http://www.lesclesdumoyenorient.com/Emergence-et-enracinement-de-l-Etat-islamique-1-3.html
EMERGENCE ET ENRACINEMENT DE L’ETAT ISLAMIQUE (1/3)
ARTICLE PUBLIÉ LE 05/06/2017
Par Matthieu Saab
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L’Etat islamique est un mouvement sunnite qui a conquis des territoires à l’Ouest de l’Irak, à l’Est de la Syrie et en Libye à partir desquels il a créé un califat qui revendique le contrôle du pouvoir politique et théologique dans l’ensemble du monde musulman. Cependant, son projet de bâtir un Etat a été caractérisé beaucoup plus par une violence aveugle que par une volonté de construire des infrastructures étatiques. Les succès militaires de l’Etat islamique en 2014 ont encouragé des milliers de soldats étrangers à venir grossir ses effectifs alors que des groupes insurgés et terroristes agissant en son nom organisent des attaques contre la population civile aussi bien aux Etats-Unis, en Europe que dans le Sud de l’Asie.
L’Etat islamique est un mouvement sunnite qui a conquis des territoires à l’Ouest de l’Irak, à l’Est de la Syrie et en Libye à partir desquels il a créé un califat qui revendique le contrôle du pouvoir politique et théologique dans l’ensemble du monde musulman. Cependant, son projet de bâtir un Etat a été caractérisé beaucoup plus par une violence aveugle que par une volonté de construire des infrastructures étatiques. Les succès militaires de l’Etat islamique en 2014 ont encouragé des milliers de soldats étrangers à venir grossir ses effectifs alors que des groupes insurgés et terroristes agissant en son nom organisent des attaques contre la population civile aussi bien aux Etats-Unis, en Europe que dans le Sud de l’Asie.
Introduction
L’Etat islamique a été créé suite à l’invasion de l’Irak par les Etats-Unis en 2003 et à la fusion du mouvement de Abou Mousab al-Zarkaoui, Jama’at al-Tawhid wa’al-Jihad avec al-Qaïda qui a permis l’émergence de al-Qaïda en Irak (AQI). Zarkaoui s’est attaqué à des chiites et à leurs lieux saints afin de provoquer une réaction hostile de leur part, entrainant du coup une guerre civile incontrôlable à laquelle les Américains vont être mêlés (1).
Zarkaoui a été tué par les Américains en 2006, AQI fut affaibli ce qui encouragea les tribus sunnites à se réconcilier avec le gouvernement du Premier ministre chiite Nouri al-Maliki installé en Irak avec l’appui des Américains. Par la suite, AQI a été rebaptisé Etat islamique d’Irak, puis Etat islamique d’Irak et de al-Sham (IS ou ISIS). Suite à ces restructurations, al-Qaïda a continué à agir comme un groupe indépendant dirigé par Ayman al-Zawahiri.
L’Etat islamique recouvre une grande partie des pays du Levant, à l’Est de la Méditerranée et a élargi ses ambitions depuis le déclenchement des printemps arabes en 2011. Par la suite, l’EI va se renforcer en soutenant la population sunnite en Irak et en Syrie. Le pouvoir du gouvernement al-Maliki va se raffermir suite au retrait américain de 2010 et va isoler les sunnites afin de les affaiblir davantage.
Maliki va faire face à une corruption endémique et à une désertion croissante au sein des forces armées irakiennes, ce qui encouragea l’Etat islamique à s’emparer de Mossoul en juin 2014. Par la suite, la ville de Raqqa au Nord de la Syrie va devenir de facto la capitale de l’Etat islamique grâce à la création de nouvelles institutions (judiciaires, économiques, éducatives, médicales et sécuritaires) afin d’assurer les besoins de la population.
Suite à sa création et à sa consolidation, l’Etat islamique s’est propagé en Afghanistan, au Bangladesh, en Egypte, en Indonésie, au Nigeria, au Pakistan, aux Philippines, en Arabie saoudite et au Yémen. Cette expansion va de pair avec le recrutement de combattants étrangers au Levant dont plus de 3,400 proviennent des pays Occidentaux (2).
Le recrutement par l’EI de combattants islamistes provenant des pays Occidentaux et les attaques terroristes contre des civils en Occident génèrent une hostilité sourde à l’égard de l’Etat islamique. Ainsi, deux des auteurs des attentats suicides ayant endeuillé Paris en novembre 2015 avaient rejoint l’Europe à travers la Grèce sous la couverture de « réfugiés », ce qui a provoqué l’hostilité des mouvements anti-immigrés en Europe occidentale et aux Etats -Unis.
