ÊTRE JOURNALISTE AU
MOYEN-ORIENT (2/3) : COUVRIR LA GUERRE DU YÉMEN - ENTRETIEN AVEC
FRANCK MERMIER
ARTICLE PUBLIÉ LE 15/01/2019
Propos recueillis par Mathilde Rouxel
https://www.lesclesdumoyenorient.com/Etre-journaliste-au-Moyen-Orient-2-3-couvrir-la-guerre-du-Yemen-Entretien-avec.html
https://www.lesclesdumoyenorient.com/Etre-journaliste-au-Moyen-Orient-2-3-couvrir-la-guerre-du-Yemen-Entretien-avec.html
Franck Mermier est membre du conseil scientifique de
la Maison d’Archéologie et d’Ethnologie René-Ginouvès, CNRS/universités Paris
Ouest Nanterre La Défense/Paris 1 Panthéon Sorbonne. Ses recherches abordent
plusieurs thématiques, particulièrement les dynamiques culturelles, sociales et
politiques dans le monde arabe.
Qui sont, au Yémen, les journalistes et les reporters
de guerre en mesure d’informer sur la situation ?
Les journalistes yéménites sont en butte à
de nombreux obstacles pour accomplir leur travail et nombre d’entre eux ont été
emprisonnés ou forcés de quitter le pays en raison des menaces qui pèsent sur
eux. Toutes les parties en conflit sont impliquées dans ces arrestations
arbitraires et ces enlèvements, aussi bien les Houthistes qui contrôlent la
capitale Sanaa que les milices sudistes telles que la Ceinture de sécurité dans
la région d’Aden ou l’Elite hadramie au Hadramaout. Ces deux dernières forces
sont financées et soutenues par les Emirats arabes unis. Dans les régions de
Mareb et Taez sous contrôle gouvernemental, les critiques envers l’Arabie
saoudite et les Emirats sont devenues pratiquement impossibles, tandis
qu’Al-Jazeera a vu son autorisation annulée aussi bien dans les zones
contrôlées par la rébellion que dans celles censées relever de l’autorité du
président Hadi. En outre, les réseaux sociaux sont particulièrement surveillés
et l’expression de critiques peut conduire à des emprisonnements. Internet est
l’objet d’un contrôle sévère exercé par les services de sécurité des Houthistes
et ceux de Hadi, les Emirats arabes unis ayant notamment aidé ces derniers dans
leur surveillance électronique.
Il en résulte que la plupart des
journalistes indépendants sont réduits au silence, à l’autocensure ou à l’exil.
Quant
à la couverture médiatique de la guerre, elle est assurée par les différents
médias des parties en conflit qui envoient des "reporters" sur le
terrain pour nourrir la propagande des différents camps et les fournir en
images, en interviews et en scènes locales dont la tonalité et le contenu
répondent aux impératifs de la mobilisation.
Comment
se transmet l’information ?
Depuis l’unité du Yémen en 1990, une relative liberté de la presse
a fait éclore de nombreux titres de presse écrite dont beaucoup ont disparu en
raison de la guerre et de la censure. En plus des télévisions satellitaires,
des sites médiatiques par Internet, les réseaux sociaux jouent un rôle très
important et un post sur Facebook de la part d’une personnalité politique ou culturelle
possède une résonance plus grande qu’un article publié dans la presse arabe,
pourtant accessible sur Internet. La mobilisation sur les réseaux sociaux bat
son plein et permet à certains "journalistes" alignés sur l’un ou
l’autre des camps d’accéder à la notoriété et, parfois, à des postes au sein
des différents pouvoirs en lutte. Il faut cependant souligner que, souvent,
l’électricité est coupée et que Internet n’est pas toujours accessible. Dans
une ville comme Sanaa où les salons de qât représentaient, comme dans d’autres
lieux au Yémen, une sphère importante de communication, les relations sociales
sont aujourd’hui minées par la présence de nombreux informateurs qui font des
rapports sur les conversations.
Quels
sont les liens entre les journalistes locaux et les correspondants étrangers
sur le terrain (ou bien les journalistes internationaux qui font les relais,
puisqu’il me semble qu’il n’y a plus de correspondants internationaux au
Yémen) ?
Il y a eu, durant la guerre, plusieurs journalistes internationaux
qui ont pu se rendre au Yémen mais sans pouvoir couvrir l’ensemble du pays et
en restant un temps limité. Il faut noter que le centre de recherche Sana’a
Center for Strategic Studies dirigé par Maged Almadhaji a organisé deux visites
de la presse internationale dans les provinces de Mareb en novembre 2017 et au
Hadramaout en septembre 2018 en leur faisant rencontrer des responsables locaux
qui sont censés relever des autorités officielles yéménites. Ce même centre
organise à Beyrouth depuis 2015 des rencontres entre journalistes étrangers et
personnalités yéménites.
Devant la
complexité du conflit et de l’accès à l’information, en quoi le travail des
reporters (à distinguer de celui des ONG) aide-t-il à la construction d’un
discours scientifique sur ce sujet ?
Il faut insister sur l’importance et la qualité de nombreuses
enquêtes réalisées par des journalistes et chercheurs yéménites sur la guerre
au Yémen et qui sont publiés sur différents sites tels que sanaacenter.org
(Sanaa Center for Strategic Studies) et almadaniyamag.com mais souvent sur des
sites d’information arabes ou dans des revues telles que Bidayyat.org au Liban.
En 2018, Bushra Al-Maqtari, écrivaine et militante yéménite qui vit à Sanaa, a
publié un ouvrage capital sur la guerre au Yémen dans lequel elle rapporte les
témoignages de plusieurs dizaines de proches de victimes (éditions Riad
El-Rayyes, Beyrouth, en arabe). L’auteure a parcouru le Yémen pour recueillir
ces récits qui relatent les circonstances de la mort de ces personnes fauchées
par les bombes des différents belligérants. Il serait important que ce livre
soit traduit en français pour que soient relayées les voix des ces Yéménites
qui, grâce à cet ouvrage, sortent de l’anonymat et nous restituent une part des
conséquences tragiques de cette guerre.
Egalement sur Les clés du
Moyen-Orient :
Vidéo : Entretien avec Franck Mermier - Traduire la mémoire en construction au Yémen et en Syrie
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