Histoire des putschs et tentatives de coups d’Etat en Turquie : l’armée turque, du statut de gardienne du kémalisme à celui d’outil politique (3/4). Le coup d’Etat du 12 septembre 1980, un putsch aux bouleversements socio-économiques profonds pour la Turquie
Par Emile
Bouvier
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22/09/2020 • modifié le 25/09/2020 • Durée de lecture : 14 minutes
A picture taken on
September 12, 1980 shows Turkish Chief of General Staff General Kenan Evren
attending a wreath laying ceremony held at Ataturk’s Mausoleum, the founder of
the Turkish Republic. The same day Kenan Evren had headed the move the same day
when the Turkish Armed Forces took over the government and dissolved the
Parliament
AKAJANS /
UPI / AFP
Lire la
partie 1 et la partie 2
1. Contexte
du putsch
Le 31 mars
1975, Süleyman Demirel, président du Parti pour la justice (conservateur),
succède à Bülent Ecevit, président du Parti républicain du peuple (CHP,
social-démocrate) au poste de Premier ministre. Il forme une coalition avec le
Front nationaliste, le Parti du salut national de Necmettin Erbakan et le Parti
du mouvement nationaliste (MHP) d’Alparslan Türkeș, encore largement actif
aujourd’hui et élément moteur de la coalition formée avec l’AKP (Parti de la
justice et du développement, dont le Président de la République Recep Tayyip
Erdoğan est également le président) à la tête de la Turquie. Le MHP profite de
cette coalition pour positionner ses cadres et militants au sein de l’appareil
étatique et notamment les services de sécurité, aggravant substantiellement la
guerre rampante opposant les mouvements d’extrême-gauche à ceux
d’extrême-droite [1].
Les
élections législatives du 5 juin 1977 ne voient pas de réel vainqueur se
dégager : si le CHP l’emporte avec à sa tête le charismatique Bülent Ecevit
(41,38% des voix) face au Parti de la justice de Süleyman Demirel (38,88% des
suffrages), la fragmentation politique que connaît alors la Turquie empêche le
leader du CHP de former une coalition gouvernementale capable de véritablement
gouverner [2]. Faute de pouvoir opposer une force politique supérieure à la
coalition nationaliste de Süleyman Demirel, ce dernier reste toutefois Premier
ministre ; le 5 janvier 1978 cependant, après plusieurs changements d’alliance,
le leader du CHP parvient à obtenir la majorité parlementaire et devient Premier
ministre. Le 12 novembre 1979, il est à nouveau contraint de quitter son poste
au profit de Süleyman Demirel qui est parvenu, entretemps, à établir une
nouvelle coalition majoritaire au sein de la chambre basse turque.
La fin des
années 1970 en Turquie se caractérise ainsi par une profonde instabilité
politique et, partant, socio-économique ; l’action gouvernementale est quant à
elle paralysée par les jeux de pouvoir au Parlement turc qui, de fait, se
montrera incapable d’élire un Président de la République dans les six derniers
mois précédant le coup d’Etat de 1980 [3]. Depuis les années 1968-1969, le mode
de scrutin proportionnel a en effet rendu pour le moins difficile d’établir des
majorités parlementaires pérennes [4].
Les
intérêts de la bourgeoisie industrielle, qui détient de larges pans de
l’économie turque, s’opposent aux autres classes sociales que sont les
industriels plus modestes, les commerçants, les notables ruraux, les
propriétaires fonciers et ceux dont les intérêts ne coïncident pas avec les
leurs de manière plus générale. Un grand nombre de réformes agricoles et
industrielles demandé par la classe moyenne a ainsi été bloqué par les
représentants au Parlement des classes supérieures [5], favorisant de fait les
clivages socio-économiques en Turquie et un sentiment de frustration qui se
transformera, en bien des occasions, en violences.