L’Etat islamique va se renforcer dans les pays où le pouvoir central est faible, notamment au Yémen, en Libye, en Somalie et au Nigéria. Dans les pays tels que l’Algérie où le pouvoir central est solidement installé, l’Etat islamique n’a pas pu s’imposer. D’autant plus que 99% de la population algérienne est sunnite, ce qui rend impossible la stratégie fondée sur un conflit avec les chiites comme cela est encouragé par l’Etat islamique dans d’autres pays (3). En Eurasie, l’Etat islamique s’impose en Afghanistan, au Tadjikistan et en Ouzbékistan. Il veut déstabiliser l’Asie centrale en s’opposant notamment à Bakou, à Moscou et à Tbilissi. D’autres forces militaires islamistes, notamment Jabhat al-Nusra un groupe salafiste djihadiste qui représente al-Qaïda, font appel à des combattants étrangers notamment des Tchétchènes et souhaitent se joindre à l’Etat islamique dans le Caucase.
Les combattants de l’Etat islamique provenant d’Europe Centrale, d’Europe de l’Est, d’Europe de l’Ouest, du Caucase et des Etats-Unis ont des motivations profondément religieuses. Ils veulent « glorifier la parole de Dieu sur terre ». Cependant, il est très difficile de mesurer leur degré d’implication religieuse. L’idéologie de l’Etat islamique est avant tout basée sur une polarisation binaire et une vision manichéenne et absolutiste du monde qui a pour objectif de protéger et d’étendre la « communauté musulmane ». Les combattants de l’EI ont des motivations philosophiques qui s’expriment à travers la recherche d’une identité, d’un statut et par le développement d’une profonde dévotion dans le but de construire et de renforcer le califat. D’autre part, ces combattants veulent vivre dans une « communauté parfaite » qui se matérialise par une justice sociale et par une égalité entre tous les habitants du califat (4). Il faut signaler que les relations familiales, économiques, culturelles et sociales permettent aux combattants de l’EI de consolider leur attachement au califat.
L’Etat islamique a été créé suite à l’invasion de l’Irak par les Etats-Unis en 2003 et à la fusion du mouvement de Abou Mousab al-Zarkaoui, Jama’at al-Tawhid wa’al-Jihad avec al-Qaïda qui a permis l’émergence de al-Qaïda en Irak (AQI). Zarkaoui s’est attaqué à des chiites et à leurs lieux saints afin de provoquer une réaction hostile de leur part, entrainant du coup une guerre civile incontrôlable à laquelle les Américains vont être mêlés (1).
Zarkaoui a été tué par les Américains en 2006, AQI fut affaibli ce qui encouragea les tribus sunnites à se réconcilier avec le gouvernement du Premier ministre chiite Nouri al-Maliki installé en Irak avec l’appui des Américains. Par la suite, AQI a été rebaptisé Etat islamique d’Irak, puis Etat islamique d’Irak et de al-Sham (IS ou ISIS). Suite à ces restructurations, al-Qaïda a continué à agir comme un groupe indépendant dirigé par Ayman al-Zawahiri.
L’Etat islamique recouvre une grande partie des pays du Levant, à l’Est de la Méditerranée et a élargi ses ambitions depuis le déclenchement des printemps arabes en 2011. Par la suite, l’EI va se renforcer en soutenant la population sunnite en Irak et en Syrie. Le pouvoir du gouvernement al-Maliki va se raffermir suite au retrait américain de 2010 et va isoler les sunnites afin de les affaiblir davantage.
Maliki va faire face à une corruption endémique et à une désertion croissante au sein des forces armées irakiennes, ce qui encouragea l’Etat islamique à s’emparer de Mossoul en juin 2014. Par la suite, la ville de Raqqa au Nord de la Syrie va devenir de facto la capitale de l’Etat islamique grâce à la création de nouvelles institutions (judiciaires, économiques, éducatives, médicales et sécuritaires) afin d’assurer les besoins de la population.
Suite à sa création et à sa consolidation, l’Etat islamique s’est propagé en Afghanistan, au Bangladesh, en Egypte, en Indonésie, au Nigeria, au Pakistan, aux Philippines, en Arabie saoudite et au Yémen. Cette expansion va de pair avec le recrutement de combattants étrangers au Levant dont plus de 3,400 proviennent des pays Occidentaux (2).
Le recrutement par l’EI de combattants islamistes provenant des pays Occidentaux et les attaques terroristes contre des civils en Occident génèrent une hostilité sourde à l’égard de l’Etat islamique. Ainsi, deux des auteurs des attentats suicides ayant endeuillé Paris en novembre 2015 avaient rejoint l’Europe à travers la Grèce sous la couverture de « réfugiés », ce qui a provoqué l’hostilité des mouvements anti-immigrés en Europe occidentale et aux Etats -Unis.
