Marie-Christine David, experte en art de l’Islam
Pour initier notre nouvelle
rubrique Portraits : les acteurs de l’histoire de l’art islamique,
nous rencontrons Marie-Christine David, experte en art islamique et art de
l’Inde.
APAMI : Bonjour Marie-Christine, merci
d’avoir accepté cet entretien. Pouvez-vous brièvement vous présenter ?
MCD : Je suis expert en art islamique et art indien. Mon
métier consiste à identifier, authentifier et estimer un objet dans le cadre de
ventes aux enchères, dans les inventaires de succession en vue de partage ou de
courtages. Je travaille donc beaucoup avec des commissaires-priseurs, pour les
cabinets d’assurances, ou conseillers spécialisés dans mon domaine.
APAMI : C’est un domaine assez particulier,
comment êtes-vous tombée dans le milieu des arts de l’Islam ?
MCD : C’est la vie ! Ce n’était pas un projet professionnel
dès le départ. Plus jeune, je voulais surtout un emploi qui ne soit pas
répétitif et statique. Je voulais voyager et découvrir d’autres civilisations.
J’ai donc fait l’école du Louvre, j’apprenais même l’hindi aux Langues
Orientales [aujourd’hui l’INALCO – ndlr]. Malheureusement je n’ai
pas complété mon cursus avec des années de fac. Alors que c’est primordial pour
avoir un cursus complet. L’école du Louvre vous permet de bien étudier les
objets, tandis que la fac vous apporte le contexte historique et
civilisationnel de l’objet et idéalement appuyée par une connaissance
linguistique.
APAMI : Que regroupe cette spécialisation
en art de l’Islam et de l’Inde en terme d’objets et provenance géographique ?
MCD : Ma spécialisation englobe toute sorte d’objets. Mais
on retrouve le plus souvent les arts du livre, les productions céramiques,
beaucoup d’armes et de bijoux, mobiliers, objet d’art, quelques fois des
éléments d’architecture. C’est très varié, très diversifié.
Concernant la provenance géographique,
cela englobe ce qu’on appelle la « civilisation islamique », donc de l’Espagne
à l’Indonésie en passant par l’Afrique du Nord, le Proche Orient, l’Egypte, la
Turquie, la péninsule arabique, l’Iran et l’Asie centrale, une partie de l’Inde
influencée par l’Islam et l’Indonésie islamique jusqu’à la Chine que l’on
commence à intégrer à l’Islam. C’est excessivement vaste. Enfin, le terme islamique,
est un peu trop connecté à la religion. C’est comme si vous disiez l’art
chrétien. Il faudrait, comme le disaient certains spécialistes regrouper les
types par pays : l’art turc, l’art égyptien, l’art persan, l’art indien,
d’Afrique du Nord ou art de l’Indonésie Je préfère dire l’art Oriental, qui
reste neutre mais qui limite tout de même.
APAMI : En concernant les limites
chronologiques ?
MCD : Cela commence du début de l’Islam jusqu’au début
du XXe siècle, voire milieu du XXe siècle.
APAMI : Intégrez-vous dans votre champ
disciplinaire l’art contemporain ?
MCD : L’art contemporain surtout comprenant la peinture n’a
plus rien à voir avec les arts traditionnels, à mon avis. C’est un monde à
part, en reprenant les valeurs plus universelles et influencées par l’occident.
Je m’y suis intéressée à un moment donné mais c’est vraiment différent. Je peux
m’occuper de quelques œuvres qui sont vraiment caractéristiques d’un artiste.
APAMI : Qu’en est-il de la photographie et
de la peinture orientaliste ?
MCD : il s’agit également de mondes un peu différents.
Il est vrai que dans les ventes publiques les peintures orientalistes et la
photographie sont associés aux arts classiques de l’Orient. Pour la peinture
orientaliste, c’est plus une vision d’un artiste sur une autre civilisation et
relatif à la qualité de son œuvre. Quant à la photographie, c’est autre chose,
il y a vraiment cet aspect de témoignage sur une civilisation à une époque
donnée. Cela me plait beaucoup.
APAMI : Que pensez-vous du fait que l’art
orientaliste et l’art islamique soient regroupés ensemble lors de ventes
publiques ?