La violence
est en effet omniprésente dans la Turquie de la décennie 1970 : le terrorisme
politique y atteint son apogée, avec un total estimé de 5 000 morts durant la
période et des journées où plus d’une dizaine d’assassinats politiques ciblés
était recensée [6]. La plupart des victimes appartenaient à des mouvements
d’extrême-gauche et d’extrême-droite dont la violence des affrontements a pu
s’apparenter, en certaines occasions, aux prémices d’une guerre civile. Les
Loups Gris, branche jeunesse du MHP précédemment évoqués, affirmaient soutenir,
par leurs actions, les forces de l’ordre. Selon le magazine antifasciste
britannique « Searchlight », un total de 3 319 attaques menées par des groupes
fascistes aurait été comptabilisé en 1978, au cours desquelles 831 personnes
auraient perdu la vie et 3 121 blessées [7].
Au cours du
procès des militants de l’organisation révolutionnaire communiste Devrimci Yol
qui se tiendra quelques semaines après le coup d’Etat de 1980 au tribunal
militaire d’Ankara, les forces de sécurité turques annonceront avoir recensé 5
388 morts causés par les affrontements politiques en Turquie durant la décennie
1970, parmi lesquels 1 296 militants d’extrême-droite et 2 109 d’extrême-gauche
[8]. Les autres victimes ne pourront être clairement identifiées sur
l’échiquier politique mais se sont avérées, la plupart du temps, des personnes
désignées par les groupes extrémistes comme des partisans du camp adverse, des
soutiens ou encore des informateurs [9].
Parmi les
incidents les plus notables commis durant cette période, et qui sont encore
commémorés aujourd’hui, se trouvent le « 1er mai sanglant » de Taksim de 1977
[10], l’assassinat de Bahçelievler en 1978 [11] ou encore le massacre de Maraş
en 1978 [12]. A la suite des événements de Kahramanmaraş, l’état d’urgence est
décrété dans 14 des 67 provinces turques [13].
En juin
1979, le MIT - le principal service de renseignement turc - prévient Bülent
Ecevit de l’imminence d’un coup d’Etat ; la primature turque en avertit le
Ministre de l’Intérieur de l’époque, İrfan Özaydınlı, qui en informe à son tour
le général Sedat Celasun afin que ce dernier puisse préparer ses troupes à
contrer un potentiel putsch. Özaydınlı ignore alors que le général Celasun fait
partie des fomentateurs du putsch, et celui-ci limoge le chef du MIT, Nihat
Yıldız, afin que de telles fuites ne se reproduisent plus [14].
De fait,
les discussions autour d’un potentiel coup d’Etat gagnent en intensité dans les
rangs de l’armée. Le 11 septembre 1979, le général Kenan Evren ordonne au
général Haydar Saltık de lui transmettre un rapport indiquant si un nouveau
coup d’Etat semblerait de mise au vu de la situation du pays ou si un simple
avertissement au gouvernement suffirait. Saltık remet son rapport six mois plus
tard et recommande que soit conduit un coup d’Etat [15] ; trois généraux sont
pour le moment dans la confidence : Evren, Saltık et Nurettin Ersin, un ancien
responsable du MIT. Evren aurait décidé d’intégrer Ersin dans les rangs des
comploteurs afin de couvrir l’intégralité du spectre politique : connu comme
étant de gauche, Ersin s’opposerait aux excès de Saltık, connu quant à lui pour
être de droite, et réciproquement [16].
Le 21
décembre, les généraux se réunissent à l’Ecole de guerre afin de discuter des
modalités du coup d’Etat. Le prétexte invoqué est alors la nécessité de mettre
un terme aux conflits sociaux-politique des années 1970 ainsi qu’à
l’instabilité parlementaire permanente. Les officiers supérieurs turcs décident
de transmettre aux chefs de parti (notamment Süleyman Demirel et Bülent Ecevit)
un mémorandum par le biais du Président, Fahri Korutürk ; ce sera chose faite
le 27 décembre [17].