L’Etat islamique va se renforcer dans les pays où le pouvoir central est faible, notamment au Yémen, en Libye, en Somalie et au Nigéria. Dans les pays tels que l’Algérie où le pouvoir central est solidement installé, l’Etat islamique n’a pas pu s’imposer. D’autant plus que 99% de la population algérienne est sunnite, ce qui rend impossible la stratégie fondée sur un conflit avec les chiites comme cela est encouragé par l’Etat islamique dans d’autres pays (3). En Eurasie, l’Etat islamique s’impose en Afghanistan, au Tadjikistan et en Ouzbékistan. Il veut déstabiliser l’Asie centrale en s’opposant notamment à Bakou, à Moscou et à Tbilissi. D’autres forces militaires islamistes, notamment Jabhat al-Nusra un groupe salafiste djihadiste qui représente al-Qaïda, font appel à des combattants étrangers notamment des Tchétchènes et souhaitent se joindre à l’Etat islamique dans le Caucase.
Les combattants de l’Etat islamique provenant d’Europe Centrale, d’Europe de l’Est, d’Europe de l’Ouest, du Caucase et des Etats-Unis ont des motivations profondément religieuses. Ils veulent « glorifier la parole de Dieu sur terre ». Cependant, il est très difficile de mesurer leur degré d’implication religieuse. L’idéologie de l’Etat islamique est avant tout basée sur une polarisation binaire et une vision manichéenne et absolutiste du monde qui a pour objectif de protéger et d’étendre la « communauté musulmane ». Les combattants de l’EI ont des motivations philosophiques qui s’expriment à travers la recherche d’une identité, d’un statut et par le développement d’une profonde dévotion dans le but de construire et de renforcer le califat. D’autre part, ces combattants veulent vivre dans une « communauté parfaite » qui se matérialise par une justice sociale et par une égalité entre tous les habitants du califat (4). Il faut signaler que les relations familiales, économiques, culturelles et sociales permettent aux combattants de l’EI de consolider leur attachement au califat.
L’Etat islamique et al-Qaïda
L’Etat islamique et al-Qaïda ont des divergences fondamentales au niveau idéologique et stratégique. Les deux organisations souhaitent faire appliquer la Loi islamique sur les territoires qu’elles occupent. Cependant, elles ont des priorités divergentes : ainsi Abou Bakr al-Baghdadi et l’Etat islamique veulent en priorité construire un Etat alors que Zawahiri, le chef d’al-Qaïda souhaite se battre contre l’« ennemi lointain » (l’Occident) avant de fonder un Etat. Cependant, l’EI est plus populaire qu’al-Qaïda. Dans les régions qu’elle contrôle, al-Qaïda exige de ses affiliés comme Jabhat al-Nusra et al-Qaïda dans la Péninsule Arabique (AQAP) de traiter correctement les minorités et d’encourager l’intégration des populations dans ces régions. L’Etat islamique quant à lui préfère se consacrer au développement de la « pureté religieuse » même si cela lui impose de faire appel à la terreur contre la population qui s’opposerait à cet objectif (5).
L’Etat islamique occupe des territoires plus vastes que ceux contrôlés par al-Qaïda, ce qui encourage les mouvements tels que Boko Haram au Nigeria à s’allier au nouvel Etat. En outre l’EI s’attaque indistinctement à des civils à Beyrouth et à Paris alors que al-Qaïda s’oppose uniquement à la population non-musulmane. De nombreux djihadistes coopèrent avec l’Etat islamique et avec al-Qaïda indistinctement. L’EI a une vision apocalyptique de l’avenir ce qui provoque le dédain d’al-Qaïda.
Actuellement, l’EI semble prendre l’ascendant sur al-Qaïda bien que ce mouvement a des problèmes de recrutement et de financement. La mort de Zawahiri, qui n’a pas de successeur désigné, pourrait favoriser l’EI, alors que les succès des filiales d’al-Qaïda, AQAP et al-Nusra pourraient faire pencher la balance en sa faveur. Cependant, et quelque soit l’évolution du rapport de forces entre ces deux mouvements, ils sont tous les deux des ennemis implacables du monde occidental.
L’Etat islamique et al-Qaïda ont des divergences fondamentales au niveau idéologique et stratégique. Les deux organisations souhaitent faire appliquer la Loi islamique sur les territoires qu’elles occupent. Cependant, elles ont des priorités divergentes : ainsi Abou Bakr al-Baghdadi et l’Etat islamique veulent en priorité construire un Etat alors que Zawahiri, le chef d’al-Qaïda souhaite se battre contre l’« ennemi lointain » (l’Occident) avant de fonder un Etat. Cependant, l’EI est plus populaire qu’al-Qaïda. Dans les régions qu’elle contrôle, al-Qaïda exige de ses affiliés comme Jabhat al-Nusra et al-Qaïda dans la Péninsule Arabique (AQAP) de traiter correctement les minorités et d’encourager l’intégration des populations dans ces régions. L’Etat islamique quant à lui préfère se consacrer au développement de la « pureté religieuse » même si cela lui impose de faire appel à la terreur contre la population qui s’opposerait à cet objectif (5).
