AUTEUR ET PORTE-PAROLE DE LA PAIX, AMOS OZ
MEURT À L’ÂGE DE 79 ANS
ARTICLE PUBLIÉ LE 24/01/2019
Par Ines Gil, journaliste à Tel-Aviv
https://www.lesclesdumoyenorient.com/Auteur-et-porte-parole-de-la-paix-Amos-Oz-meurt-a-l-age-de-79-ans.html
Considéré comme un des plus grands écrivains d’Israël,
Amos Oz est décédé fin décembre 2018. Auteur d’une vingtaine d’ouvrages, il
plaidait pour une solution à deux Etats depuis plusieurs décennies. En 1978, il
a co-fondé La Paix Maintenant, premier mouvement israélien à plaider pour la
paix avec les Palestiniens et avec les Etats arabes voisins. Ce groupe
extra-parlementaire a influencé la société israélienne, mais aussi le cours du
conflit.
Une vie qui résonne avec l’histoire de l’Etat d’Israël
Amos Oz, né Klausner, voit le jour le 4 mai 1939 à Jérusalem, en
Palestine mandataire, neuf années avant la création de l’Etat d’Israël. Fils
d’immigrants juifs originaires d’Europe de l’Est, il grandit dans un milieu
sioniste très séculier.
A 12 ans, il est profondément marqué par le suicide de sa mère. Cette tragédie familiale est un tournant pour cet enfant, jusqu’ici adepte des thèses nationalistes de droite développées par Zeev Vladimir Jacobinsky, comme il le raconte dans « Une panthère dans la cave » et dans « La Colline du mauvais conseil ». Suite à cet épisode, en opposition aux thèses familiales, il se tourne vers le sionisme de gauche. Dans les années qui suivent, il cherche à expliquer l’acte de sa mère. Selon lui, cette quête pour comprendre l’autre a façonné à la fois son travail d’écrivain, mais aussi sa pensée politique.
A 12 ans, il est profondément marqué par le suicide de sa mère. Cette tragédie familiale est un tournant pour cet enfant, jusqu’ici adepte des thèses nationalistes de droite développées par Zeev Vladimir Jacobinsky, comme il le raconte dans « Une panthère dans la cave » et dans « La Colline du mauvais conseil ». Suite à cet épisode, en opposition aux thèses familiales, il se tourne vers le sionisme de gauche. Dans les années qui suivent, il cherche à expliquer l’acte de sa mère. Selon lui, cette quête pour comprendre l’autre a façonné à la fois son travail d’écrivain, mais aussi sa pensée politique.
Adolescent, il s’installe dans le Kibbutz
de Houlda, situé au centre du pays. C’est à cette époque qu’il abandonne son
nom Klausner, pour prendre celui d’Oz (עוז), qui signifie force en
hébreu. En Israël, historiquement, les kibbutzim ne rassemblent qu’une très
faible proportion de la population (moins de 2% aujourd’hui). Cependant, au
lendemain du traumatisme de la Shoah, ces villages collectivistes incarnent le
rêve sioniste d’un homme nouveau, façonné par la vie en collectivité et le
travail de la terre. Amos Oz, comme les autres membres des kibboutzim, croit
alors aussi en cette utopie de renouveau.
Réserviste dans l’armée israélienne, il
participe ensuite aux guerres de 1967 (guerre des six jours), puis de 1973
(guerre de Kippour). Après 1967, avec le début de l’occupation (1), il commence
à plaider pour une solution à deux Etats avec les Palestiniens.
Un poids lourds de la littérature israélienne
Auteur d’une vingtaine de romans et
d’essais, et d’un grand nombre d’articles, Amos Oz est considéré comme un des
auteurs israéliens les plus accomplis. Représentant de la génération dite “de
l’Etat”, qui est née au début de la création d’Israël, l’écrivain a traversé
toute l’histoire de son pays. Dans ses oeuvres, il se questionne sur les
épisodes de sa vie, notamment dans le magistral « Une histoire d’amour et
de ténèbres », mais aussi sur le sionisme, la société israélienne, les
contradictions et les peurs de ce jeune pays (2).