Un deuxième
rapport, soumis en mars 1980, recommande de procéder à un coup d’Etat le plus
vite possible, au risque de voir des officiers moins gradés se résoudre à
prendre eux-mêmes le problème à bras-le-corps et à procéder à un coup d’Etat
sans y associer les officiers supérieurs [18]. Evren, qui s’est imposé comme
leader des putschistes, prend acte de cet avertissement et valide le plan
d’attaque que lui avait transmis Haydar Saltık quelques mois plus tôt ; il
baptise le coup d’Etat « Opération Drapeau » (« Bayrak Harekâtı ») [19].
Initialement
prévu pour le 11 juillet 1980, le coup d’Etat est finalement repoussé après une
proposition, par l’opposition, d’une motion de confiance à l’encontre de Süleyman
Demirel -qui finira d’ailleurs par échouer le 2 juillet. A l’occasion d’une
nouvelle réunion le 26 août dans les locaux du Conseil militaire suprême, les
généraux s’accordent sur une nouvelle date : le 12 septembre [20].
2. Déroulé
du putsch
Le 7 septembre
1980, le général Kenan Evren et ses adjoints confirment la tenue du coup d’Etat
pour le 12 septembre. Le jour-J, le Conseil de la sécurité nationale (MGK)
dirigé par Evren déclare leur prise de pouvoir par la force et l’établissement
d’une force sur les chaînes de télévision nationales. Le MGK étend aussitôt la
loi martiale à travers tout le pays, abolit le Parlement et le gouvernement,
suspend la Constitution et bannit tous les partis politiques ainsi que les
syndicats [21]. Les putschistes se revendiquent du kémalisme et affirment leur
souhait d’en respecter la tradition d’Etat séculaire et unifié, tout en se
présentant comme opposés au fascisme, au communisme, au séparatisme et au
sectarisme religieux.
L’un des
premiers effets visibles du coup d’Etat porte sur l’économie. Le jour du
putsch, celle-ci apparaît sur le point de s’effondrer, avec un taux d’inflation
de 130% [22]. Le chômage atteint des proportions considérables, tout comme le
déficit commercial extérieur. Les changements économiques qui s’ensuivront
entre 1980 et 1983 seront le fait de Turgut Özal, conseiller économique de
Demirel depuis le 24 janvier 1980. Celui-ci, avec l’accord de la junte
désormais au pouvoir, entend basculer résolument l’économie turque dans la
globalisation [23]. Il soutient alors avec fermeté les conseils du Fonds
monétaire international (FMI) face au directeur de la Banque centrale turque,
İsmail Aydınoğlu, et le force à démissionner. Il s’emploie à soutenir les
grandes entreprises et à favoriser le commerce à l’international pour les
commerces turcs [24]. Un mois à peine après le coup d’Etat, la revue financière
londonienne « International Banking Review » écrit qu’un « sentiment d’espoir
est palpable parmi les banquiers internationaux quant à la nouvelle voie que
semble avoir ouvert le coup d’Etat en matière de stabilité politique et de
revitalisation de l’économie turque » [25].
De 1980 à
1983, le taux de change de la livre turque n’est plus fixé par la Banque
centrale turque mais autorisé à fluctuer librement, encourageant ainsi les
investisseurs étrangers à parier sur la nouvelle Turquie post-coup d’Etat [26].
Les entreprises turques sont par ailleurs fortement encouragées à s’associer à
des sociétés étrangères, voire transnationales, tandis que les agriculteurs,
artisans et chefs d’entreprise turcs sont soutenus dans leur démarche
d’exportation et « internationalisation » de leur production. Le gouvernement
turc relance par ailleurs le Projet d’Anatolie du Sud-Est (GAP), en l’amendant
en profondeur afin de faire de lui un projet non seulement hydrique, mais aussi
d’enrichissement et de progrès pour les régions sous-développées du sud-est
anatolien.
