vendredi 13 décembre 2019

Le Sahel et les jihadistes, deux articles


Sahel, l’Etat Islamique plus fort que jamais

 «Quand on perd, ce n’est pas forcément parce qu’on n’a pas été bon.  Mais parce que l’ennemi est plus nombreux et plus fort ». Cette remarque d’une source sécuritaire au Niger résume bien le rapport de force qui a coûté la vie mardi à 71 militaires, selon le bilan officiel, à l’issue d’une bataille qui a littéralement décimé le poste militaire de reconnaissance d’Inates, près de la frontière malienne.
Les 220 hommes menés par le commandant Hassan Anoutab étaient à la prière de magrib lorsque la colonne de l’Etat islamique a fait mouche à deux reprises sur la poudrière (le dépôt de munition) et le  poste de transmission, anéantissant les moyens de communication de la compagnie par des tirs de mortiers efficaces. Ensuite, après avoir semé le chaos, ils se sont rapprochés et ont pris d’assaut les trois sites du poste, qu’ils ont occupé, pillé et dévasté avant de reprendre la fuite vers le Mali.

500 assaillants jihadistes

L’armée nigérienne parle de 500 assaillants, ce qui serait énorme. La présence de blindés est également attestée. 
Faute de moyens de communication, l’état-major de l’armée n’a pas été alerté et n’a donc pas pu envoyer de renforts ni demander l’appui de Barkhane à temps. Les éventuels renforts aériens n’ont jamais décollé, faute d’avoie eu connaissance de la situation. C’est l’arrivée de rescapés à Ayorou, à 35 km de là, qui a sonné l’alarme. 
En plus du nombre des assaillants et de l’effet de surprise, qui a souvent été utilisé avec succès par les combattants djihadistes dans la région, à l’heure de la prière, du repas ou du sommeil, l’attaque d’Inates traduit une habileté et une précision au maniement du mortier qui est inédite. Elle signe une montée en puissance en termes d’armement et de technicité.

Des vétérans venus de Syrie

Certains y voient la main de vétérans syriens qui auraient rejoint les rangs d’Abou Walid Sahraoui en passant par le Sud libyen. D’autres parient sur des renforts arabes, peut-être algériens, au-delà du cercle habituel de l’armée du chef de l’Etat islamique au Grand Sahara formé d’éleveurs nomades, Touaregs daoussak et Peuls. Peut-être aussi, à force de s’emparer des armes et des véhicules des armées régulières de la région, les combattants islamistes ont-ils  fini par en acquérir la maîtrise.
Au moment de l’attaque d’Inatès, Barkhane était engagée dans une opération au Liptako malien, non loin de là tandis que l’armée burkinabè, de son côté, ferraillait contre les groupes djihadistes de la région de Pama, à l’Est. La multiplicité des fronts et des attaques djihadistes, qui frappent partout et à tout moment, met en difficulté des armées encore peu nombreuses, surtout sur les sites reculés.   
L’Etat islamique au Grand Sahara a revendiqué hier, sans surprise, l’opération contre Inates dans leur zone habituelle d’intervention.
Ancien du Monde, de Libération et du Canard Enchainé, Nicolas Beau a été directeur de la rédaction de Bakchich. Il est professeur associé à l'Institut Maghreb (Paris 8) et l'auteur de plusieurs livres: "Les beurgeois de la République" (Le Seuil) "La maison Pasqua"(Plon), "BHL, une imposture française" (Les Arènes), "Le vilain petit Qatar" (Fayard avec Jacques Marie Bourget), "La régente de Carthage" (La Découverte, avec Catherine Graciet) et "Notre ami Ben Ali" (La Découverte, avec Jean Pierre Tuquoi)
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Pour les experts américains, le Sahel est livré au jihadistes

