodème de Gadara, né en 110 avant J-C
à Gadara dans l’antique Syrie. Ils ont été retrouvés à Herculanum, dans la
« villa des papyrus », lors de fouilles au 18 ème siècle. Retour sur
ce philosophe oriental hellénisé et sur sa pensée.
Contexte de la découverte des papyrus de Philodème de
Gadara
Le 29 août 79 de notre ère, nous conte Pline, une
monumentale éruption du Vésuve s’étend sur la Campanie dans le golfe de Naples,
détruisant les villes de cette région alors que la cendre et la lave se
disputent Pompéi et Herculanum. Cet épisode désormais bien connu de l’Histoire
nous a dévoilé le quotidien pétrifié d’un autre siècle et interroge à la fois
deux concepts temporels aux antipodes l’un de l’autre : l’instant et
l’éternité. Alors que les fouilles des archéologues mettent au jour cette ville
arrêtée dans un instant, elles permettent de découvrir ce que des siècles de
recherche archéologiques, anthropologiques et historiques peuvent à peine
effleurer : la vie quotidienne, les liens qui trament les tissus sociaux,
les dessins qui ornaient les murs et les vêtements, la forme des parures, des
cheveux, des visages et des corps, les esclaves et les chiens attachés.
A Herculanum, la lave était épaisse, rendant difficile
l’accès aux corps qu’elle avait enfermés. L’histoire des fouilles commence avec
un puits creusé à l’endroit où s’étendait la ville. Les archéologues se rendent
rapidement compte qu’il s’agit d’une ville de villégiature pour notables
romains. La terre fait ressortir des chevaux en bronze, une statue d’Auguste,
un morceau de théâtre, des bribes de riches intérieurs. En continuant à
creuser, entre 1752 et 1754, les archéologues retrouvent, au cœur d’Herculanum,
une villa appartenant au beau-père de Julius Caesar, Lucius Calpurnius Piso,
qui prendra le nom de « villa des papyrus ». On y découvre de
nombreuses œuvres d’art et une bibliothèque faite de 1838 rouleaux de papyrus
calcinés contenant les écrits d’Epicure, Horace, Ovide, Livius, Lucrèce, Enius
ou Pline l’Ancien. Les manuscrits étudiés confirmeront ce que l’on savait de
ces auteurs classiques.
Mais la surprise vient de la découverte de penseurs
quasi inconnus, dont un philosophe, né en 110 avant notre ère dans l’antique
Syrie et mort 70 plus tard : Philodème de Gadara. Minutieusement, les
textes sont interrogés, réassemblés, analysés et l’on découvre la pensée d’un
philosophe oriental hellénisé qui s’empare de la pensée épicurienne pour
l’augmenter de ce qu’elle jugeait inutile voire nuisible pour la paix de
l’âme : la musique, la poésie et l’art.
Biographie
Adepte de l’épicurisme, Philodème nait dans un Orient
bousculé par le rationalisme de la pensée grecque puis romaine, à Gadara, dans
l’antique Syrie (l’actuelle Umm Qeis en Jordanie). Baigné de culture
philosophique hellène, il part à Athènes pour suivre l’enseignement de Zénon de
Sidon qui dirige les Jardins d’Epicure, une école philosophique révolutionnaire
car ouverte à tous, hommes, femmes et mêmes esclaves fondée par Epicure en 310
av. JC pour diffuser, entre autre, sa conception du bonheur et de l’ataraxie.
En s’établissant en Campanie, Philodème suscite l’admiration de Pison, un
aristocrate en conflit avec Cicéron, qui loue l’élégance de ses vers et l’acuité
de sa philosophie.
Philodème est aussi le précepteur de Virgile et Horace
reconnait son influence dans le développement de son art poétique. Lors d’une
phase de rédaction de l’Anthologia (1), 34 des épigrammes de Philodème seront
recensés et rapprochés, peut-être à tort, de l’école phénicienne de Méléagre de
Gadara. Sa pensée est relayée par les stoïciens qui contestent l’autorité
donnée à Epicure ou tout autre gardien du savoir, et les Pères de l’Eglise qui
le citent pour condamner ses propos, comme ils condamnent ceux des adeptes de
son école de pensée, ce qui aura des répercussions sur la recherche
philosophique et historique.
Philosophie
En attendant l’avancement des éditions de ses textes
et de la découverte des rouleaux qui traduisent en détails sa pensée, on peut
tirer certaines informations du peu que les écrits de Philodème nous révèlent
de sa spécificité philosophique.
Il ne fait aucun doute que sa pensée
s’inscrivait dans la tradition épicurienne et, à ce titre, la traduction de ses
papyri en constituerait l’essentiel des sources, les autres écrits des
philosophes épicuriens connus ayant été détruits, à l’exception du de
rerum natura de Lucrèce.