Avec « La boite noire », paru en
1986, Amos Oz dépeint une société israélienne divisée entre les partisans du
“Grand Israël” et les défenseurs d’une solution de compromis. Plus tard, dans
son essai « Entre amis », véritable retour aux sources, au kibbutz de
son adolescence, il questionne la place de l’individu dans la société et le
désenchantement des idéaux sionistes. Enfin, dans son dernier roman,
« Judas », l’écrivain interroge sur les relations entre le judaïsme
et le christianisme, et propose un dialogue sur le sionisme et la question
palestinienne. Le titre est évocateur, et pour cause, Amos Oz met en avant la
figure du traître, qu’il incarne lui-même dans la vraie vie, aux yeux d’une
partie de la droite israélienne.
Maître de la langue hébraïque, cet auteur
a contribué à façonner la société israélienne autour d’une culture littéraire
et linguistique. Élevé exclusivement en hébreu, même si son père parlait une
dizaine de langues, il a enrichi l’hébreu moderne. Cet héritage est même
applaudi par ses opposants, car à sa mort, le Premier ministre Benyamin
Netanyahou a salué la « contribution » de l’écrivain à « la
langue hébraïque et au renouveau de la littérature en hébreu » (3).
Amos Oz a non seulement marqué la société
israélienne par son oeuvre littéraire, mais aussi par sa pensée et ses actions
politiques.
« Nous devons diviser ce petit territoire en deux
plus petits territoires : un pour les Israéliens, un pour les
Palestiniens, en paix, coexistence, et sans violence » (4)
Alors qu’Israël et l’Egypte sont en pleine négociation de paix à la fin
des années 1970, plus de 300 officiers réservistes de l’armée israélienne
publient une lettre au Premier ministre israélien Menahen Begin, pour l’inciter
à poursuivre les efforts de paix. Dans la foulée, en 1978, Amos Oz fonde, avec
quelques autres officiers de réserves l’organisation La Paix Maintenant,
appelée Shalom Archav en Israël (5).
Ces dernières décennies, cette ONG est devenue l’organisation pacifiste la plus importante d’Israël. A certaines occasions, elle a réuni des centaines de milliers d’Israéliens dans les rues pour protester contre la politique du gouvernement à l’étranger et dans les Territoires palestiniens.
Ces dernières décennies, cette ONG est devenue l’organisation pacifiste la plus importante d’Israël. A certaines occasions, elle a réuni des centaines de milliers d’Israéliens dans les rues pour protester contre la politique du gouvernement à l’étranger et dans les Territoires palestiniens.
Bien qu’extra-parlementaire, La Paix
Maintenant se situe sur la gauche sioniste du spectre politique israélien.
L’organisation plaide pour une solution à deux Etats avec un retour aux
frontières de 1967, la fin de la colonisation, et donc, la reconnaissance du
droit d’Israël à exister et la création d’un Etat palestinien. Les années 1980
et 1990 sont deux décennies de consécration pour cette organisation.
En 1982, suite au massacre de Sabra et
Chatila (camps palestiniens situés au sud de Beyrouth, Liban) entre le 16 et le
18 septembre, une manifestation monstre est organisée à l’appel de La Paix
Maintenant et du Parti Travailliste israélien (centre gauche) (6), rassemblant
400 000 personnes, soit 8% de la population à l’époque. Les protestataires
appellent à la démission du ministre de la Défense Ariel Sharon, et au retrait
israélien du Liban (7). Jusqu’à aujourd’hui, c’est la plus importante
mobilisation de l’histoire d’Israël. Ces manifestations, additionnées à de
virulentes critiques de l’opposition à la Knesset (Parlement israélien),
entrainent l’ouverture d’une Commission d’enquête israélienne, la Commission
Kahane, dont l’objectif est de déterminer les responsables des événements
survenus dans les camps de Sabra et Chatila. Après 4 mois d’investigation, la
Commission rejette la responsabilité directe du massacre sur les phalangistes
libanais. Elle affirme qu’aucun Israélien ne peut être poursuivi, mais
qu’Israël est indirectement responsable, car l’armée encercle alors les camps
(8).
