CORONAVIRUS : LA PEUR GAGNE ISRAËL
ARTICLE PUBLIÉ LE 09/03/2020
ARTICLE PUBLIÉ LE 09/03/2020
Par Ines Gil
Psychose ou mesures de
précautions, la peur du Coronavirus n’a pas épargné Israël. L’Etat hébreu a
pris des mesures drastiques pour éviter la propagation du virus. Quelles en
sont les implications pour les relations israélo-palestiniennes ? Et quelles
conséquences pour l’économie et le tourisme d’Israël et des Territoires
palestiniens ?
Le principe de
précaution
Aux prémices de la
crise, les Israéliens ont observé l’épidémie de loin, voyant le virus se
propager un peu partout dans le monde sans compter de cas. Mais la peur est
montée crescendo en peu de jours dans l’Etat hébreu.
Fin février 2020,
l’entrée d’individus (Israéliens et touristes) ayant contracté le virus à
l’étranger a créé la panique. Les premières mesures de précaution ont été
prises avec l’interdiction pour de nombreux voyageurs en provenance de pays
asiatiques de poser le pied sur le territoire israélien. Au total, une
trentaine d’Israéliens ont aujourd’hui contracté le virus, mais aucun mort
n’est à déplorer. Le nombre est certes limité, mais l’Etat israélien a pris des
mesures drastiques pour contenir l’épidémie. Environ 100 000 personnes ont
été placées en quarantaine, assignées à résidence dans leur foyer. Le mercredi
4 mars, le gouvernement a franchi un nouveau pas en renforçant les restrictions
à l’entrée du territoire. Tous les voyageurs en provenance de France,
d’Espagne, de Suisse, d’Allemagne et d’Autriche sont désormais interdits
d’entrée en Israël, sauf les citoyens ou résidents israéliens, qui doivent
respecter une période de deux semaines en quarantaine. La mise en quarantaine
de tous les Israéliens de retour dans le pays est également en discussion le
dimanche 8 mars.
Pour certains analystes,
la gestion maîtrisée de la crise sanitaire par Benyamin Netanyahou peut être
liée au contexte politique. Selon le professeur de science politique à l’Open
University d’Israël Denis Charbit, « dans la situation de crise apparue
avec le coronavirus, Benyamin Netanyahou a multiplié les déclarations pour
démontrer qu’il tenait les choses bien en main. Or, en Israël, un leader n’est
tel que s’il assure aux électeurs que tous les moyens sont pris pour endiguer
la menace ».
La coordination avec
les Palestiniens
Selon
le quotidien israélien Haaretz, la gestion du Coronavirus a eu
« pour mérite de faire baisser les tensions régionales », pourtant
très vives en ce début d’année 2020. Le jeudi 5 mars, une rencontre a été
organisée entre les autorités israéliennes et l’Autorité palestinienne (AP)
pour travailler conjointement afin d’éviter une propagation de l’épidémie. Les
relations israélo-palestiniennes s’étaient pourtant remarquablement dégradées
fin janvier, sous fond de dévoilement du plan Trump pour la paix.
Les passages de
Palestiniens (travailleurs, pèlerins ou visiteurs) mais aussi de touristes internationaux
sont fréquents entre la Cisjordanie et Israël. La semaine du 2 mars, les
premiers cas de Coronavirus sont apparus dans le Territoire palestinien. Les
employés d’un hôtel à Bethléem l’ont contracté après être entrés en contact
avec des touristes grecs porteur du virus (1). Bethléem, aujourd’hui cité
fantôme, a été fermée aux touristes, qui affluent pourtant chaque semaine dans
cette cité considérée comme sainte dans le christianisme. Tout comme Israël,
l’Autorité palestinienne a déclaré l’état d’urgence en Cisjordanie, avec la
fermeture des écoles pour 30 jours et la limitation des déplacements entre les
villes. Des kits médicaux ont été fournis aux Palestiniens, et des formations
médicales ont été organisées conjointement entre l’AP et Israël.
Pour l’instant, le virus
n’est pas entré dans la très isolée Bande de Gaza (2), privée de touristes.
Mais le risque n’est pas inexistant. Début mars, dans le cadre d’un accord
passé entre le Hamas au pouvoir et Israël, 7 000 permis de travail ont été
accordés aux Gazaouis, en plus des permis déjà existants (3). Bien que limités,
les allers-retours entre la bande côtière et Israël ne sont donc pas nuls. Si
le virus entre dans ces terres d’une quarantaine de kilomètres sur 10, il sera
difficile à contenir. Avec près de 6 000 habitants au km2, la Bande de
Gaza est un des territoires les plus densément peuplé au monde. Le système de
santé sous perfusion aurait de lourdes difficultés à gérer l’épidémie sans une
aide internationale.
