LA CONFÉRENCE DES OISEAUX
ARTICLE PUBLIÉ LE 01/03/2019
https://www.lesclesdumoyenorient.com/La-conference-des-oiseaux.html
Par Florence Somer Gavage
Lors de trois représentations fin février 2019 à
Paris, la Comédie de l’Est a proposé un spectacle théâtral mis en scène par Guy
Pierre Couleau et né d’une adaptation de Jean-Claude Carrière et porté pour la
première fois au théâtre par Peter Brook en Avignon en 1979. Les dix comédiens
présents sur scène, issus d’origines diverses, représentent l’humanité
bruyante, désordonnée et peureuse qui doit accomplir un périple vers elle-même
et vers l’autre pour retrouver le courage, la force et la cohésion afin de satisfaire
son besoin de paix et d’harmonie et accueillir ceux qui ont fuit la guerre, la
maladie et la mort pour la retrouver.
La
conférence des oiseaux (1) est l’œuvre majeure de Abū Ḥāmed Moḥammad b. Abī
Bakr Ebrāhīm dit Farīd al dīn ʿAttār, poète persan originaire de Nišapūr,
théoricien du mysticisme et hagiographe. Cette œuvre poétique est un conte
cadre qui narre l’épopée mystique, initiée et supportée par l’amour, d’un
groupe d’oiseau pour trouver sa reine, la Sīmorgh. Ce groupe d’oiseau, figuré
sur scène par dix comédiens est mené par la huppe, un petit oiseau de la
grosseur d’un merle que l’on retrouve tant en Europe, en Afrique qu’en Asie et
qui est caractérisé par une crête de plumes rousses terminées de noir. Tout au
long de l’œuvre poétique, on retrouve des références coraniques évidentes mais
en choisissant cet oiseau menu et répandu sur les trois continents, ʿAttār
s’est également inscrit dans la tradition universelle qu’elle soit antique
juive ou coranique où ce petit volatile a la réputation d’être un messager
magique et divin.
La Huppe, oiseau de Salomon
Une légende juive raconte comment la huppe a reçu de Salomon sa
crête. Alors que Salomon se promenait sur le dos de son aigle, le soleil l’a
frappé si fort qu’il aurait pu en mourir quand des huppes en groupe, voyant sa
détresse, se sont empressées de lui porter secours en déployant leurs ailes
autour de lui. Pour les remercier, Salomon décide de leur accorder un vœu. Le
roi des huppes lui demande qu’une couronne d’or cerne leurs têtes. Salomon les
averti qu’il s’agit d’un vœu bien imprudent mais que si tel est leur désir, il
va l’exaucer. Alors que les huppes, ravies, quittent son palais, elles volent
pour se faire voir et passer des longs moments à s’admirer dans l’eau des lacs.
Mais les chasseurs ayant observé leurs manèges eurent tôt fait de fabriquer des
pièges ornés d’un miroir et une à une les huppes se firent prendre et tuer pour
l’or de leur couronne jusqu’à ce que le roi des huppes se retrouve seul de son
espèce. Le cœur lourd, il retourna voir Salomon pour qu’il lui enlève cette
couronne pesante. Le roi acquiesça et, à la place, lui offrir une crête pour
que sa beauté ne le perde plus (1).
Dans la sourate 27, alors que Salomon passe en revue les oiseaux,
la huppe explique son retard et sauve son existence en apportant de Saba des
nouvelles que Salomon ignore. Le pouvoir de sourcier de la huppe pourrait avoir
influencé ce passage où il possède un pouvoir que Salomon n’a pas. Dans la
magie ancienne, il est celui qui trouve les sources d’eau et dès lors sauve de
la soif ceux qui le suivent. Dans la sourate « les fourmis », elle
trouve ceux qui sont dans l’erreur comme la reine de Saba, ceux qui ne
s’abreuvent pas à la bonne source. Par ailleurs, la huppe parle par énigme le
langage des oiseaux qui est la langue de l’âme où les mots n’existent pas pour
eux-mêmes mais donnent du sens à l’invisible.
En tant que meneur du voyage initiatique des oiseaux, la huppe est
encore celui qui se propose d’abreuver à la source de la connaissance
expérimentale celui qui sera prêt à vaincre ses peurs pour le suivre. Les
oiseaux sont les représentations allégoriques des âmes qui, pour trouver leur
reine sur le mont mythique Qāf, devront franchir, au-delà du désert, les sept
vallées qui permettront le détachement du soi et de se fondre dans l’Un, l’être
suprême et invisible. Le récit est agrémenté d’une littérature de sagesse sous
forme de contes tels qu’on les retrouve dans les 1001 nuits, mais le voyage
initiatique des oiseaux possède un caractère empruntant à la fois à la
philosophie d’Orient et d’Occident.
