« AL-‘ULĀ : MERVEILLE
D’ARABIE. L’OASIS AUX 7000 ANS D’HISTOIRE », COMPTE RENDU DE L’EXPOSITION
PRÉSENTÉE À L’INSTITUT DU MONDE ARABE JUSQU’AU 19 JANVIER 2020
ARTICLE PUBLIÉ LE 12/11/2019
Par Florence Somer Gavage
Au Nord-Ouest de l’Arabie s’étend, entre les massifs
de grès et de basalte qui sont ses gardiens, une vallée fertile de 30 km de
long, berceau de trois oasis qui furent les témoins du passage du temps depuis
que les caravanes antiques, en route vers l’Arabie Heureuse, sillonnaient la
route de l’encens, de la myrrhe et des aromates devenue celle du pèlerinage
vers La Mecque et Médine. L’oasis d’Al-‘Ulā était aussi un passage de voie
ferrée du Hijaz qui devait relier, au début du XXème siècle, Damas à Médine.
L’oasis est composée de trois sites : Dadan (1),
capitale de la civilisation Dadanite/Lihyanite au Ier s.acn ; Hégra ou Al
Hijr (2) (Ier s. acn -IVème s. pcn), ville du royaume nabatéen intégrée à
l’Empire romain au IIème s. ; Qurh (3), (IIIème-Xème s. pcn)
principalement développée durant la période omeyyade.
L’exposition
dévoile pour la première fois au grand public le fruit de plus de vingt ans de
recherches et plonge le visiteur, à travers des vidéos et des prises de vues
aériennes, sur le site où ont été découverts des objets usuels et rituels, des
richesses botaniques et archéologiques témoins d’une rencontre subtile entre
l’homme et les bienfaits du désert.
Des jardins dans le désert
L’occupation
du site est attestée depuis le Paléolithique inférieur, où des populations
venues d’Afrique se seraient établies. Une grande structure rectangulaire datée
de la Préhistoire récente (+-5000 acn) a, en outre, été mise au jour en 2018.
Les motifs des peintures rupestres retrouvées sur le flanc des montagnes
permettent de se figurer l’environnement de ces premiers habitants et les
images aériennes ont donné de mettre au jour l’emplacement de tombes dites
« à traîne » datant de l’âge du bronze.
Malgré le
paysage aride qui entoure l’oasis, les eaux de pluie dégoulinant des reliefs
rocheux vers la plaine alimentent une nappe phréatique permettant la
récupération de l’eau au moyen de qanāt, de puits et de citernes. Cet ingénieux
dispositif a donné lieu à une agriculture irriguée, organisée en étages, pour
développer palmeraies et jardins où poussaient arbres fruitiers, céréales et
légumineuses. Les archéologues ont également découvert des graines de coton
dans l’oasis de Hégra, attestant de l’intégration, depuis le Ier s. de notre
ère, des techniques de cette culture pourtant hydrophage.
Lors de son passage dans l’oasis en l’an 1326 de notre ère, le
géographe voyageur Ibn Battūta écrit :
« Celui qui y entre est perdu et celui qui en sort renaît. » Venant
du désert, le voyageur fut ébloui par les jardins aux dattiers, orangers ou
citronniers et envouté par leur mélange aux effluves de menthe, de grenade et
de figues.
Une bibliothèque à ciel ouvert
Al-‘Ulā
offre une bibliothèque épigraphique ayant de quoi émerveiller les philologues
du monde antique : sur les montagnes de grès et des plaquettes du même
matériaux se mélangent les écritures araméennes, dadanitique, thamoudéenne,
minéenne, nabatéenne, grecque, latine et arabe témoignant des différentes
entités politiques, économiques et religieuses qui se sont succédées sur le
site entre le VIIIème s. avant et le VIIème s. après notre ère. Le royaume de
Dadan du VIIIème au Vème s. acn, celui de Lihyan du Vème au Ier s. acn, et
celui des nabatéens du Ier s. avant au IIème s. après notre ère ; chacun
organisant la vie dans son entité en mettant à profit la situation géographique
de l’oasis au carrefour des routes caravanières qui traversent l’Arabie du Nord
au Sud et d’Est en Ouest.
Le dadanite
est une branche de l’alphabet dit « sud-sémitique » aux caractères
géométriques reconnaissables alors que l’araméen, la langue de communication
économique et diplomatique en vigueur dans l’empire perse, a été introduit par
Nabonide, le dernier roi de Babylone, à partir de 552 acn. A partir de
l’araméen, des variantes locales se sont développées parmi lesquelles le
nabatéen. Le passage du nabatéen au nabatéo-arabe, au proto-arabe et à l’arabe
est particulièrement bien documenté sur le site, témoin de l’installation
progressive des principautés arabes dans la région à partir du IVème siècle.
En 106,
l’empereur Trajan annexe la Nabatène, dont fait partie le Hijāz et Hégra, qui
devient la province romaine d’Arabie. Témoins de cette occupation, les
graffitis grecs et latins laissés sur les rochers par les soldats romains.