Comme Aristote et Epicure après lui,
Philodème pense que la croyance est la condition nécessaire des émotions telles
que la peur, l’amour ou la colère. La colère naturelle, selon lui, est basée
sur la réelle conviction que la peine est mauvaise pour l’être (2). Et cette
peine doit en être ôtée de façon méthodique, comme la médecine soigne un mal
physique. Son analogie entre philosophie et médecine est un topoi récurrent.
Certains arguments agissent comme la pire des drogues ou le plus pénible poison
alors que d’autres possèdent des vertus thérapeutiques. La colère produit
chaleur, gonflement et irritation (3) quand elle est excessive. Il serait
néanmoins présomptueux de préconiser l’apathie et l’effacement de la colère
face, notamment, à la perte ou la destruction de choses qui sont chères à
l’individu comme sa santé, sa vie ou ses amis. A la place, la modération et une
colère légère restent le but à atteindre par des exercices qui permettront
d’être moins vulnérable mentalement et physiquement. Il en est de même pour la
passion à laquelle la colère est liée : la gratitude (4). Elle en est le
pendant excessif inverse et, tout comme elle, doit être reconnue comme issue
des sentiments de peur et de besoin. Les animaux peuvent également éprouver de
la colère et d’autres sentiments similaires, mais ils ne sont pas assortis
d’une volonté de vengeance et la croyance selon laquelle le fauteur de trouble
doit être puni n’a pas lieu d’être assortie de sanction.
Si la pensée d’Epicure se voulait, en théorie,
universelle, Philodème introduit des réserves qui, faute de nous le rendre
sympathique, nous renseignent sur la vision éthique et politique de son temps.
Certes, les femmes peuvent étudier la pensée épicurienne mais cela leur sera
plus difficile, car leur esprit, moins aptes à recevoir les critiques franches
et directes, offre plus de résistance aux arguments que celui des hommes.
En se référant constamment à l’autorité d’Epicure,
Philodème insiste sur la dimension pragmatique de sa pensée : on ne peut
se contenter de penser l’épicurisme et la mesure, il faut les vivre
constamment, en utilisant des techniques ancrées dans le réel. Philodème
reprend le principe d’ataraxie pour atteindre le bonheur dans la mesure, comme
un fil ténu, tendu entre l’ascétisme et l’excès et sur lequel l’être marche,
tel un équilibriste myope. Les arts, qu’Epicure dédaignait, sont un moyen d’aider
à cette traversée. Philodème, lui-même poète, dit les mots capables d’apaiser
l’âme et de lui offrir un véhicule pour voguer hors des affres de son temps.
Pourtant, sa poésie n’est pas épicurienne, comme put l’être celle de Lucrèce
(99-55acn). La poésie produit un effet par elle-même et ne sert aucune utilité
morale. Par contre, elle inspire les dirigeants comme Philodème le suggère à
son bienfaiteur Piso auquel il commente la poésie d’Homère. Elle leur offre des
paradigmes moraux et politiques ainsi qu’un chemin de comportement éthique.
La villa des Papyrus
Lorsque le Vésuve a explosé, la villa des papyrus fut
entourée d’un souffle de gaz et de cendre d’une température dépassant les 300
degrés Celsius, ce qui a instantanément carbonisé les rouleaux de papyrus, les
transformant en cylindres et participant, paradoxalement, à leur préservation.
Depuis leur découverte, il y a plus de 250 ans, les chercheurs ont essayé de
percer le secret des écrits contenus dans les fragiles rouleaux tout en les
préservant, ce qui était, au 18ème siècle, de l’ordre de l’impossible. Dérouler
un rouleau permettait, pendant un cours moment, l’accès à son contenu, avant
qu’il ne disparaisse en cendres…
Pratiquement, dérouler, lire et interpréter les
rouleaux de la villa des papyrus a nécessité le développement des technologies
non invasives actuelles. Les rouleaux de papyrus conservés à la Bibliothèque
Nationale de Naples peuvent désormais être étudiés grâce à des clichés
infrarouges, des photographies numérisées, ou analysés à l’aide de microscopes.
On pourrait également utiliser une adaptation moderne des techniques de
déroulement et d’encollage du dos des papyrus qui permettent cette
manipulation. Les transcriptions du 18ème siècle des rouleaux perdus car
détruits lors de leur déroulement peuvent également apporter des informations
précieuses.
La tâche de lecture en vue d’une édition s’avère
néanmoins ardue ; un obstacle majeur réside dans la similarité physique
entre l’encre et le papyrus car les Romains utilisaient une encre à base de
carbone fabriquée à partir de résidus de fumée. Un projet lancé par l’European
Synchrotron Radiation Facility (installation européenne de rayonnement
synchrotron) de Grenoble, auquel participent 12 pays européens, a développé
l’utilisation de la tomographie à contraste de phase à rayon X (XPCT) pour
identifier les caractéristiques des structures internes cachées. Ce procédé
permet de détecter des différences subtiles dans la façon dont les rayons X
sont absorbés ou réfractés, même sur des substances similaires. Techniquement,
il permettrait de lire le contenu des papyri manuscrits tout comme il a permis
de dater les écrits entre les années 75 et 50 avant notre ère. Une première
approche a suggéré qu’un des rouleaux contiendrait une œuvre méconnue de
Philodème.