MCD : Effectivement, je trouve intéressant de les
associer puisque la clientèle peut justement s’intéresser à l’aspect européen,
comment l’artiste découvre l’Orient, comment il le perçoit… Vous avez l’exemple
du Qatar qui possède un musée spécialisé dans la peinture orientaliste. Mais il
est vrai que les collectionneurs que je connais ne mélangent pas les arts
islamiques et l’orientalisme sauf pour les photographies qui peuvent
représenter par exemple une façade de mosquée qui aujourd’hui n’existe plus. Il
y a cette dimension de témoignage historique.
APAMI : Il y a-t-il une différence entre le
marché de l’art islamique français et anglais ?
MCD : Oui. L’art islamique en France a été très
longtemps organisé par les commissaires-priseurs sans concertation avec les
confrères, chacun avec leur ventes et leurs clientèle. Mais depuis quelques
temps des tentatives ont été faites pour que les ventes se fassent dans une
même période. Cela en prenant modèle sur les maisons de vente anglo-saxonnes,
tous les concurrents (Christie’s, Bonhams, Sotheby’s,..), depuis très longtemps
organisent de grandes ventes d’art islamique deux fois par an pendant une
semaine. Cela attire beaucoup de monde et développent cette spécialité Tandis
qu’en France, on regroupait les lots avec d’autres spécialités sans tenir
compte des périodes. Sans trop approfondir le temps de recherche. Quoique j’ai
une exception actuellement ! J’ai deux pages de manuscrits historiques
illustrées de peinture moghole du XVIe siècle, on attendait de moi que je les
traite en un mois ! J’ai refusé en leur expliquant que ces peintures étaient
beaucoup trop importantes et rares, qu’elles nécessitaient un travail
beaucoup plus précis que celui faisable en un mois. Et pour la première fois
après une longue carrière, le commissaire-priseur s’est rangé de mon côté ! Il
faut aussi préciser qu’il n’y a que deux lots. Je doute que j’aurais obtenu un
délai pour une vente complète.
APAMI : Pensez-vous qu’on peut changer le
système français ?
MCD : Oui car déjà il y a une évolution entre mes
débuts d’expertise et maintenant. J’ai longtemps travaillé avec la galerie
Soustiel et on a plusieurs fois tenté de créer un temps fort d’art islamique en
regroupant les lots d’Orient de différents commissaires-priseurs mais nous n’y
sommes pas parvenus. C’était vraiment très difficile. La seule chose que nous
avons réussi à faire dans les années quatre- vingt étaient de présenter les
objets ensemble lors d’une exposition.. Ce fut un succès et tout le monde
paraissait ravi ! Il y a eu trois ventes entre Paris et Lyon et beaucoup de monde
les ont suivis. Aujourd’hui, les ventes d’art d’Orient s’effectuent à des
périodes précises.
APAMI : Y-a-t-il d’autres modèles de marché
de l’art islamique dans le monde ?
MCD : Les ventes les plus importantes régulières se
réalisent au royaume uni et aux Etats Unis. Mais depuis une vingtaine d’année,
la Turquie s’est organisée. Mais c’est toujours un mélange de différentes
spécialités. Au Maroc, c’étaient surtout des ventes de peintures orientalistes
de façon irrégulière. Avec une exception en 2015, où j’ai vendu une
partie du fond du musée Majorelle à Marrakech car Pierre Bergé a voulu changé
l’orientation de son musée en musée d’art berbère. Dernièrement, Il y a
également une société privée au Qatar qui a crée une maison de vente en
présentant des peintures orientalistes et des objets essentiellement du XIXeme
siècle.
APAMI : Avez-vous observé au cours de votre
carrière une évolution dans le travail d’expertise ?
MCD : A l’époque où j’ai commencé à travailler
quelque soit la qualité et le prix de l’objets, on devait le décrire de façon
très précise et Il fallait imposer de faire des photos. Les catalogues étaient
un peu confidentiel, il y avait surtout des acheteurs professionnels.