Le tourisme mis à mal
Les restrictions à
l’encontre des citoyens européens interviennent un mois avant les fêtes de
Pâque (juive comme chrétienne). La période d’avril, temps fort du tourisme en
Israël, voit des milliers de fidèles affluer chaque année. Le gouvernement
israélien pourrait donc chercher à contenir au maximum la propagation du virus
avant l’ouverture de la saison. La semaine dernière, Benyamin Netanyahou a
invité les dirigeants du monde entier à organiser un échange sur la gestion de
la crise sanitaire.
Une dizaine de jours après
le début de la crise, les pertes sont déjà visibles dans le secteur du tourisme
et de l’aviation. La compagnie aérienne El Al a estimé le coût financier de 50
à 70 millions de dollars pour la période de janvier à avril. Elle a déjà pris
des mesures drastiques pour combler les pertes : un millier d’employés
devraient être licenciés et le salaire des dirigeants a été réduit de 20% (4).
Cette semaine, le ministère israélien des Finances a assuré que le Coronavirus
a déjà coûté un milliard de shekels à l’Etat. Si la crise n’est pas
prochainement endiguée, l’Etat hébreu pourrait enregistrer une perte de 12
milliards de shekels, soit 1% du produit intérieur brut du pays (5).
Mais pour les
Israéliens, imprégnés d’un intense esprit sécuritaire, la maîtrise de la crise
sanitaire est plus importante que les retombées économiques négatives. D’autant
plus que ce petit pays jouit d’une « culture organisationnelle
forte » (6) et le virus y est plus aisément contenable. Selon la presse
locale, une start-up israélienne serait sur la bonne voie pour trouver un
vaccin contre le Coronavirus (7). La course contre la montre est donc engagée
pour cet Etat, qui compte malgré tout sur l’afflux des touristes étrangers pour
les fêtes de Pâque.
Notes :
(1) https://www.jpost.com/Arab-Israeli-Conflict/Israelis-Palestinians-unite-to-fight-coronavirus-620067
(2) La bande de Gaza est toujours soumise à un blocus drastique d’Israël et de l’Egypte
(3) https://www.al-monitor.com/pulse/originals/2020/02/isreal-issues-work-permits-gaza-merchants-understandings.html
(4) https://www.lesechos.fr/monde/afrique-moyen-orient/israel-se-barricade-contre-le-coronavirus-1182051
(5) https://fr.timesofisrael.com/le-coronavirus-a-deja-coute-un-milliard-de-shekels-ministere-des-finances/
(6) https://www.haaretz.com/israel-news/.premium-israeli-with-coronavirus-in-severe-condition-israel-may-quarantine-some-u-s-arrivals-1.8638322
(7) https://video.i24news.tv/details/_6127573755001?lang=fr
(1) https://www.jpost.com/Arab-Israeli-Conflict/Israelis-Palestinians-unite-to-fight-coronavirus-620067
(2) La bande de Gaza est toujours soumise à un blocus drastique d’Israël et de l’Egypte
(3) https://www.al-monitor.com/pulse/originals/2020/02/isreal-issues-work-permits-gaza-merchants-understandings.html
(4) https://www.lesechos.fr/monde/afrique-moyen-orient/israel-se-barricade-contre-le-coronavirus-1182051
(5) https://fr.timesofisrael.com/le-coronavirus-a-deja-coute-un-milliard-de-shekels-ministere-des-finances/
(6) https://www.haaretz.com/israel-news/.premium-israeli-with-coronavirus-in-severe-condition-israel-may-quarantine-some-u-s-arrivals-1.8638322
(7) https://video.i24news.tv/details/_6127573755001?lang=fr
Le Moyen-Orient à l’heure du coronavirus
Même
si l’Iran est de très loin le pays le plus touché, la diffusion du coronavirus
accentue la vulnérabilité de toute une région déjà très instable.
Les
deux millions d’habitants de la bande de Gaza ont rarement l’occasion de se
réjouir d’être assiégés de fait par Israël et l’Egypte. C’est
pourtant le cas depuis que le coronavirus s’étend dangereusement dans tout le
Moyen-Orient et que la « prison à ciel ouvert » que représente
ce territoire palestinien en est dès lors protégée. L’ironie mordante sur
Gaza comme « l’endroit le plus sûr au monde » du
fait d’une « quarantaine de 14 ans » a gagné les réseaux
sociaux. Il est vrai que, au Moyen-Orient, la fermeture des frontières en
raison des conflits en cours semble avoir relativement endigué l’épidémie.
Israël a en outre décidé, le 4 mars, d’interdire l’accès de son territoire aux ressortissants
français, allemands, espagnols, suisses et autrichiens, à
l’exception des résidents, après avoir pris des mesures déjà très restrictives
à l’encontre des visiteurs en provenance d’Italie et de certains pays
asiatiques. Quant à l’Autorité palestinienne, elle a fermé, le 5 mars, l’Eglise de la Nativité à Bethléem, après
que des contaminations ont été signalées dans cette ville, peut-être au contact
de touristes grecs.