En 1988, suite à la reconnaissance de l’Etat d’Israël par l’Organisation
de Libération de la Palestine, La Paix Maintenant organise une manifestation
rassemblant plus de 100 000 protestataires, pour appeler au retrait
israélien de la Cisjordanie et de la Bande de Gaza, et à l’ouverture de
négociations avec les Palestiniens. Ces actions ont en partie préparé la
société israélienne à l’approche des Accords d’Oslo.
Cependant, suite à la Seconde Intifada (2000-2006), l’organisation perd considérablement en influence. Aujourd’hui, elle est devenue une des cibles privilégiées de la droite israélienne.
Cependant, suite à la Seconde Intifada (2000-2006), l’organisation perd considérablement en influence. Aujourd’hui, elle est devenue une des cibles privilégiées de la droite israélienne.
Amos Oz, en temps qu’écrivain de renom, a été une des voix de La
Paix Maintenant, dont il a porté le message et propagé les idées pendant des
décennies. Figure la plus connue parmi les co-fondateurs, il a considérablement
contribué au rayonnement de l’organisation. Par la même occasion, l’écrivain
est ainsi devenu l’un des représentants de la gauche sioniste israélienne.
Philosophie
et héritage
Dans la tradition des travaillistes israéliens, Amos Oz ne se
considère pas comme un pur pacifiste. Selon lui, l’usage de la force peut être
nécessaire en cas d’agression. Très critique des utopies, il ne voit pas la paix
comme un idéal politique, mais plutôt comme un compromis réaliste entre deux
ennemis. Dans une de ses dernières entrevues, Amos Oz déclare, à propos de la
solution à deux Etats : « Je rêve d’un monde sans nations, mais en
attendant, tous les humains ont besoin d’une terre où ils puissent se sentir
chez eux. C’est compliqué, mais réalisable ».
Notes :
(1) A l’issue de la guerre des 6 jours, l’armée israélienne occupe Jérusalem Est, la Cisjordanie, Gaza, le Sinaï et le Golan syrien
(2) https://www.lemonde.fr/disparitions/article/2018/12/28/l-ecrivain-israelien-et-militant-pour-la-paix-amos-oz-est-mort_5403235_3382.html
(3) https://www.nytimes.com/2018/12/28/obituaries/amos-oz-dead.html
(4) https://www.youtube.com/watch?v=4Bzhb3WLF84
(5) https://www.nytimes.com/2018/12/28/obituaries/amos-oz-dead.html
(6) https://www.universalis.fr/evenement/15-30-septembre-1982-massacres-dans-les-camps-palestiniens-de-sabra-et-de-chatila/
(7) http://www.irenees.net/bdf_fiche-acteurs-111_fr.html
(8) https://mfa.gov.il/mfa/foreignpolicy/mfadocuments/yearbook6/pages/104%20report%20of%20the%20commission%20of%20inquiry%20into%20the%20e.aspx
(1) A l’issue de la guerre des 6 jours, l’armée israélienne occupe Jérusalem Est, la Cisjordanie, Gaza, le Sinaï et le Golan syrien
(2) https://www.lemonde.fr/disparitions/article/2018/12/28/l-ecrivain-israelien-et-militant-pour-la-paix-amos-oz-est-mort_5403235_3382.html
(3) https://www.nytimes.com/2018/12/28/obituaries/amos-oz-dead.html
(4) https://www.youtube.com/watch?v=4Bzhb3WLF84
(5) https://www.nytimes.com/2018/12/28/obituaries/amos-oz-dead.html
(6) https://www.universalis.fr/evenement/15-30-septembre-1982-massacres-dans-les-camps-palestiniens-de-sabra-et-de-chatila/
(7) http://www.irenees.net/bdf_fiche-acteurs-111_fr.html
(8) https://mfa.gov.il/mfa/foreignpolicy/mfadocuments/yearbook6/pages/104%20report%20of%20the%20commission%20of%20inquiry%20into%20the%20e.aspx
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