RETOUR SUR LES REPRÉSENTATIONS LUNAIRES DANS L’ORIENT ANCIEN ET MÉDIÉVAL
À L’OCCASION DE L’EXPOSITION PROPOSÉE AU GRAND PALAIS DU 3 AVRIL AU 22 JUILLET
2019 : « LA LUNE : DU VOYAGE RÉEL AUX VOYAGES
IMAGINAIRES »
ARTICLE PUBLIÉ LE 15/04/2019
ARTICLE PUBLIÉ LE 15/04/2019
Par Florence Somer
Gavage
(Moυσείο της Τεχεράνης, 3000 π.Χ.)
Pour célébrer le
cinquantième anniversaire de la première expédition sur la Lune, le Grand
Palais organise une rétrospective en 6 actes retraçant l’historique des liens
qui unissent l’être et l’astre de son habitat terrestre. Si proche et pourtant
longtemps hors de portée des sens, la Lune fascine, au passé, présent et futur,
par son influence directe sur notre environnement et l’intimité des
fonctionnements intérieurs de notre rapport au monde. Entre découverte
astrophysique, artistique et philosophique, les aspects de la Lune se délient
pour nous offrir un voyage aux confins des représentations civilisationnelles
nées en Orient et qui ont façonné notre vision actuelle.
La Lune et le temps
Plus
douce et plus facilement observable, la Lune offre, par son cycle, un moyen
d’établir un calendrier saisonnier et agraire ; elle permet de répondre au
besoin fondamental de l’homme de mesurer le temps. Ses phases de 29,5 jours
(1), déjà utilisées par les Sumériens, permettent de déterminer les temps de
veille, de semages, de récolte et le moment du départ des caravanes ou des
campements nomades. Les astronomes se reposent également sur l’étude du cycle
lunaire en relation avec celui du soleil pour déterminer l’avènement des
éclipses, signes présageant du temps humain par excellence. Ainsi le cycle de
Saros, théorisé à la période babylonienne, révèle que la configuration
Terre-Lune-Soleil revient à l’identique au bout de 18 ans et 11 jours,
permettant de prédire les prochaines occultations d’un astre par l’autre. L’importance
des crues du Nil au solstice d’été pousse également les prêtres astronomes
égyptiens à se pencher sur l’étude des phases lunaires, lui préférant néanmoins
celle du cycle solaire, mathématiquement plus facile à prédire même si l’étude
de l’astre lumineux en lui-même s’avère plus compliquée.
Pour
faire concorder le cycle lunaire et la révolution solaire autour de la terre,
l’astronome athénien Méton (Vème ACN) invente le cycle qui portera son nom, à
savoir un espace de 19 ans au terme duquel les lunaisons reviennent au point de
départ qui fut le leur. Les premières 12 années sont constituées de 12 mois et
le 7 années suivantes, de 13 mois afin de faire coïncider les cycles.
Le
cycle lunaire est également utilisé tant en astronomie qu’en astrologie indienne
et védique (2) et est composé de 28 (ou 27) Nakshatras, maisons lunaires
correspondant à une division de 13°20’ de l’écliptique. Son point de départ se
situe, comme celui du calcul de l’année iranienne, à la première étoile du
Bélier. Le temps étant le principe de création et de destruction par
excellence, présidant à la naissance et la mort de toute chose, la connaissance
des états de Lune, qui aide à le quantifier est devenu essentielle à la vie
terrestre.
La Lune et les mythes
Des
représentations issues de l’Antiquité aux créations imaginée de l’art
contemporain, l’astre lunaire accompagne notre représentation de l’inconnu et
de l’infini. Pour dompter son image, à la fois omniprésente et lointaine, les
Assyro-Babyloniens, les Grecs, Indiens, Persans et Arabes l’ont dotée d’un
caractère divin, tout comme les autres astres visibles selon un modèle
géocentrique : Vénus, Mars, Vénus, le Soleil, Saturne et Jupiter. Les
planètes représentent à la fois les dieux, les démons et leurs
mouvements ; elles offrent une clef de compréhension de la magie de
l’univers dans lequel nous vivons. Si les autres astres peuvent, notamment dans
la tradition mazdéenne, être représentés comme changeants et instruments du
principe du mal, la Lune, comme le Soleil, possède des vertus bienfaitrices.