Aujourd’hui, tout est encore question de rapport de résultat de vente et de
frais. On doit toujours faire attention. Mais les catalogues sont devenus très
attractifs par les présentations et la qualité des photos. Maintenant, beaucoup
de collectionneurs, de conservateurs de musées ne passent plus par les
professionnels. C’est pour ça que les catalogues se sont transformés. En
Angleterre les societés de vente s’adressent à des universitaires ou des
conservateurs pour décrire certains objets de qualité .Ce n’est pas encore
arrivés en France, Mais déjà certains conservateurs participent aux catalogues
d’exposition de galerie.Les professionnels des différentes parties s’organisent
pour mieux faire connaître la civilisation islamique qui a été si longtemps
méconnue dans la transmission du savoir et des apports techniques novateurs.
APAMI : Et du point de vue des
collectionneurs ?
MCD : Oui la clientèle a beaucoup changé
! Dans les années 1970, des pharmaciens, des médecins, des industriels avaient
le temps de s’intéresser aux objets d’Orient. Ils venaient discuter dans les
magasins. Maintenant il n’y a plus non plus de petits collectionneurs qui
achètent des objets témoins d’une époque même fragmentaires. Les
collectionneurs sont plus attentifs à la spéculation financière.
APAMI : Quelle est selon vous la plus
grande difficulté de votre métier ?
MCD : D’abord de trouver des objets intéressants et
être sure de leurs authenticité… Les objets sont de plus en plus rares et de
plus en plus chers. Il y a des musées ou des fondations qui se sont créées
d’abord en Turquie puis dans la péninsule arabique, et dans les Emirats, Ils
ont été une stimulation pour faire apparaître de beaux objets mais en
contrepartie, des faux ont surgi avec des techniques très poussées. Il est
devenu nécessaire de faire appel aux analyses des matériaux, et de savoir
interpréter ses analyses pour authentifier ces objets.
L’autre difficulté que je peux
mentionner c’est le statut d’expert en France. Au Royaume-Uni, les experts sont
salariés des maisons de vente. Ils ne sont pas responsables de leur expertise
et souvent, les maisons de vente reprennent les objets sans difficulté. En
France, l’expert n’est pas salarié, il est responsable et doit constamment
étayer ce qu’il expertise. Un acheteur peut se retourner contre l’expert
français indépendamment de la maison de vente..
APAMI : Quelle est votre réaction face à
toute l’actualité notamment le récent rapport sur la restitution de patrimoine
ou interdiction de vente d’objets spoliés ?
MCD : C’est vrai que ça inquiète le marché de l’art.
Il faut pouvoir prouver que l’objet est sorti du pays légalement et depuis
longtemps ou qu’il n’a pas été spolié. Il y a tellement de preuves à fournir
que ça peut dissuader les vendeurs. Je comprends également que les pays aient
envie de récupérer leur patrimoine. Dans le cas par exemple d’objets qui ont été
acheté au début du XXe siècle en Iran, dont on ne conserve plus la facture et
qui est resté tout ce temps dans la famille d’un collectionneur, on n’a aucun
moyen de justifier la légalité de l’objet si ce n’est la réputation ….Il
s’ensuit une difficulté de les vendre même s’ils sont un chaînon de l’histoire
de l’art. On assiste à une véritable évolution du marché qui peut donc avoir
des effets néfastes.
APAMI : Que conseilleriez-vous à des jeunes personnes qui souhaitent
suivre votre exemple de carrière ?
MCD : Il faut être passionné ! C’est un métier qui demande beaucoup de travail et d’énergie. Il faut être éveillé à tout ce qui se passe (expositions, publications, ventes publiques, galeries). Il faut voyager aussi ! Beaucoup de gens veulent faire ce métier mais ceux qui réussissent sont ceux qui se sont vraiment accrochés. Il faut se spécialiser sur un domaine précis en gardant aussi des bonnes généralités. Enfin, il faut absolument connaître les langues anciennes des pays que vous expertisez. Lire l’arabe, l’ottoman ou le persan.
MCD : Il faut être passionné ! C’est un métier qui demande beaucoup de travail et d’énergie. Il faut être éveillé à tout ce qui se passe (expositions, publications, ventes publiques, galeries). Il faut voyager aussi ! Beaucoup de gens veulent faire ce métier mais ceux qui réussissent sont ceux qui se sont vraiment accrochés. Il faut se spécialiser sur un domaine précis en gardant aussi des bonnes généralités. Enfin, il faut absolument connaître les langues anciennes des pays que vous expertisez. Lire l’arabe, l’ottoman ou le persan.
Propos recueillis par Sarah Lakhal et
Auriane Beurdeley.
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