L’expansion
substantielle de l’économie turque est toutefois à relativiser : le niveau de
vie moyen des Turcs reste inférieur à celui de la plupart des pays du
Moyen-Orient et de l’Europe, tandis que les salaires des fonctionnaires ont été
gelés par le gouvernement ; le secteur de la fonction publique a de fait été
fortement amoindri et les politiques déflationnistes menées à l’envi - et à
l’excès - par la junte [27].
Dans les
jours et semaines suivant le coup d’Etat, les putschistes procèderont à de
vastes vagues d’arrestation, en particulier dans les milieux d’extrême-gauche
et d’extrême-droite. Au total, près de 650 000 personnes seront détenues. Parmi
elles, 230 000 seront jugées, 14 000 se verront déchues de leur nationalité
turque et 50 exécutées (sur un total de 51 condamnés à la peine capitale) [28].
Au total, des milliers de personnes seront torturées et des centaines
disparaîtront sans explication. Des sources de l’époque montrent que 1 683 000
personnes seront placées sur la liste noire du gouvernement et feront l’objet
d’une surveillance soutenue [29]. Les hommes politiques incontournables du
moment, Bülent Ecevit, Süleyman Demirel, Alparslan Türkeş et Necmettin Erbakan
seront arrêtés et interdits temporairement de toute activité politique [30].
Les Loups
gris seront quant à eux incarcérés par centaines ; forts de 1 700 mouvements
sur le territoire, représentant un total de 200 000 membres et un million de
sympathisants [31], les Loups gris feront l’objet d’une répression toute
particulière de la part des putschistes, ces derniers craignant la menace que
le charismatique Türkeş et ses militants d’extrême-droite pourraient laisser
peser sur la junte. En 1981, 220 membres du MHP sont ainsi jugés pour leur
responsabilité dans l’assassinat de 694 personnes au cours des années 1970
[32]. Les procès sont également l’occasion, pour le public, d’apprendre les liens
très étroits entretenus par le MHP tant avec les services de sécurité qu’avec
la criminalité organisée qui, grâce à la vente d’armes et de stupéfiants,
participait au financement du mouvement d’extrême-droite [33] ; en
contrepartie, ce dernier fermait les yeux sur les activités illicites conduites
par ces mouvements souterrains.
Ces
arrestations en mase seront notamment permises par l’extension des prérogatives
de la police turque et au renforcement de ses moyens face au MIT : la junte se
méfiait en effet du monopole exercé par le MIT en matière de renseignement et
d’opérations clandestines et mettra sur pied un contrepoids efficace incarné
par la police turque qui, en certaines occasions, ira même jusqu’à conduire des
opérations de collecte de renseignement à l’étranger [34].
En trois
ans, les généraux putschistes feront passer en force 800 lois visant à
discipliner, par un cadre militaire, la société turque ; Kenan Evren estimait
en effet que la Constitution n’était pas viable et n’apportait pas la garantie
d’un régime politique efficace [35]. La clé de voûte juridique du corpus
législatif turc fera ainsi l’objet d’une révision en profondeur visant à
inclure des garde-fous censés bloquer les différents éléments que les officiers
putschistes estimaient être à l’origine des maux que traversait alors la
Turquie. Finalement, le 29 juin 1981, il sera question d’établir directement
une nouvelle Constitution : la junte désigne 160 personnes comme membres d’une
assemblée constituante [36]. Celle-ci définira rapidement les contours de la
nouvelle Constitution et établira des définitions et limites claires quant aux
différents rôles politiques à la tête de l’exécutif turc, notamment en matière
d’élection présidentielle qui était, selon les putschistes, l’un des facteurs
majeurs d’instabilité [37].
Le 7
novembre 1982, la nouvelle Constitution est soumise à un référendum qui la voit
adoptée à 92% des suffrages exprimés. Le surlendemain, le 9 novembre, Kenan
Evren est désigné Président par le Parlement pour une durée de sept ans.