Elle est avant tout symbole de fertilité, de fécondité et d’abondance. Elle est
représentée par les Sumériens sous la forme d’un taureau, personnification du
dieu Sīn ou Nanna, traversant le ciel à bord d’une barque. Le Soleil est son fils
et les ziggourāt, dont celle de Our, sont autant d’observatoires astronomiques
voués notamment à sa compréhension.
Pour les Grecs, la Lune abrite en ses
phases trois divinités : Artémis est celle du croissant ; Séléné, la
Lune pleine ; Hécate le nouveau croissant. Le modèle de la perfection du
cosmos proposé par Pythagore et Platon, transmis aux astronomes d’Orient, a longtemps
fait considérer la Lune comme une sphère parfaite, en réponse à son caractère
divin. De même, la théorie de l’excentrique fixe suppose que l’astre lunaire,
comme tout autre, possède une trajectoire circulaire autour de la terre. La
terre n’occupe pas le centre de l’orbite décrite par les planètes, ce qui
explique que la planète apparaît plus ou moins clairement selon la distance qui
la sépare de la Terre. Ce mouvement rétrograde des planètes constaté sur un
modèle géocentriste (3) a produit des théories permettant de l’imaginer comme
celle de l’épicycle.
La Lune est le témoin de la clarté d’esprit, de l’éthique et des pensées pures ; c’est elle qui, la nuit, surprend le voleur ou les actes du malin.
La Lune est le témoin de la clarté d’esprit, de l’éthique et des pensées pures ; c’est elle qui, la nuit, surprend le voleur ou les actes du malin.
Les
cultes monothéistes rejetteront la divinité de la Lune qui protégeait les
voyages nocturnes des caravanes, Jéricho, la Lune en hébreu, est le premier
site détruit par les Hébreux sortant du mont Sinaï et le Dieu Hubal est
proscrit de La Mecque. Par contre, dans d’autres lieux plus reculés, les temples
dédiés à la Lune ont survécu plus tardivement comme celui de Harrān (Carrhae)
en Turquie.
Avant
l’invention du télescope qui a permis des observations lunaires précises au
début du XVIIème s., la Lune était à la fois ce lointain réel et cet imaginaire
proche et nécessaire. L’épopée de Gilgameš narre son affrontement céleste avec
le Dieu Lune. Lucien de Samosate (v.120), le rhéteur satirique syrien, fait de
la Lune une parodie terrestre. Dans les Histoires vraies, il est projeté sur la
Lune par un ouragan. Sur la Lune, il se fait le compagnon du roi Endymion et le
voit battre les Sélénites conduit par le roi Phaéthon. Malgré l’insistance
d’Endymion, Lucien ne l’accompagnera pour fonder une nouvelle colonie sur
l’étoile du matin et il revient sur la mer terrestre afin de continuer ses
voyages. Lucien reprend le voyage lunaire comme thème unique dans
l’Icaroménippe ou le voyage au-dessus des nuages où, de la terre à la Lune, il
franchit 3 000 stades étalonnés en parasanges (4). Il est l’ami
interrogeant Ménippe (5) sur les moyens d’accéder à la Lune, lui qui a conversé
avec Zeus.
La lune et les sciences
L’exploration
scientifique, de Galilée aux expéditions lunaires du XXe siècle a mené un
changement de perspective drastique en permettant d’investiguer le ciel
jusqu’en ses planètes les plus lointaines.
Au
XIXème s., les récits pseudo-scientifiques ou de sciences-fictions imaginent la
vie sur la Lune, sa face ronde qui sourit ou des êtres qui l’occupent. Au XXème
s., la course technologique et politique entre les Etats-Unis et l’URSS
précipite les voyages vers l’idéal lunaire. On imagine l’émotion des
scientifiques qui, pour la première fois, pouvaient contempler, depuis la Lune,
leur Terre. Cet astre bleu lumineux et fragile. Devant la beauté de son image,
pensaient-ils qu’il faudrait un jour, pas si lointain, se battre pour en
préserver la diversité et la richesse ?
La lune et l’art
Dans
l’exposition présentée au Grand Palais, les œuvres de Chagall, Man Ray, Dali,
Miro, Rodin, Valloton, Morellet, Delvaux,… traitent de la Lune dans tous ses
états en tant que personnage central ou témoin privilégié des scènes de vie
terrestres diverses illustrant l’amour naissant, les guerres intérieures et
extérieures, les interrogations nées des songes ou la mélancolie.
