ÊTRE JOURNALISTE AU MOYEN-ORIENT (1/3) : QUESTIONNER LE REPORTAGE
DE GUERRE : REPORTAGE AVEC JEAN-CLAUDE GUILLEBAUD ET SAMUEL FOREY, ET
PRÉSENTATION DE JOCELYNE SAAB À L’OCCASION DE LA PUBLICATION DE SON OUVRAGE
« ZONES DE GUERRE »
ARTICLE PUBLIÉ LE 02/01/2019
ARTICLE PUBLIÉ LE 02/01/2019
https://www.lesclesdumoyenorient.com/Etre-journaliste-au-Moyen-Orient-1-3-questionner-le-reportage-de-guerre.html
Entretiens et vidéo
réalisés par Mathilde Rouxel
Les éditions de l’Œil ont publié en
décembre 2018 le premier ouvrage de photographies de l’ancienne reporter de
guerre puis cinéaste et artiste libanaise Jocelyne Saab, Zones de
guerre. Le livre rassemble des photogrammes et des photographies de
l’ensemble de sa carrière, qui permettent de revenir sur les guerres qui ont
agité le Moyen-Orient tout au long des années 1970.
Ce livre permet d’ouvrir à la question
du journalisme en terrain de guerre, que nous avons souhaité poser à deux
reporters de deux générations différentes ayant remporté le prix Albert
Londres, Jean-Claude Guillebaud, primé pour sa couverture de la guerre du
Vietnam en 1972, et Samuel Forey, primé pour sa couverture de la bataille de Mossoul
en 2017.
Une vidéo, puis un
retour rapide sur la carrière de Jocelyne Saab au Moyen-Orient permettent de
mettre en contexte la question de l’engagement et de la curiosité nécessaire
aux journalistes pour informer, même au risque de leur vie.
Reportage avec les interviews de Jean-Claude
Guillebaud et de Samuel Forey, ainsi que des extraits des films et
documentaires réalisés durant la guerre du Liban par Jocelyne Saab.
Jean-Claude Guillebaud. Né en 1944.
Doctorant en droit. A longtemps été grand reporter et correspondant de guerre
pour Sud-Ouest, Le Monde et Le Nouvel
Observateur. Directeur littéraire aux éditions du Seuil de 1982 à
2010, il tient une chronique au Nouvel Observateur et un
bloc-notes dans l’hebdomadaire La Vie. Il a été président
co-fondateur de l’association Reporters sans frontières et a
appartenu au Conseil de Surveillance du groupe Bayard. Depuis 2015, il est Docteur Honoris
Causa de l’université de Louvain-la-Neuve.
Jean-Claude Guillebaud a
publié une trentaine d’ouvrages. Traduit dans plusieurs pays, il a été
plusieurs fois primé. Derniers titres parus aux éditions de
l’Iconoclaste : Le Tourment de la guerre ; La Foi
qui reste.
Né en 1981, Samuel Forey
a étudié le journalisme au CELSA. Après avoir appris l’arabe en 2006-2007 à
Damas, il s’installe en Egypte en 2011 pour suivre les tumultueux chemins des
révolutions arabes.
Il couvre la guerre
contre l’Etat islamique à partir de 2014, et s’installe en 2016 en Irak pour
suivre au quotidien la bataille de Mossoul qui s’annonce. Blessé en juin 2017,
il est rapatrié en France. Il travaille désormais pour la revue XXI. En 2017,
il a reçu les prix Albert Londres et Bayeux-Calvados des correspondants de
guerre pour sa couverture de la bataille de Mossoul.
Présentation de la
carrière de journaliste en terrain de guerre de Jocelyne Saab
Un parcours exhaustif
Jocelyne Saab a commencé
sa carrière de journaliste à la radio au début des années 1970, avant d’être
embauchée à la télévision par Jean-François Fauvel. Arabophone, elle avait dans
un premier temps été envoyée en Libye pour documenter la marche verte de
Kadhafi sur l’Égypte. Elle obtient rapidement une autorisation pour réaliser un
portrait de Kadhafi, qui l’emmène pour l’occasion dans sa famille, dans un
village bédouin de Libye. Le document, rare, lui ouvre des portes. Elle est
envoyée en Égypte pour couvrir la guerre d’Octobre 1973.
Bien que les femmes
journalistes ne soient jamais envoyées au front, elle parvient à intégrer une
équipe américaine de tournage, et se rend sur les lignes de front dans le Golan
occupé. Elle documente la ferveur qui anime les armées arabes en 1973, et le
regain de nationalisme des peuples, notamment en Égypte. Elle réalise alors en
qualité de correspondante, toujours pour le compte de la télévision française,
une série de reportages, avant de choisir de rentrer à Paris.
Elle est alors envoyée
au Kurdistan irakien en 1974, où la guerre, menée par Saddam Hussein, fait
rage. Le reportage qu’elle propose à la chaîne française dérange ; il ne
répond pas au discours tenu sur ce sujet par la France, qui soutenait à cette
époque l’action de Saddam Hussein. Une séquence est censurée.
La même année, elle se
rend dans les camps de réfugiés palestiniens au Liban. Elle réalise
avec Arnaud Hamelin Les Palestiniens continuent, diffusé à la télévision,
qui documente l’organisation de la lutte des Palestiniens dans les camps.
Seule, elle réalise un film sur les femmes palestiniennes, encore inédit
jusqu’à aujourd’hui : il fut censuré par la télévision française pour ses
positions politiques.