L’Etat islamique occupe des territoires plus vastes que ceux contrôlés par al-Qaïda, ce qui encourage les mouvements tels que Boko Haram au Nigeria à s’allier au nouvel Etat. En outre l’EI s’attaque indistinctement à des civils à Beyrouth et à Paris alors que al-Qaïda s’oppose uniquement à la population non-musulmane. De nombreux djihadistes coopèrent avec l’Etat islamique et avec al-Qaïda indistinctement. L’EI a une vision apocalyptique de l’avenir ce qui provoque le dédain d’al-Qaïda.
Actuellement, l’EI semble prendre l’ascendant sur al-Qaïda bien que ce mouvement a des problèmes de recrutement et de financement. La mort de Zawahiri, qui n’a pas de successeur désigné, pourrait favoriser l’EI, alors que les succès des filiales d’al-Qaïda, AQAP et al-Nusra pourraient faire pencher la balance en sa faveur. Cependant, et quelque soit l’évolution du rapport de forces entre ces deux mouvements, ils sont tous les deux des ennemis implacables du monde occidental.
Organisation d’une coalition occidentale contre l’EI
Le Président Obama a mis en place en 2014 une coalition militaire rassemblant 60 pays qui s’opposent à l’Etat islamique. Cette coalition a effectué plus de 14,093 attaques aériennes en Irak et en Syrie, et depuis juillet 2014, l’EI a perdu 50% de son territoire en Irak et 20% en Syrie. La coalition comprend également les forces kurdes rassemblées au sein du YPG (« People’s Protection Units »), une milice kurde syrienne, qui ont prouvé leur efficacité sur le terrain et ont refoulé l’Etat islamique hors des territoires peuplés de Kurdes dans la région (6). Ainsi, la formation d’une coalition arabo-kurde (« Les Forces Démocratiques de Syrie ») a permis le rejet des combattants de l’Etat islamique sur la frontière turco-syrienne.
Abou-Bakr al-Baghdadi, qui dirige le califat, a annoncé en décembre 2016 que l’EI encourage le djihadisme global et les attentats-suicides similaires à ceux qui ont endeuillé la ville de Mossoul en 2014, la Turquie, l’Irak, le Bangladesh et l’Arabie saoudite (7). Cette stratégie devrait renforcer l’EI face aux attaques aériennes américaines et occidentales.
La consolidation des territoires occupés par le « proto-Etat » va privilégier son enracinement au Levant et en Afrique du Nord. Son prestige dans ces régions s’appuie notamment sur le fait que l’Etat islamique veut remettre en cause les frontières géographiques fixées par l’Occident à la fin de la Première Guerre mondiale. Ainsi, l’EI occupe de larges territoires peuplés par une population indigène et remet en cause les accords de Sykes-Picot, ce que Ben Laden a voulu faire il y a 15 ans sans succès. L’EI a réussi à atteindre cet objectif et a rassemblé des dizaines de milliers de combattants étrangers venant de plus de 100 pays afin de consolider le nouveau califat (8).
Le Président Obama a mis en place en 2014 une coalition militaire rassemblant 60 pays qui s’opposent à l’Etat islamique. Cette coalition a effectué plus de 14,093 attaques aériennes en Irak et en Syrie, et depuis juillet 2014, l’EI a perdu 50% de son territoire en Irak et 20% en Syrie. La coalition comprend également les forces kurdes rassemblées au sein du YPG (« People’s Protection Units »), une milice kurde syrienne, qui ont prouvé leur efficacité sur le terrain et ont refoulé l’Etat islamique hors des territoires peuplés de Kurdes dans la région (6). Ainsi, la formation d’une coalition arabo-kurde (« Les Forces Démocratiques de Syrie ») a permis le rejet des combattants de l’Etat islamique sur la frontière turco-syrienne.
Abou-Bakr al-Baghdadi, qui dirige le califat, a annoncé en décembre 2016 que l’EI encourage le djihadisme global et les attentats-suicides similaires à ceux qui ont endeuillé la ville de Mossoul en 2014, la Turquie, l’Irak, le Bangladesh et l’Arabie saoudite (7). Cette stratégie devrait renforcer l’EI face aux attaques aériennes américaines et occidentales.
La consolidation des territoires occupés par le « proto-Etat » va privilégier son enracinement au Levant et en Afrique du Nord. Son prestige dans ces régions s’appuie notamment sur le fait que l’Etat islamique veut remettre en cause les frontières géographiques fixées par l’Occident à la fin de la Première Guerre mondiale. Ainsi, l’EI occupe de larges territoires peuplés par une population indigène et remet en cause les accords de Sykes-Picot, ce que Ben Laden a voulu faire il y a 15 ans sans succès. L’EI a réussi à atteindre cet objectif et a rassemblé des dizaines de milliers de combattants étrangers venant de plus de 100 pays afin de consolider le nouveau califat (8).
