LE MAJLIS, MIROIR FRAGILE DES LUTTES DE LA SOCIÉTÉ
IRANIENNE
ARTICLE PUBLIÉ LE 05/03/2020
ARTICLE PUBLIÉ LE 05/03/2020
Par Gabriel Malek
Lors d’une conférence
de presse en date du 25 février 2020, le vice-ministre iranien de la Santé,
M. Harirchi, indiquait, en dépit d’un état fiévreux, que l’épidémie de
coronavirus était sous contrôle. Pourtant, le virus gagne du terrain dans le
pays, et cette progression a de quoi inquiéter au vu du positionnement de
l’Iran, étape clef sur la route de la soie, à la
croisée des continents.
Si cette actualité
globale accapare l’attention des media, elle cacherait les très révélatrices
élections législatives qui se sont déroulées en Iran le 21 février 2020. La
victoire quasi-acquise des conservateurs dès le premier tour est un camouflet
pour le président modéré Hassan Rohani en interne, et une conséquence de la
politique de sanctions maximales voulue par Donald Trump et soutenue par des
puissances occidentales impuissantes.
Si cette élection est passée largement
inaperçue en étant considérée comme une simple validation des volontés de
l’Ayatollah Khameini, elle est en réalité un moment politique fort du pays qui
acte la dynamique de victoire du camp conservateur. Afin de remettre cette
élection dans son contexte national et transnational, cet article commencera
par aborder la naissance et l’histoire du Majlis (Parlement iranien), avant de
se concentrer sur les élections législatives de 2020 et ses conséquences
politiques et sociales.
I) Fondation et histoire du Majlis : de
sa création à son incorporation dans le système de la République islamique
a) La révolution
constitutionnaliste et la naissance du Majlis
Événement largement
méconnu au regard de son importance politique, la Révolution
constitutionnaliste (1905-1911) mène pourtant à une rupture historique capitale
en Iran : la naissance d’une monarchie constitutionnelle. En effet,
lorsque le souverain Qadjar Mozaffaredin Shah signe l’ordonnance qui établit le
Parlement iranien (le Majlis) pendant l’été 1906, il met aussi fin à trois
millénaires de monarchie absolue en Iran. Les spécialistes de l’Iran
contemporains tels que Bernard Hourcade, Jean-Pierre Digard ou Yann Richard s’accordent sur le fait que
cette crise sociale et politique marque l’entrée de l’Iran dans son XXème
siècle politique (1). Mais cette révolution constitutionnaliste est une
innovation, non seulement en Iran, mais dans toute la région.
La révolution constitutionaliste
est le résultat d’un ressentiment populaire face à la pauvreté économique et à
l’absolutisme politique des Qâdjârs qui se montrent complaisants
envers les puissances impérialistes. En effet, les Britanniques et Russes
poussent le faible gouvernement de Téhéran à des concessions économiques et
territoriales tout au long du XIXème siècle dans le cadre du Grand Jeu. Si elle largement une réaction à
l’impérialisme, la Constitution qui ressort de cette crise est d’inspiration
occidentale et prend pour exemples les constitutions belge, bulgare et russe.
Elle est au départ bicaméral et prévoyait deux
chambres : l’Assemblée ou Majlis qui a l’initiative des lois et doit
approuver le budget de l’État ; le Sénat qui se compose à moitié de
membres nommés par le Shah et a pour rôle de ratifier les lois. Des libertés
démocratiques sont alors déclarées : liberté d’opinion, de presse, de
correspondance et le droit d’être jugé selon des critères juridiques
prédéfinis. Il faut noter que dès le 12 juin 1907 est ajouté l’article II du supplément
à la constitution qui empêche toute loi de contredire aux principes religieux.
On observe donc un encadrement des activités du Majlis par l’islam chiite bien
avant 1979.