L’intérêt pour la ville étant avant tout stratégique pour permettre la
surveillance de l’unique route caravanière reliant la Syrie romaine à l’Arabie
du Sud entre le IIème et le IVème s., la province n’a pas été proprement
romanisée. On n’y retrouve donc pas de théâtre, de forum ou de rue pavée.
Dès la fin
du XIXème s. les explorateurs européens se rendent à al-‘Ulā pour déchiffrer
les alphabets qui se côtoient sur le site. Entre les années 1907 et 1910, les
pères dominicains Antonin Jaussen et Raphaël Savignac arrivent sur place pour
étudier eux-aussi les inscriptions anciennes et réalisent des clichés qui
attestent de la vie de l’oasis au début du XXème s.
Serpent, ibex, dromadaire et lion
En
complément des témoins écrits de chacune de ces époques, des sanctuaires, dont
deux sont dédiés à la divinité masculine de l’eau et l’agriculture Dhū Ghaybah,
précisent l’importance du site comme lieu de pèlerinage. Les tombeaux, les
forts ou les remparts mis au jour par les archéologues sont autant d’indices
offrant un voyage dans le temps pour comprendre l’organisation de l’existence
aux différentes époques passées. Les objets nous donnent à voir les gestes
quotidiens cultuels et séculiers tels des brûles encens, des coupes et des
jarres. Sont également mise au jour des figurines représentant des animaux
comme l’ibex, associé à la chasse et la prospérité ; le serpent, être
chtonien aux fonctions protectrices ; le dromadaire, animal emblématique
des échanges commerciaux caravaniers ou le lion, figure symbolique du pouvoir
dans tout le Proche-Orient antique, présent aux portes des palais et des
temples et dans certains sanctuaires et nécropoles.
Une
représentation mériterait plus de précisions. Prêté par le musée du département
d’archéologie de l’université du roi Saoud à Riyād pour l’exposition, un
bas-relief en grès rouge décoré d’une lionne allaitant son petit ornant le
sanctuaire de Dadan (Vème-Ier s. acn). A la différence de la tradition
mésopotamienne, néo-assyrienne ou iranienne qui associe le pouvoir royal et le
courage à une représentation masculine, cette figure féminine du lion rappelle
la déesse égyptienne Sekhmet, guerrière et guérisseuse. Il faudrait
éventuellement y voir un syncrétisme religieux dont le développement n’est pas
suggéré.
De Damas à La Mecque : à
pied, à dos de dromadaire ou en train
A partir du VIIème siècle de notre ère, les routes caravanières
qui reliaient l’Arabie à la Méditerranée et l’Egypte deviennent des routes de
pèlerinage vers La Mecque et Médine. Sur la
carte des étapes de ce pèlerinage, al-‘Ulā est une station prisée pour ses
ressources en eau et nourriture. Le nombre de pèlerin augmentant avec le temps,
les Ottomans présents à al-‘Ulā à partir du XVIème s., soucieux de promouvoir
la sécurité et le confort des pèlerins, ont emménagé des routes. Le douzième
siècle de l’histoire de l’oasis verra se développer le chemin de fer du
Hijāz construit par le génie civil allemand sous le règne du Sultan Abdülhamid
II. La station de al-‘Ulā est inaugurée en 1907, sept ans après l’ouverture de
la ligne. Grâce au train, La Mecque n’est plus qu’à trois jours de voyage de
Damas contre quarante à dos de dromadaire.
Dynamitée pendant la première guerre mondiale par Lawrence d’Arabie et finalement totalement abandonnée vers 1920, la ligne n’atteindra jamais sa dernière station, Médine.
Dynamitée pendant la première guerre mondiale par Lawrence d’Arabie et finalement totalement abandonnée vers 1920, la ligne n’atteindra jamais sa dernière station, Médine.
Notes :
(1) Actuelle al Khuraybah.
(2) Actuelle Madāin Sālih.
(3) Actuelle al-Mābiyāt.
(1) Actuelle al Khuraybah.
(2) Actuelle Madāin Sālih.
(3) Actuelle al-Mābiyāt.
A consulter :
Nehmé, Laïla (dir.) & Alsuhaibani, Abdulrahman & Cassola, Virginia (éd.), AlUla, Merveille d’Arabie, Institut du monde arabe, Paris, 2019.
https://www.imarabe.org/fr/expositions/alula-merveille-d-arabie
https://experiencealula.com/en/AboutUs/Pages/default.aspx
https://www.nationalgeographic.org/projects/out-of-eden-walk/articles/2013-11-lost-village/
Nehmé, Laïla (dir.) & Alsuhaibani, Abdulrahman & Cassola, Virginia (éd.), AlUla, Merveille d’Arabie, Institut du monde arabe, Paris, 2019.
https://www.imarabe.org/fr/expositions/alula-merveille-d-arabie
https://experiencealula.com/en/AboutUs/Pages/default.aspx
https://www.nationalgeographic.org/projects/out-of-eden-walk/articles/2013-11-lost-village/
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