Renforcement de l’EI grâce à l’innovation et aux réseaux sociaux
L’EI a les ressources (financières, militaires, humaines et géographiques) pour adapter son organisation et ses structures afin de créer des stratégies plus précisément caractérisées par l’innovation.
D’un point de vue financier, ISIS a diverses ressources provenant notamment de la vente de pétrole, du prélèvement de taxes (sur les transferts financiers, sur les marchandises, sur l’activité bancaire, sur les habitants non-musulmans du califat…), de l’imposition de rançons sur la population et des donations provenant de riches entrepreneurs alliés (9). Le financement provenant de la vente de pétrole sur le marché noir avait permis à l’EI de disposer de 1 à 3 millions de dollars sur une base quotidienne. Il faut signaler que le prix de l’or noir commercialisé par l’Etat islamique est largement inférieur aux prix pratiqués sur le marché officiel, ce qui lui a permis de proposer des prix très attractifs sur le marché noir. Mais l’intervention des armées occidentales a notablement diminué ces ressources du fait du recul de l’EI dans les territoires syriens et irakiens.
Les succès enregistrés par la coalition pro-américaine contre l’EI en Syrie et en Irak sont cependant insuffisants. En effet, la destruction du centre de gravité de l’Etat islamique, c’est-à-dire sa capacité à innover, est indispensable afin de le mener à sa perte, sans quoi l’EI développera de nouvelles tactiques et s’adaptera aux nouvelles circonstances. L’EI peut également créer des antennes dans d’autres pays et imposer la terreur en Occident et en Asie (10).
En attendant, les Etats-Unis et leurs partenaires ont réussi à affaiblir trois des six facteurs de l’innovation : le facteur financier, les ressources militaires et la présence géographique. Il leur reste à détruire l’organisation, sa gestion des ressources humaines et sa capacité à créer, expérimenter et propager sa stratégie.
Bien que l’EI a subi d’importants revers militaires en Syrie et en Irak, il a réussi à développer son réseau terroriste international. Les partisans de l’Etat islamique sont ainsi présents sur la toile et utilisent Twitter et Telegram. Certains de ces médias sociaux sont transparents et faciles à identifier, d’autres sont protégés. La variété des plates-formes utilisées, le nombre élevé des partisans de l’EI et le volume total des informations diffusées sur la toile empêchent les gouvernements occidentaux et leurs alliés de confiner la menace islamiste sur le réseau international. La stratégie marketing de l’EI lui permet de se glisser dans la « conscience universelle globale » des utilisateurs des réseaux sociaux. Mais il dépend fondamentalement de plates-formes informatiques qu’il ne peut contrôler, ce qui rend l’organisation vulnérable aux modifications de la législation et aux mises à jour des mesures de sécurité sur les sites occidentaux.
Le contrôle et la vérification des contenus peuvent conduire Twitter à suspendre des comptes utilisés par les partisans de l’EI et à démanteler leur présence sur la toile. Ainsi, depuis la mi-2015, Twitter a fermé 360,000 comptes dont les titulaires sont accusés de diffuser une propagande terroriste et djihadiste. Or, les sympathisants de l’EI continuent de créer de nouveaux comptes chaque jour malgré l’opposition occidentale. Utilisant la même logique, Facebook et Google ont diffusé des campagnes d’information hostiles à l’EI. Le gouvernement américain a une stratégie nommée « Madison Valleywood Project », qui encourage les réseaux sociaux à s’opposer à la propagande de l’EI grâce à la diffusion de contre-récits et à une application stricte de leur règlement intérieur et de leur politique de protection contre le terrorisme (11).
La fermeture des comptes à laquelle les sympathisants de l’EI sont confrontés les encourage à migrer vers d’autres plates-formes qui leurs permettent de protéger leur anonymat et d’atténuer les risques en matière de sécurité. Dans ces conditions, les plates-formes comme Twitter et Facebook sont délaissées et les partisans de l’EI s’appuient sur des services de messagerie privée qui permettent d’utiliser la technologie d’encodage ; il s’agit notamment de ProtonMail, Surespot et Telegram. Vu la complexité de ces technologies, il est difficile de connaître le nombre total des partisans du terrorisme international qui les utilisent (12).
Une autre stratégie de l’EI consiste à créer de nombreux comptes en espérant qu’ils ne seront pas tous identifiés et suspendus. Ainsi, il n’est pas rare que des sympathisants de l’EI maintiennent de nombreux comptes et profils sur Facebook, Twitter, Wordpress, Kik, Ask.fm, Tumber, YouTube et Google+ afin de diffuser la propagande terroriste (13).