Parmi les rouleaux conservés, 36 sont
attribués à Philodème et certains sont écrits de sa main. Il y traite de
poésie, de rhétorique et de musique. Une initiative internationale soutenue par
le National Endowment for Humanities et regroupant la
participation de différentes universités, le Philodemus project (5),
vise à proposer une édition critique des textes de Philodème de Gadara en
ajoutant les moyens humains à la technologie développée pour publier les papyri
inédits aux presses universitaires d’Oxford. Deux volumes sur la poésie sont
parus, un troisième est en préparation et les trois volumes suivants traitant
de rhétoriques sont en chantier.
Echec d’une conspiration
Pison, cet aristocrate romain gouverneur de Syrie puis
consul en 41 doit-il, aux dialogues avec Philodème, la machination d’une
conspiration contre Néron pour laquelle il s’était également allié la notoriété
du stoïcien Sénèque et de Lucain ? Si c’est le cas, un tel choix aura
précipité la philosophie épicurienne et ses adeptes du haut de la falaise qui
surplombe la vallée de l’oubli. Le complot échoue et Pison est condamné au
suicide par sectionnement vénal. Une sombre période mettra à l’index la pensée des
écoles philosophiques en général et des philosophes épicuriens en particulier.
Condamnés par les auteurs chrétiens et relégués dans les limbes de l’oubli,
Epicure, Philodème de Gadara et leurs adeptes attendront le 19ème siècle pour
prétendre à la reconnaissance et retrouver des disciples par-delà les
frontières du temps. Des épigones, toujours équilibristes, reprennent alors son
équanimité pratique et ses adages pour croire que le bonheur, éternel ou d’un
instant, est le dessein, et la mesure, un outil idoine pour y parvenir.
Notes :
(1) Littéralement : couronne de fleurs, originairement rédigée par Méléagre de Gadara puis augmentée des œuvres littéraires des nouveaux poètes de l’Antiquité. Méléagre était l’aîné de Philodème mais ils ont pu se croiser.
(2) Odes, XXXVII, XLI ; XXXVII, XLIV-L
(3) O VIII, 20-27
(4) Latin : gratis, grec : charis
(5) https://classics.ucla.edu/faculty-projects/philodemus-project/
(1) Littéralement : couronne de fleurs, originairement rédigée par Méléagre de Gadara puis augmentée des œuvres littéraires des nouveaux poètes de l’Antiquité. Méléagre était l’aîné de Philodème mais ils ont pu se croiser.
(2) Odes, XXXVII, XLI ; XXXVII, XLIV-L
(3) O VIII, 20-27
(4) Latin : gratis, grec : charis
(5) https://classics.ucla.edu/faculty-projects/philodemus-project/
Bibliographie :
Auvray-Assayas, C., Delattre D., éd., Cicéron et Philodème. La polémique en philosophie, Éditions Rue d’Ulm, Paris, 2001.
Delattre, D., La Villa des Papyrus et les rouleaux d’Herculanum. La Bibliothèque de Philodème, Cahiers du CeDoPaL n°4, université de Liège, 2006.
Monet, A., Le Jardin romain : épicurisme et poésie à Rome - Mélanges offerts à Mayotte Bollack. Université Charles De Gaulle-Lille-3, 2003.
Nussbaum, M., The Therapy of Desire, Princeton Libri, 2009.
Obbink,D.(éd.), Philodemus and Poetry : Poetic Theory and Practice in Lucretius, Philodemus, and Horace, Oxford University Press, 1995.
Sider, D., The Epigrams of Philodemos, Introduction, Text and Commentary, Oxford University Press, 1997.
Auvray-Assayas, C., Delattre D., éd., Cicéron et Philodème. La polémique en philosophie, Éditions Rue d’Ulm, Paris, 2001.
Delattre, D., La Villa des Papyrus et les rouleaux d’Herculanum. La Bibliothèque de Philodème, Cahiers du CeDoPaL n°4, université de Liège, 2006.
Monet, A., Le Jardin romain : épicurisme et poésie à Rome - Mélanges offerts à Mayotte Bollack. Université Charles De Gaulle-Lille-3, 2003.
Nussbaum, M., The Therapy of Desire, Princeton Libri, 2009.
Obbink,D.(éd.), Philodemus and Poetry : Poetic Theory and Practice in Lucretius, Philodemus, and Horace, Oxford University Press, 1995.
Sider, D., The Epigrams of Philodemos, Introduction, Text and Commentary, Oxford University Press, 1997.
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