Cependant, les puissances russe et anglaise
perçoivent avec raison dans le Majlis une institution contraire à leurs
intérêts économiques dans le pays. En effet, la population iranienne voit d’un
très mauvais œil les concessions économiques concédées par l’Etat iranien sous
la contrainte. Suite à l’envoi par les Etats-Unis d’experts financiers à
Téhéran en 1911, les Russes investissent militairement la grande ville
économique de Tabriz, et bombardent même le sanctuaire de l’Imam Reza à
Machhad, lieu saint fondamental du chiisme. Face à ces nombreuses pressions, le
Parlement est dissous en décembre de la même année.
En dépit de cet échec, la révolution
constitutionaliste, portée par des manifestations populaires spontanées, a
permis la formalisation d’une conscience politique en Iran et a arraché des
acquis sociaux certains.
b) Son évolution et le
rôle mineur du Majlis sous les Pahlavi (1921-1978)
La dynastie des Qâdjârs
signe sa fin de règne suite au coup d’État d’un officier ambitieux, qui se fera
couronner 5 ans plus tard sous le nom de Reza Shah. Il fonde du même coup la dynastie
des Pahlavis. Il base son autorité sur un pouvoir fort depuis Téhéran qui prend
le pas sur les autres grandes villes (notamment Tabriz) avec une ligne
politique claire : rendre à l’Iran son indépendance vis-à-vis des
ingérences occidentales. Si la lutte d’influence au Majlis constitue un enjeu
certain entre la Grande-Bretagne et l’URSS lors de la crise irano-soviétique de 1945-1946, le
Parlement iranien joue un rôle plutôt mineur sur la période.
Suite à l’abdication de Reza Shah, actant son
échec de protéger les frontières de l’Iran pendant la crise irano-soviétique,
le Majlis semble promis à des responsabilités accrues. Élu dès 1941 au sein du
Majlis, Mohammad Mossadegh accède en 1951 à la fonction de Premier ministre. Il
met alors en place des mesures très progressistes comme la sécurité sociale et
décide notamment de nationaliser l’industrie pétrolière iranienne. Très
populaire, il atteint ainsi une des demandes de souveraineté principale de la
population iranienne, qui cherche aussi à profiter des retombées économiques de
l’or noir.
De nouveau, l’Occident
n’accepte pas une telle atteinte à ses intérêts dans le pays. La tristement
célèbre opération Ajax menée par la CIA et le MI6, provoque un coup d’État
retentissant qui expulse du pouvoir le docteur Mossadegh le 19 août 1953. Le
pouvoir est alors remis dans les mains de l’héritier des Pahlavi, Mohammad Reza Shah. Inaugurant la politique
des deux piliers en protégeant les intérêts américains dans la région avec
l’Arabie saoudite, le Shah garde un pouvoir plein et entier qui ne laisse que
peu de place au parlementarisme. De nouveau, les Iraniens se voient privés de
leur pouvoir légitime par l’intervention occidentale. Il s’agit d’un paradoxe
quand on sait que les libéraux iraniens se sont largement inspirés de la pensée
occidentale et notamment française pour construire leurs idéaux démocratiques.
c) Le Majlis au sein de
la République islamique d’Iran (depuis 1979)
Le retour de Rouhollah Khomeiny à Téhéran en le 1er
février 1979, érigé en figure sage et pacifique par la BBC britannique, acte la
prise en main de la révolution iranienne par les religieux chiites. Largement
inspirée de la théorie des philosophes Roi de Platon sur les idées duquel il
avait fait sa thèse, Khomeiny met en place le Conseil des Gardiens, instance
clef du régime qui travaille sous l’œil attentif du Guide ou Ayatollah. Ce
Conseil est formé par six mollahs nommés par le Guide et de six juristes élus
par les parlementaires, qui veillent à la conformité des lois avec la
Constitution islamique et valident les candidatures aux élections législatives
et municipales. Le Majlis devient alors l’Assemblée consultative islamique.
Forte de 290 députés, dont cinq représentants des minorités confessionnelles
(chrétiennes, juives, zoroastriennes) élus au suffrage universel, le Parlement
vote les lois.