Dans ces conditions, il est nécessaire de revoir la stratégie à suivre contre le dynamisme de la propagande djihadiste sur les réseaux sociaux. Pour cela, il faut utiliser des techniques de diffusion de l’information qui évoluent en temps réel comme par exemple l’« implantation numérique » qui est une technologie permettant à des utilisateurs qui s’opposent à l’EI, tels que les autorités judiciaires et les journalistes, de se fixer au cœur des réseaux djihadistes avec lesquels ils partagent le même « paysage des médias ». Le succès des opposants au terrorisme international dépend de leur capacité à occuper le même espace virtuel que les sympathisants du groupe terroriste. Les contreterroristes doivent pour cela disposer de suffisamment de ressources (compétences techniques et expertise thématique) et les utiliser de manière souple (14). Cependant, afin de faire face au contreterrorisme, le mouvement terroriste a décentralisé son organisation sur la toile, multiplié les plates-formes informatiques qu’il utilise et le nombre de ses adhérents clandestins. Dans ces conditions, et au lieu d’obliger les sympathisants de l’EI de changer de plate-forme, les contreterroristes doivent limiter les ressources de l’EI en faisant appel à la législation, à la réglementation, à la censure, à l’expulsion et à la contre-information. Or, les partisans des terroristes démontrent leur souplesse, leur ingéniosité, leur opportunisme et leur résilience sur la toile. Dans ces conditions, les autorités politiques et judiciaires et les firmes technologiques impliquées contre le terrorisme doivent constamment s’adapter à cette situation (15).
Lire les parties 2 et 3 :
Emergence et enracinement de l’Etat islamique (2/3)
Emergence et enracinement de l’Etat islamique (3/3)
Notes :
(1) Zachary Laub, « The Islamic State », Council on Foreign Relations http://www.cfr.org/iraq/islamic-state/p14811 le 10 août 2016.
(2) Ibid.
(3) Dalia Ghanem-Yazbeck, « ISIS and al-Qaida’s Expansion : Q&A with Dalia Ghanem-Yazbeck », Carnegie Middle East Center http://carnegie-mec.org/2015/12/14/isis-and-al-qaeda-s-expansion-q-with-dalia-ghanem-yazbeck-pub-62266 le 14 décembre 2015
(4) Ibid.
(5) Daniel L. Byman, « Will ISIS and al-Qaïda always be rivals ? », Brookings Institutionhttps://www.brookings.edu/blog/markaz/2016/05/27/will-isis-and-al-qaida-always-be-rivals/ le 27 mai 2016.
(6) Zachary Laub, « The Islamic State », Council on Foreign Relations http://www.cfr.org/iraq/islamic-state/p14811 le 10 août 2016.
(7) Hassan Hassan, « Is ISIS Unstoppable ? », The New York Times https://www.nytimes.com/2016/07/10/opinion/is-the-islamic-state-unstoppable.html?_r=0 le 9 juillet 2016.
(8) Bruce Hoffman, « The Battle against ISIS : The Trump Administration’s 30-day Review », The Cipher Briefhttps://www.thecipherbrief.com/column/network-take/battle-against-isis-trump-administrations-30-day-review-1089 le 26 février 2017.
(9) David L. Knoll, « How ISIS Endures by Innovating », Foreign Affairs https://www.foreignaffairs.com/articles/2016-09-30/how-isis-endures-innovating le 30 septembre 2016
(10) Ibid.
(11) Audrey Alexander, « How to Fight ISIS Online », Foreign Affairs https://www.foreignaffairs.com/articles/middle-east/2017-04-07/how-fight-isis-online le 7 avril 2017.
(12) Ibid.
(13) Ibid.
(14) Ibid.
(15) Ibid.
L’EI a les ressources (financières, militaires, humaines et géographiques) pour adapter son organisation et ses structures afin de créer des stratégies plus précisément caractérisées par l’innovation.
D’un point de vue financier, ISIS a diverses ressources provenant notamment de la vente de pétrole, du prélèvement de taxes (sur les transferts financiers, sur les marchandises, sur l’activité bancaire, sur les habitants non-musulmans du califat…), de l’imposition de rançons sur la population et des donations provenant de riches entrepreneurs alliés (9). Le financement provenant de la vente de pétrole sur le marché noir avait permis à l’EI de disposer de 1 à 3 millions de dollars sur une base quotidienne. Il faut signaler que le prix de l’or noir commercialisé par l’Etat islamique est largement inférieur aux prix pratiqués sur le marché officiel, ce qui lui a permis de proposer des prix très attractifs sur le marché noir. Mais l’intervention des armées occidentales a notablement diminué ces ressources du fait du recul de l’EI dans les territoires syriens et irakiens.