Jocelyne Saab fut la
première journaliste à obtenir le droit de documenter cette nouvelle forme de
résistance palestinienne qui était en phase d’expérimentation : les
commandos-suicides. Horrifiée par la jeunesse des combattants, le film qu’elle
a réalisé est assez critique sur les méthodes, malgré sa sympathie pour le
mouvement de lutte des Palestiniens. Le film est un véritable scoop ; les
Palestiniens lui reprocheront ce film, pour l’image négative qu’il renvoie de
la résistance.
Les dissensions
auxquelles elle doit faire face au moment de la sortie de ses films n’en sont
qu’à leurs débuts. Politiquement indépendante, elle se libère aussi de son
contrat avec la télévision pour réaliser elle-même ses films à partir de 1975.
La guerre éclate au Liban, alors qu’elle devait partir avec quelques amis
journalistes filmer la fin de la guerre du Vietnam. L’un d’entre eux fut
kidnappé et ne revint jamais.
Jocelyne Saab, elle, avait décidé de partir au Liban, filmer son pays avant le chaos de la guerre. Son film, Le Liban dans la tourmente, qui offre le témoignage de tous les acteurs politiques de l’époque, est le premier réalisé sur la guerre du Liban. Il fut censuré dans son pays. Par la suite, elle réalise de très nombreux documentaires sur la guerre civile libanaise, n’hésitant pas à se poser à contre-courant du discours dominant. Elle s’intéresse notamment au Sud du Liban, bombardé par Israël jusqu’à son occupation en 1978. Elle décide par ailleurs de rester à Beyrouth-Ouest aux côtés des Palestiniens durant le siège de l’armée israélienne de 1982. C’est elle qui est choisie par Arafat pour monter sur le bateau l’Atlantis au moment de l’exil des Palestiniens à la fin du siège, qui conduisit Arafat et les autres membres de l’OLP sommés de quitter Beyrouth en Grèce, puis à Tunis. Ce document témoignant de l’attitude du chef politique suite à la défaite est historique.
Jocelyne Saab, elle, avait décidé de partir au Liban, filmer son pays avant le chaos de la guerre. Son film, Le Liban dans la tourmente, qui offre le témoignage de tous les acteurs politiques de l’époque, est le premier réalisé sur la guerre du Liban. Il fut censuré dans son pays. Par la suite, elle réalise de très nombreux documentaires sur la guerre civile libanaise, n’hésitant pas à se poser à contre-courant du discours dominant. Elle s’intéresse notamment au Sud du Liban, bombardé par Israël jusqu’à son occupation en 1978. Elle décide par ailleurs de rester à Beyrouth-Ouest aux côtés des Palestiniens durant le siège de l’armée israélienne de 1982. C’est elle qui est choisie par Arafat pour monter sur le bateau l’Atlantis au moment de l’exil des Palestiniens à la fin du siège, qui conduisit Arafat et les autres membres de l’OLP sommés de quitter Beyrouth en Grèce, puis à Tunis. Ce document témoignant de l’attitude du chef politique suite à la défaite est historique.
Entre temps, elle se
rend en 1977 dans le Sahara Occidental, expliquer la situation qui déchire les
partisans du Front Polisario, soutenu par l’Algérie, face au Maroc et à la
Mauritanie. À nouveau, par souci de documentation historique, elle interroge des
chefs de tous les bords, dans tous les pays. N’ayant pas pris le parti du
Maroc, elle se voit censurée dans le pays et interdite d’entrée sur le
territoire pour de nombreuses années. La télévision algérienne, de son côté,
passa le film tronqué.
En 1981, elle part en
Iran documenter les lendemains de la révolution et les débuts de l’instauration
d’un régime à caractère religieux. Son film, visionnaire, la fit voyager à
travers le monde.
Elle se tourne vers le
cinéma de fiction à partir de 1985, et quitte le reportage de guerre. Elle
réalise toutefois au courant des années 1980 et 1990 quelques documentaires
pour la télévision ou pour le cinéma (non seulement sur le Liban, mais aussi
sur l’Égypte ou le Vietnam) avant de se tourner plus définitivement vers la réalisation
de fiction, la photographie et l’art contemporain.
Filmographie (en tant que reporter de guerre)
Bombardement des
quartiers palestiniens de Beyrouth, 1973, Télé-Liban ; Kadhafi :
L’Islam en marche, 1973, France 3 ; Portrait de Kadhafi, 1973, France
3 ; Spécial Proche-Orient : Israël, 1973, France 3 ; La Guerre
d’Octobre, 1973, France 3 ; Proche-Orient : Egypte, 1973, France
3 ; La Guerre en Orient : Egypte, 1973, France 3 ; Les
Palestiniens continuent, 1973, France 3 ; Le Refus syrien, 1974, France
3 ; Irak, la guerre au Kurdistan, 1974, France 3 ; Les Femmes
palestiniennes, 1974, inédit (censuré) ; Le Front du Refus (ou Les
Commandos Suicides), 1975, Antenne 2 ; Les Nouveaux croisés d’Orient,
1975, sorti en salles ; Le Liban dans la tourmente, 1975, sorti en salles
à Paris, censuré au Liban ; Les Enfants de la guerre, 1976 ;
Sud-Liban : histoire d’un village assiégé, 1976 ; Beyrouth, jamais
plus, 1976 ; Pour quelques vies, 1976 ; Le Sahara n’est pas à vendre,
1977 ; Egypte, cité des morts, 1977, sorti en salles ; Lettre de
Beyrouth, 1978 ; Iran, l’utopie en marche, 1981, NHK ; Beyrouth, ma
ville, 1982, ORTF ; Le Bateau de l’exil, 1982, TF1 ; Les Libanais,
otages de leur ville, 1982, TF1 ; Le Liban : état de choc, 1982, TF1.
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