En dépit du contrôle certain opéré par
l’Ayatollah, il est intéressant de considérer la complexité du système politique
iranien. Comme le souligne très bien Amélie Chelly, chercheuse associée à
l’EHESS : « Même si le Guide suprême est la clé de voûte du régime,
il y a des institutions qui permettent de représenter les voix
dissidentes », dont le Majlis fait bien sûr partie. Si les candidats aux
présidentielles et législatives ont tous l’approbation de l’Ayatollah, le choix
que fait la population lors de ces élections détermine beaucoup de choses. En
effet, les camps conservateur et modéré, même s’ils sont tous dans le giron du
Guide, portent des programmes très différents.
L’élection de Hassan
Rohani avec son programme d’ouverture dès 2013 avait permis l’accord de Vienne de 2015 et la reprise
des échanges avec l’Occident. Une telle politique correspondait à l’époque aux
souhaits de la majorité des Iraniens, et était pourtant en forte contradiction
avec toute une partie de l’entourage de l’Ayatollah, soit le camp conservateur.
L’attitude de Donald Trump avec ses sanctions les plus fortes de l’histoire,
suivie par des Européens contraints, a largement favorisé un retournement de
l’opinion publique en Iran.
En dépit de leur
histoire moderne marquée par le Grand Jeu, les Iraniens avaient fait le choix
courageux de l’ouverture, en particulier en faisant confiance aux Occidentaux.
En effet, des pays comme la France ou l’Italie ont un modèle culturel et politique influent en
Iran, notamment car leur passé colonial dans le pays est quasi-inexistant. Mais
la politique de rupture menée par Donlad Trump avec son prédécesseur et la
difficulté des Occidentaux à respecter les promesses de l’Accord de Vienne ont
servi aux conservateurs du régime. Ces actes ont ainsi alimenté la défiance
populaire envers l’Occident, et en dernière date l’assassinat du général Soleimani,
instantanément transformé en martyre par le régime.
En dépit de la faible participation aux
élections, ce 21 février 2020 marque le changement de cap du Majlis mais aussi
du pays entier, la réélection d’Hassan Rohani étant tout à fait incertaine. On
peut souligner la longévité du Majlis, institution apportant une continuité
certaine à l’histoire politique iranienne, et mesurer ce que signifie le retour
des conservateurs, vent en poupe, au sein de cette Assemblée.
Lire sur Les clés du
Moyen-Orient :
L’Iran, de la Révolution constitutionnelle au règne de Reza Shah Pahlavi (1906-1941)
La Révolution constitutionnaliste en Iran (1905-1911)
La place géopolitique de l’Iran des Qâdjârs au sein du Grand Jeu, 1800-1946 (1/2)
La place géopolitique de l’Iran des Qâdjârs au sein du Grand Jeu, 1800-1946 (2/2)
La modernisation jacobine de l’Etat iranien sous Reza Shah (1921-1927)
Le règne de Mohammad Reza Shah : l’Iran de la Seconde Guerre mondiale à la révolution islamique
Rouhollah Moussavi Khomeyni (1902-1989) : guide de la révolution iranienne
Etude : l’élimination du général Soleimani : exorciser 1979 ? Divorce irakien ?
Les « nouvelles routes de la soie » et le (Grand) Moyen-Orient : enjeux et objectifs
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Etude : l’élimination du général Soleimani : exorciser 1979 ? Divorce irakien ?
Les « nouvelles routes de la soie » et le (Grand) Moyen-Orient : enjeux et objectifs
Note :
(1) DIGARD Jean-Pierre, HOURCADE Bernard et RICHARD Yann, L’Iran au XXe siècle : entre nationalisme, islam et mondialisation, Paris, Fayard, 2007.
(1) DIGARD Jean-Pierre, HOURCADE Bernard et RICHARD Yann, L’Iran au XXe siècle : entre nationalisme, islam et mondialisation, Paris, Fayard, 2007.
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