L’exécutif turc poursuit ainsi sa tournure militaire ; les deux hommes forts du
moment sont en effet incarnés par Evren et le chef du Conseil de sécurité
nationale, Haydar Saltık [38]. Le gouvernement est quant à lui dirigé par un
amiral à la retraite, Bülend Ulusu, et composé d’un large panel de généraux et
d’amiraux à la retraite côtoyant quelques fonctionnaires civils [39].
3.
L’après-putsch
A la suite
de son accession à la présidence turque, le général Kenan Evren annonce
l’organisation d’élections législatives le 6 novembre 1983. Fortement
critiquées par les intellectuels et les journalistes, ces élections ne se
dérouleront pas, en effet, dans le cadre démocratique espéré par les Turcs : la
plupart des grandes figures politiques pré-coup (Ecevit, Demirel, Erbakan en
particulier) sont en effet interdits de participer à la vie politique turque et
les partis souhaitant participer aux élections devaient, avant toute chose, en
obtenir l’autorisation au Conseil de la sécurité nationale [40]. Au final,
seuls trois partis, dont deux créés par la junte, seront autorisés participer
aux élections [41].
Les
élections législatives voient la victoire du « Parti de la mère-patrie » de
Turgut Özal, mêlant à la fois une idéologie conservatrice sur le plan social
mais libérale en matière économique. Les proches de Turgut Özal investissent
sans surprise les postes à responsabilité : Yildirim Akbulut, futur Premier
ministre (1989-1991) devient président du Parlement avant d’être remplacé par
Mesut Yılmaz, également futur Premier ministre (1991-1991, 1996-1996,
1997-1999) [42]. Süleyman Demirel fonde quant à lui le parti de centre-droit «
Parti de la juste voie » en 1983, qu’il n’exploitera qu’en 1987 lors du
rétablissement de son droit à participer à la vie politique turque.
A partir du
13 décembre 1983, Mesut Yılmaz obtient le poste de Ministre d’Etat, qu’il met à
profit afin de développer les grands centres urbains. Gaziantep par exemple,
petite capitale provinciale, devient florissante et l’une des villes à la
croissance urbaine la plus forte de Turquie [43]. Turgut Özal continue de
poursuivre le développement de la Turquie à l’étranger et notamment en direction
de l’Europe, en déposant le 14 avril 1987 la demande d’adhésion de son pays à
la Communauté économique européenne, future Union européenne [44].
A la suite
du rétablissement de leur droit de participation à la vie politique, le retour
sur la scène publique en 1987 des anciennes figures pré-putsch, notamment
Süleyman Demirel, vient perturber l’équilibre politique alors en place depuis
les élections législatives du 6 novembre 1983. La puissance politique du Parti
de la mère-patrie s’érode à partir de 1987, mais conserve une base militante et
électorale assez forte pour permettre à Turgut Özal de devenir Président de la
République le 9 novembre 1989 à la place de Kenan Evren qui venait alors de
terminer son mandat à la tête de la présidence turque. Özal succombera
toutefois à une crise cardiaque le 17 avril 1993 [45] et sera remplacé par
Süleyman Demirel qui tiendra la présidence turque jusqu’au 16 mai 2000.
Le 12
septembre 2010, un nouveau référendum constitutionnel est organisé en Turquie
afin de rendre la Turquie davantage compatible avec les idéaux et normes
européennes, dans le cadre du processus d’adhésion du pays à l’Union européenne
[46]. Adoptée à la majorité par les Turcs, cette réforme constitutionnelle est
également l’occasion de procéder à un bilan du coup d’Etat de 1980 et surtout,
à une judiciarisation de ses fomentateurs [47].