L’IRAN
MASSIVEMENT TOUCHE
Avec
officiellement plus de 120 décès et près de cinq mille cas de Covid-19, l’Iran
est de très loin le pays le plus touché au Moyen-Orient. La réalité est sans
nul doute encore plus dramatique, du fait de l’incurie des autorités qui ont
longtemps nié l’ampleur du fléau, contribuant ainsi à sa diffusion. La
propagande de la République islamique a même assimilé le virus à un nouveau « complot de l’ennemi »
américain, voire israélien, plutôt que
d’organiser une campagne nationale de prévention. Il est cependant devenu
impossible de persister dans ce mensonge d’Etat lorsque le coronavirus a
commencé de frapper les cercles dirigeants: un conseiller de l’ayatollah
Khameneï, le maître incontesté du pays depuis 1989, en est mort, le 2 mars,
ainsi que deux députés, alors qu’est confirmée la contamination de 23
parlementaires, de la vice-présidente de la République et… du secrétaire d’Etat à la Santé, celui-là même chargé de
gérer la réponse gouvernementale à une telle menace.
L’aveuglement
idéologique du régime iranien s’est aggravé du refus de placer en quarantaine
la ville sainte de Qom, à 150 kilomètres au sud de Téhéran, même si son très
populaire pèlerinage en a fait un centre majeur (cluster) de
transmission du virus. Les autorités ont en revanche accordé une large
publicité à la désinfection, le 27 février, du mausolée de l’imam Reza, le
huitième imam du chiisme, révéré à Machhad, dans l’est du pays (photo
ci-dessus). Ces mesures ponctuelles n’ont évidemment pas suffi à enrayer la
diffusion de l’épidémie, amenant le gouvernement à décréter, le 5 mars, la
fermeture des écoles et des universités, anticipant ainsi de deux semaines les
congés du Nouvel An iranien. A noter que les prisons ne sont même plus
épargnées par le virus, ce qui avive l’inquiétude des proches de Fariba Adelkhah et de Roland Marchal, les deux chercheurs
français arbitrairement détenus depuis juin 2019.
SUSPENSION
DES PELERINAGES A LA MECQUE
L’Arabie
saoudite, où le premier cas a été annoncé le 2 mars, a décidé de suspendre
l’Omra, soit le pèlerinage à La Mecque et à Médine qui est entrepris en dehors
des cinq jours de hajj proprement dit, prévu cette année à la
fin juillet. Les mosquées des deux villes saintes de l’Islam ont de surcroît
été fermées pour désinfection, avec de sévères restrictions imposées aux
dispensaires de La Mecque, ainsi qu’à la consommation d’eau et de nourriture.
Cette suspension de l’Omra vaut pour les Saoudiens comme pour les étrangers,
tandis que sont interdits d’entrée en Arabie les voyageurs en provenance
d’Italie, d’Iran, de Chine ou de Corée du Sud. Le premier cas de contamination
en Arabie proviendrait en effet d’Iran, de même que l’écrasante majorité de la
quarantaine de cas recensés à ce jour en Irak (avec les trois premiers morts
dans la journée du 5 mars). Bagdad a d’ailleurs fermé sa frontière avec l’Iran
et suspendu les liaisons aériennes, une mesure prise sur fond de contestation populaire de la mainmise de l’Iran sur le
pays.
Une
telle polarisation du débat sur le coronavirus est aussi palpable au Liban, où
la dénonciation de la corruption de la classe politique se
nourrit désormais de vives accusations à l’encontre du ministère de la Santé.
Dans l’Egypte de l’ex-maréchal Sissi, le verrouillage de toute forme
d’expression publique n’a laissé qu’un groupe d’opposition dénoncer le manque
de transparence du gouvernement. De fait, la ministre égyptienne de la Santé
s’est rendue en Chine en témoignage de « solidarité » avec
le pays d’origine de l’épidémie, avec don d’un million de masques de
protection, tandis que le drapeau chinois était symboliquement projeté sur
plusieurs monuments du Caire et de la vallée du Nil. En revanche, les
ressortissants du Qatar sont interdits d’entrée en Egypte, une mesure prise en
rétorsion à la suspension des admission au Qatar en provenance d’Egypte. Quant
aux Emirats arabes unis, ils ont décrété la fermeture des établissements
d’enseignement à compter de ce 8 mars, et ce jusqu’à la fin du mois. La
plate-forme touristico-commerciale de Dubaï ne tourne déjà plus qu’au ralenti.
Partout,
au Moyen-Orient, les autorités misent sur un reflux de l’épidémie et politisent
plus ou moins ouvertement les mesures prises à ce stade. Mais la grande
inconnue sur l’état réel de la diffusion du Covid-19 en Iran risque de peser
durablement sur la région.
PS:
Durant les 24h écoulées depuis la publication de ce post, le nombre de morts en
Iran s’est officiellement élevé à 194, tandis que l’Egypte annonçait son premier décès, celui
d’un touriste allemand. Quant à l’Arabie saoudite, elle vient de placer sous
quarantaine sa province orientale, très majoritairement chiite, où ont été
repérés les 11 cas à ce jour déclarés par le royaume.
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