Le soufisme s’inspire largement de la philosophie néoplatonicienne
et de ses commentaires des œuvres de Platon et surtout d’Aristote. Mais en se
systématisant sur un modèle grec, le soufisme oriental s’est également
réapproprié un modèle emprunté à l’Orient par Plotin lui-même. L’histoire de la
porosité des systèmes philosophiques grecs, persans puis arabe doit également
prendre en compte le fait que, quand ils furent chassés par Justinien en 533,
les derniers platoniciens de l’Académie, Damascius et ses compagnons, se
réfugièrent à la cour du roi perse Xosrow Anūširvān (2).
Convaincre les oiseaux
La huppe le fait savoir d’emblée : le chemin pour arriver
jusqu’à Sīmorgh sera long, difficile et semé d’embûches et tous n’y
parviendront pas. Pourtant, les oiseaux doivent trouver le courage de braver
leurs peurs, de sortir de leur cage dorée ou de l’entourage trop changeant des
puissants de ce monde qui imposent des règles contraires à l’éthique. A chaque
oiseau qui trouve une raison pour ne pas entamer le voyage, la huppe narra un
conte de sagesse qui a pour bout d’anéantir les doutes et les faux arguments.
Ces contes puisent dans les sagesses profanes et religieuses diverses et
illustrent le dialogue culturel à l’œuvre à l’époque de l’écriture de ces vers.
Comme les habitants de la caverne platonicienne, les oiseaux vivent dans la
nuit et ne voient que leur ombre en reflet. Grâce à l’amour inconditionnel qui
les anime encore, il leur faut trouver le courage de sortir de leur condition
pour aller vers la lumière, le Bien, la Vérité et arriver à se fondre en elle
comme le papillon se fond dans la flamme.
Le départ et la quête
Avant d’entamer le voyage vers les sept vallées (la symbolique de
l’heptade est importante), il faut franchir le désert de la faim et la soif
matérielle. Une fois franchie cette étape, le retour est impossible car l’éveil
de la conscience et de l’âme à la possibilité de trouver son objet d’amour
absolu est irréversible.
Les sept vallées regorgent de dangers mais surtout
d’enseignements. Les oiseaux franchissent successivement les vallées du Désir,
de l’Amour, de la Connaissance, de la Plénitude, de l’Unicité, de la
Perplexité, du Dénuement et de l’Anéantissement pour arriver jusqu’au trône
royal de la Sīmorgh, pareil à celui de Salomon. A chaque vallée, ils perdent
des compagnons, au-dessus de chaque mont, certains d’entre eux abandonnent.
Pourtant, à force de ténacité, d’humilité, de patience et de renoncement aux
illusions de l’Ego, les oiseaux arrivent enfin au terme de leur quête et de
leur cheminement spirituel. Exténués mais emplis du sens nouveau qu’ils ont
trouvé à leur existence et leur place dans l’univers, les oiseaux attendent, le
cœur battant, de rencontrer celle pour qui ils ont accompli ce périple. C’est
alors qu’en entrant dans la salle du trône, ces 30 oiseaux, ces sī morgh (3)
voient en lieu et place de leur dirigeant légitime, leur propre reflet.
Notes :
(1) Frankel, Ellen, The Classic Tales : 4,000 Years of Jewish Lore, 1989,
1993 by, Jason Aronson, Northvale, New Jersey p. 239-24.
(2) Contraction du moyen-perse anōšag ruwān : à l’âme immortelle.
(3) En persan : trente oiseaux. Homonymie entre le nom de l’oiseau
mythique et les trente oiseaux qui se voient eux-mêmes au terme de cette quête
spirituelle.
Références :
https://editionsdianedeselliers.com/fr/le-cantique-des-oiseaux-farid-od-din-attar
http://www.iranicaonline.org/articles/attar-farid-al-din-poet
http://www.iranicaonline.org/articles/simorg
https://comedie-est.com/la-saison/spectacles/la-conference-des-oiseaux/
https://comedie-est.com/fichier/rte/General/AnnexesCrea/diffusion/DOSSIER-DE-DIFFUSION-La-Conference-des-Oiseaux-21092018.pdf
(1) Frankel, Ellen, The Classic Tales : 4,000 Years of Jewish Lore, 1989, 1993 by, Jason Aronson, Northvale, New Jersey p. 239-24.
(2) Contraction du moyen-perse anōšag ruwān : à l’âme immortelle.
(3) En persan : trente oiseaux. Homonymie entre le nom de l’oiseau mythique et les trente oiseaux qui se voient eux-mêmes au terme de cette quête spirituelle.
https://editionsdianedeselliers.com/fr/le-cantique-des-oiseaux-farid-od-din-attar
http://www.iranicaonline.org/articles/attar-farid-al-din-poet
http://www.iranicaonline.org/articles/simorg
https://comedie-est.com/la-saison/spectacles/la-conference-des-oiseaux/
https://comedie-est.com/fichier/rte/General/AnnexesCrea/diffusion/DOSSIER-DE-DIFFUSION-La-Conference-des-Oiseaux-21092018.pdf
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