Les succès enregistrés par la coalition pro-américaine contre l’EI en Syrie et en Irak sont cependant insuffisants. En effet, la destruction du centre de gravité de l’Etat islamique, c’est-à-dire sa capacité à innover, est indispensable afin de le mener à sa perte, sans quoi l’EI développera de nouvelles tactiques et s’adaptera aux nouvelles circonstances. L’EI peut également créer des antennes dans d’autres pays et imposer la terreur en Occident et en Asie (10).
En attendant, les Etats-Unis et leurs partenaires ont réussi à affaiblir trois des six facteurs de l’innovation : le facteur financier, les ressources militaires et la présence géographique. Il leur reste à détruire l’organisation, sa gestion des ressources humaines et sa capacité à créer, expérimenter et propager sa stratégie.
Bien que l’EI a subi d’importants revers militaires en Syrie et en Irak, il a réussi à développer son réseau terroriste international. Les partisans de l’Etat islamique sont ainsi présents sur la toile et utilisent Twitter et Telegram. Certains de ces médias sociaux sont transparents et faciles à identifier, d’autres sont protégés. La variété des plates-formes utilisées, le nombre élevé des partisans de l’EI et le volume total des informations diffusées sur la toile empêchent les gouvernements occidentaux et leurs alliés de confiner la menace islamiste sur le réseau international. La stratégie marketing de l’EI lui permet de se glisser dans la « conscience universelle globale » des utilisateurs des réseaux sociaux. Mais il dépend fondamentalement de plates-formes informatiques qu’il ne peut contrôler, ce qui rend l’organisation vulnérable aux modifications de la législation et aux mises à jour des mesures de sécurité sur les sites occidentaux.
Le contrôle et la vérification des contenus peuvent conduire Twitter à suspendre des comptes utilisés par les partisans de l’EI et à démanteler leur présence sur la toile. Ainsi, depuis la mi-2015, Twitter a fermé 360,000 comptes dont les titulaires sont accusés de diffuser une propagande terroriste et djihadiste. Or, les sympathisants de l’EI continuent de créer de nouveaux comptes chaque jour malgré l’opposition occidentale. Utilisant la même logique, Facebook et Google ont diffusé des campagnes d’information hostiles à l’EI. Le gouvernement américain a une stratégie nommée « Madison Valleywood Project », qui encourage les réseaux sociaux à s’opposer à la propagande de l’EI grâce à la diffusion de contre-récits et à une application stricte de leur règlement intérieur et de leur politique de protection contre le terrorisme (11).
Le contrôle et la vérification des contenus peuvent conduire Twitter à suspendre des comptes utilisés par les partisans de l’EI et à démanteler leur présence sur la toile. Ainsi, depuis la mi-2015, Twitter a fermé 360,000 comptes dont les titulaires sont accusés de diffuser une propagande terroriste et djihadiste. Or, les sympathisants de l’EI continuent de créer de nouveaux comptes chaque jour malgré l’opposition occidentale. Utilisant la même logique, Facebook et Google ont diffusé des campagnes d’information hostiles à l’EI. Le gouvernement américain a une stratégie nommée « Madison Valleywood Project », qui encourage les réseaux sociaux à s’opposer à la propagande de l’EI grâce à la diffusion de contre-récits et à une application stricte de leur règlement intérieur et de leur politique de protection contre le terrorisme (11).
La fermeture des comptes à laquelle les sympathisants de l’EI sont confrontés les encourage à migrer vers d’autres plates-formes qui leurs permettent de protéger leur anonymat et d’atténuer les risques en matière de sécurité. Dans ces conditions, les plates-formes comme Twitter et Facebook sont délaissées et les partisans de l’EI s’appuient sur des services de messagerie privée qui permettent d’utiliser la technologie d’encodage ; il s’agit notamment de ProtonMail, Surespot et Telegram. Vu la complexité de ces technologies, il est difficile de connaître le nombre total des partisans du terrorisme international qui les utilisent (12).
Une autre stratégie de l’EI consiste à créer de nombreux comptes en espérant qu’ils ne seront pas tous identifiés et suspendus. Ainsi, il n’est pas rare que des sympathisants de l’EI maintiennent de nombreux comptes et profils sur Facebook, Twitter, Wordpress, Kik, Ask.fm, Tumber, YouTube et Google+ afin de diffuser la propagande terroriste (13).