Depuis l’attaque d’Inates au Niger le 10 décembre, le Sahel plonge inexorablement dans un chaos orchestré par les groupes jihadistes, d’après des experts américains interrogés par l’AFP
Plusieurs dizaines de soldats nigériens -près de 140 d’après certaines sources locales!-ont été tués dans l’attaque du camp militaire nigérien, dûment préparée et revendiquée par le groupe Etat islamique. Un épisode tragique qui confirme que ce pays africain, tout comme le Mali et le Burkina Faso voisins, est confronté à une insurrection islamiste dont la force de frappe ne cesse de croître.
« Ca va très mal et cela va continuer d’empirer », craint Michael Shurkin, politologue à l’institut de recherche RAND, résumant une pensée largement partagée dans la communauté des experts de la zone rencontrés par l’AFP à Washington.
Convaincu de l’importance de la mission de la force antijihadiste Barkhane et de la qualité du travail des soldats français, cet ancien analyste à la CIA décrit une situation effrayante au Niger. « Il y a trop peu de soldats locaux, à qui il manque compétences et équipements. Les Français ne sont pas assez nombreux non plus. »
L’attaque d’Inates est la plus meurtrière depuis le début de l’offensive jihadiste en 2015 au Niger. Le Mali a été frappé par une série d’assauts sanglants, plus de 140 soldats ont été tués. Le Burkina Faso avait pour sa part perdu 24 militaires en août, dans un assaut contre la base de Koutougou, également près de la frontière malienne.
« Il n’est pas possible de régler la situation en tuant tout le monde. La situation est hors de contrôle », estime un responsable du département américain de la Défense sous couvert de l’anonymat. « Les Etats sont désorganisés, je pense qu’ils sont justes dépassés. »
Le G5-Sahel (Mali, Burkina Faso, Niger, Tchad et Mauritanie), dont les membres sont censés s’unir face à un ennemi chaque semaine plus menaçant, demeure selon lui une idée plus qu’une force. « Avec plus de soutien international, ils pourraient devenir un acteur mais aucun signal n’indique que ce soit en train de se produire ».
Comme les premières réactions au Niger l’ont montré, les opinions publiques locales s’interrogent ouvertement sur le rôle de la force française, qui maintient 4 500 hommes sur le terrain. Un chiffre faible, compte-tenu de l’espace concerné, soulignent les analystes. « Tout le monde sait que Barkhane n’est pas assez important pour faire plus qu’éteindre un feu plus gros encore. C’est la pire des justifications pour une guerre, mais la France en est là », estime Michael Shurkin.

Un cul-de-sac sanglant et désespéré

Dans cette immense région aride et pauvre, balayée par le vent et le sable et délaissée par les Etats centraux, les dynamiques sociales et politiques évoluent selon des logiques tribales, très localisées, au sein desquelles les groupes jihadistes ont su s’inscrire.
« Les groupes progressent dans leur lecture des réalités locales et commencent à proposer des formes de gouvernance », constate Emily Estelle, de l’American Entreprise Institute (AEI). Ils « assouvissent des besoins simples de la population », ajoute-t-elle évoquant par exemple la gestion des droits d’exploitation des terres ou de l’usage de l’eau dans les villages.
Les forces de sécurité locales ne sont elles-mêmes pas exemptes de tous reproches, entre arrestations de masse et exécutions sommaires d’individus accusés de soutenir les jihadistes. « Le jour, on craint l’armée, la nuit on craint les jihadistes », a indiqué un villageois aux équipes de l’AEI. Un cul-de-sac sanglant et désespéré.
Progressivement, les groupes enrôlent donc des combattants et se font plus efficaces. Sans même être informée du dernier épisode au Niger, Emily Estelle constatait le 10 décembre 2019 une escalade depuis deux ans des « attaques de bases militaires, par rapport à ce à quoi l’on assistait dans le passé ». Les capacités d’action des jihadistes augmentent, la réponse des Etats stagnent.
Le président français Emmanuel Macron a annoncé le report à janvier du sommet consacré à l’opération Barkhane et au G5-Sahel, initialement programmé le 16 décembre pour notamment clarifier avec les dirigeants africains les positions de chacun sur la présence militaire française.
Mais aucun des experts interrogés par l’AFP n’imagine la France quitter la région, au risque de laisser les jihadistes agir librement à quelques milliers de kilomètres de son territoire. Aucun ne la voit non plus augmenter massivement sa présence, encore moins pacifier la région rapidement.
« La France est autant déployée que possible et n’y arrive pas. Aucun Etat ne peut renflouer la région », estime Jacob Zenn, de la Fondation Jamestown à Washington. Avec en tête plus de questions que de réponses. « Est-ce que l’arc d’instabilité (Niger, Burkina, Mali) va se concrétiser ? Est-ce que le Togo, le Bénin, le Ghana sont préparés ? »



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