L'Algérie de Tocqueville
L’Algérie de Tocqueville. Chronique d’une colonisation ratée, Amine Boukerche, Apogée, 2018, 250 p., 17 €.
Gérald Gaillard
Mars 2019
En juin 1830, l’Algérie est prise par les troupes de Charles X. Deux mois plus tard, c’est la Monarchie de juillet : que va faire Louis-Philippe de l’Algérie ? Se retirer, comme certains l’exigent à l’Assemblée ? Ne coloniser que la côte, comme d’autres proposent ? Se lancer à la conquête d’un territoire dont on ignore l’étendue, avec un voisin marocain hostile ? Les partisans de cette dernière voie l’emportent en 1840, avec la nomination des généraux Bugeaud et Lamoricière. Alexis de Tocqueville, lui, a passé deux ans en Amérique, voyagé en Angleterre et en Irlande, et publié De la démocratie en Amérique en 1835. Il est en Suisse, et a écrit déjà pour la presse deux « Lettres sur l’Algérie » (1837), avant de s’y rendre en 1840, alors que plus de 30 000 colons y sont installés. En 1847, il y retourne mandaté par une commission parlementaire. Tzvetan Todorov (1988), Olivier Le Cour Grandmaison (2001) et Seloua Luste Boulbina (2003) ont pu montrer un personnage qui en cette occasion semble loin des principes démocratiques qu’on lui prête : un Tocqueville justifiant la suspension des libertés politiques, légitimant les massacres, la destruction des récoltes et le vol de bétail, car tout est bon pour anéantir Abd el-Kader et asseoir la domination française. Il approuve aussi l’installation de colons sur des terres expropriées.
Amine Boukerche prend le contre-pied de ce portrait sombre et montre un Tocqueville plaidant pour un blocus commercial en lieu et place d’une violence « indigne d’une nation civilisée ». Il pense aussi l’après-conquête, soucieux d’éviter aux indigènes d’Algérie le sort des Indiens d’Amérique et prédit l’éventualité d’une guerre entre colonisateurs et colonisés si le vainqueur fait mauvais usage de sa domination. Dans ce jeu de citations contre citations, A. Boukerche situe et explicite, point par point les propos de Tocqueville sur la terre, les tribus et l’islam… Mais l’histoire penche toujours du mauvais côté et on sait ce qu’il en fut : les officiers et généraux firent de brillantes carrières et cent trente ans plus tard, l’affaire se terminera fort mal. Ce livre est aussi un bon résumé de l’histoire de la conquête de l’Algérie et de la situation qui précédait.
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