En effet,
parmi les articles supprimés de la Constitution de 1982 se trouve l’article 15,
qui garantissait l’immunité juridique aux putschistes ; cet article sera
remplacé par d’autres prévoyant au contraire le jugement, au sein de tribunaux
civils, des militaires ayant commis des « crimes contre l’Etat », à l’instar
des coups d’Etat [48]. Les militaires s’étant quant à eux opposé à ces putschs
et ayant été limogés en conséquence peuvent désormais demander compensation et
une réintégration dans les rangs de l’armée turque.
En juin
2011, le procureur général d’Ankara demande dans cette perspective à l’ancien
procureur Sacit Kayasu de lui fournir une copie de l’acte d’accusation qu’il
avait préparé en 2003 contre Kenan Evran, et qui lui avait alors valu d’être
limogé en raison de l’article 15 de la Constitution précédemment mentionné
[49]. En janvier 2012, un tribunal turc requiert la détention à perpétuité
contre Kenan Evren et le général Tahsin Şahinkaya, seuls putschistes alors
encore en vie au moment du procès. Ce dernier commence le 4 avril 2012 à Ankara
et aboutit, le 18 juin 2014, à la prison à vie pour les deux généraux. Kenan
Evren mourra le 9 mai 2015 à l’âge de 97 ans et Şahinkaya décédera à 90 ans à
l’hôpital militaire d’Istanbul le 9 juillet de la même année.
Le coup
d’Etat de 1980, probablement le plus important de l’histoire des coups d’Etat
en Turquie en raison de l’ampleur des bouleversements du paysage socio-politique,
économique et diplomatique qu’il aura induit, sera suivi en 1997 d’un nouvel
avertissement de la part de l’armée à l’intention du gouvernement, sous la
forme à nouveau d’un mémorandum, face à l’expansion de l’islamisme en Turquie
et d’une nouvelle distanciation des autorités civiles vis-à-vis des valeurs
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TurquiePolitiqueHistoire
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22/09/2020
EMILE
BOUVIER
Emile
Bouvier est étudiant à l’Université Paris 1 – Panthéon-Sorbonne, où il prépare
les concours de la fonction publique. Diplômé d’un Master 2 en Géopolitique, il
a connu de nombreuses expériences au Ministères des Armées, notamment au Centre
de planification et de conduite des opérations (CPCO), à l’Etat-major des
Armées dans une cellule d’analyse géopolitique, ou encore en Mission de Défense
(MdD) en Turquie. Son grand intérêt pour la Turquie et la question kurde l’ont
amené à voyager à de nombreuses reprises dans la région et à travailler sur les
problématiques turques et kurdes à de multiples occasions.
Notes
[1] Ahmad,
Feroz. The Turkish experiment in
democracy, 1950-1975. Royal Institute of International Affairs, 1977.
[2] Ibid.
[3] Harris, George S.
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[4] Sayari, Sabri,
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[6]
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[7] Searchlight, No.47
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[8] Erdoğan, Necmi.
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[9] Sayari, S. (2010).
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Violence, 22(2), 198-215.
[10] Le 1er
mai 1977, une manifestation de gauche est prise à partie par des Loups Gris et
la police turque sur l’iconique place Taksim à Istanbul, causant la mort d’un
nombre de personnes indéterminé mais compris entre 34 et 42.
[11] Le 9
octobre 1978, sept étudiants et militants du Parti des Travailleurs de Turquie
sont assassinés dans leur appartement par des membres des Loups Gris dans le
quartier de Bahçelievler, à Ankara.
[12] Du 19
au 26 décembre 1978, des Kurdes alévis de la région de Kahramanmaraş sont
l’objet de violences de la part de militants fascistes, de Loups Gris et
sunnites ultra-conservateurs, conduisant à la mort d’une centaine d’alévis et à
la destruction de 200 maisons et une centaine de commerces.
[13] Gürel, Burak.
"Civil War and Massacre in Maraş 1978." Turkey in Turmoil : 152.
[14]
http://arsiv.sabah.com.tr/2007/07/18/haber,f2f7daedbd12405da139f5c7b988fef6.html
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