La
littérature ou le cinéma s’emparent d’une vie rêvée sur la Lune pour illustrer
des revendications sociales et culturelles autres et dénoncer celles qui
asservissent ou abrutissent les terriens. Sous prétexte de réflexions
pseudo-astronomiques concernant l’astre le plus proche de son habitat, le
penseur s’empare de la compréhension des mouvements cycliques de l’astre
lunaire pour contester les mouvements jugés normaux, absurdes ou dégradants à
l’œuvre dans la société. Sur la Lune, point d’asservissement, de différences
sociales flagrantes, de dirigeants vils et indifférents au bien commun. Ou, aux
antipodes, la servilité poussée à l’extrême engendre l’ordre social
« idéal » car déshumanisé.
Quant
aux poètes, la clarté et la forme observable changeante de la Lune leur offrira
une inspiration infinie à travers le temps et l’espace.
Pour
l’illustrer, ce quatrain de l’astronome Omar Khayyam (1048-1131) :
« Tantôt douce, tantôt amère, c’est
la vie.
Peu importe le lieu où notre verre est plein.
Partout la Lune, là où nous buvons du vin,
Sera pleine, en croissant, évidente ou ravie (6) ».
Peu importe le lieu où notre verre est plein.
Partout la Lune, là où nous buvons du vin,
Sera pleine, en croissant, évidente ou ravie (6) ».
Notes :
(1) 29,5 jours 12 heures 44 minutes et 3 secondes.
(2) Et notamment synthétisé dans le Vedanga Jyotisha.
(3) Hormis Aristarque de Samos (IIIème s. ACN) qui calculera les dimensions de la Terre grâce à la Lune et énoncera le caractère héliocentrique du système solaire, les astronomes grecs ne remettront pas en cause le système géocentrique.
(4) Mesure perse correspondant à 5200 mètres.
(5) Sans doute inspiré du philosophe cynique Ménippe de Sinope ou Ménippe de Gadara, contemporain de Théophraste, qui vécu entre le IVème et le IIIème siècle ACN.
(6) Omar Khayyam : Quatrains, Hâfez : Ballades, poèmes choisis et présentés par Vincent Monteuil, édition bilingue, la Bibliothèque persane, Sindbad, 1983, Paris, p. 82.
(1) 29,5 jours 12 heures 44 minutes et 3 secondes.
(2) Et notamment synthétisé dans le Vedanga Jyotisha.
(3) Hormis Aristarque de Samos (IIIème s. ACN) qui calculera les dimensions de la Terre grâce à la Lune et énoncera le caractère héliocentrique du système solaire, les astronomes grecs ne remettront pas en cause le système géocentrique.
(4) Mesure perse correspondant à 5200 mètres.
(5) Sans doute inspiré du philosophe cynique Ménippe de Sinope ou Ménippe de Gadara, contemporain de Théophraste, qui vécu entre le IVème et le IIIème siècle ACN.
(6) Omar Khayyam : Quatrains, Hâfez : Ballades, poèmes choisis et présentés par Vincent Monteuil, édition bilingue, la Bibliothèque persane, Sindbad, 1983, Paris, p. 82.
Références :
https://www.grandpalais.fr/fr/evenement/la-lune
https://data.bnf.fr/12262613/lucien_de_samosate_icaromenippe_ou_le_voyage_aerien/
http://www.uoh.fr/front/document/1f6acf6e/4af8/480c/1f6acf6e-4af8-480c-adb3-1627f813f491/index.html
https://www.persee.fr/doc/mom_0151-7015_2006_mel_35_1_2437
https://www.universalis.fr/encyclopedie/geocentrisme/4-l-imbroglio-des-excentriques-et-epicycles/
https://www.grandpalais.fr/fr/evenement/la-lune
https://data.bnf.fr/12262613/lucien_de_samosate_icaromenippe_ou_le_voyage_aerien/
http://www.uoh.fr/front/document/1f6acf6e/4af8/480c/1f6acf6e-4af8-480c-adb3-1627f813f491/index.html
https://www.persee.fr/doc/mom_0151-7015_2006_mel_35_1_2437
https://www.universalis.fr/encyclopedie/geocentrisme/4-l-imbroglio-des-excentriques-et-epicycles/
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