Dans ces conditions, il est nécessaire de revoir la stratégie à suivre contre le dynamisme de la propagande djihadiste sur les réseaux sociaux. Pour cela, il faut utiliser des techniques de diffusion de l’information qui évoluent en temps réel comme par exemple l’« implantation numérique » qui est une technologie permettant à des utilisateurs qui s’opposent à l’EI, tels que les autorités judiciaires et les journalistes, de se fixer au cœur des réseaux djihadistes avec lesquels ils partagent le même « paysage des médias ». Le succès des opposants au terrorisme international dépend de leur capacité à occuper le même espace virtuel que les sympathisants du groupe terroriste. Les contreterroristes doivent pour cela disposer de suffisamment de ressources (compétences techniques et expertise thématique) et les utiliser de manière souple (14). Cependant, afin de faire face au contreterrorisme, le mouvement terroriste a décentralisé son organisation sur la toile, multiplié les plates-formes informatiques qu’il utilise et le nombre de ses adhérents clandestins. Dans ces conditions, et au lieu d’obliger les sympathisants de l’EI de changer de plate-forme, les contreterroristes doivent limiter les ressources de l’EI en faisant appel à la législation, à la réglementation, à la censure, à l’expulsion et à la contre-information. Or, les partisans des terroristes démontrent leur souplesse, leur ingéniosité, leur opportunisme et leur résilience sur la toile. Dans ces conditions, les autorités politiques et judiciaires et les firmes technologiques impliquées contre le terrorisme doivent constamment s’adapter à cette situation (15).
Lire les parties 2 et 3 :
Emergence et enracinement de l’Etat islamique (2/3)
Emergence et enracinement de l’Etat islamique (3/3)
Emergence et enracinement de l’Etat islamique (2/3)
Emergence et enracinement de l’Etat islamique (3/3)
Notes :
(1) Zachary Laub, « The Islamic State », Council on Foreign Relations http://www.cfr.org/iraq/islamic-state/p14811 le 10 août 2016.
(2) Ibid.
(3) Dalia Ghanem-Yazbeck, « ISIS and al-Qaida’s Expansion : Q&A with Dalia Ghanem-Yazbeck », Carnegie Middle East Center http://carnegie-mec.org/2015/12/14/isis-and-al-qaeda-s-expansion-q-with-dalia-ghanem-yazbeck-pub-62266 le 14 décembre 2015
(4) Ibid.
(5) Daniel L. Byman, « Will ISIS and al-Qaïda always be rivals ? », Brookings Institutionhttps://www.brookings.edu/blog/markaz/2016/05/27/will-isis-and-al-qaida-always-be-rivals/ le 27 mai 2016.
(6) Zachary Laub, « The Islamic State », Council on Foreign Relations http://www.cfr.org/iraq/islamic-state/p14811 le 10 août 2016.
(7) Hassan Hassan, « Is ISIS Unstoppable ? », The New York Times https://www.nytimes.com/2016/07/10/opinion/is-the-islamic-state-unstoppable.html?_r=0 le 9 juillet 2016.
(8) Bruce Hoffman, « The Battle against ISIS : The Trump Administration’s 30-day Review », The Cipher Briefhttps://www.thecipherbrief.com/column/network-take/battle-against-isis-trump-administrations-30-day-review-1089 le 26 février 2017.
(9) David L. Knoll, « How ISIS Endures by Innovating », Foreign Affairs https://www.foreignaffairs.com/articles/2016-09-30/how-isis-endures-innovating le 30 septembre 2016
(10) Ibid.
(11) Audrey Alexander, « How to Fight ISIS Online », Foreign Affairs https://www.foreignaffairs.com/articles/middle-east/2017-04-07/how-fight-isis-online le 7 avril 2017.
(12) Ibid.
(13) Ibid.
(14) Ibid.
(15) Ibid.
(1) Zachary Laub, « The Islamic State », Council on Foreign Relations http://www.cfr.org/iraq/islamic-state/p14811 le 10 août 2016.
(2) Ibid.
(3) Dalia Ghanem-Yazbeck, « ISIS and al-Qaida’s Expansion : Q&A with Dalia Ghanem-Yazbeck », Carnegie Middle East Center http://carnegie-mec.org/2015/12/14/isis-and-al-qaeda-s-expansion-q-with-dalia-ghanem-yazbeck-pub-62266 le 14 décembre 2015
(4) Ibid.
(5) Daniel L. Byman, « Will ISIS and al-Qaïda always be rivals ? », Brookings Institutionhttps://www.brookings.edu/blog/markaz/2016/05/27/will-isis-and-al-qaida-always-be-rivals/ le 27 mai 2016.
(6) Zachary Laub, « The Islamic State », Council on Foreign Relations http://www.cfr.org/iraq/islamic-state/p14811 le 10 août 2016.
(7) Hassan Hassan, « Is ISIS Unstoppable ? », The New York Times https://www.nytimes.com/2016/07/10/opinion/is-the-islamic-state-unstoppable.html?_r=0 le 9 juillet 2016.
(8) Bruce Hoffman, « The Battle against ISIS : The Trump Administration’s 30-day Review », The Cipher Briefhttps://www.thecipherbrief.com/column/network-take/battle-against-isis-trump-administrations-30-day-review-1089 le 26 février 2017.
(9) David L. Knoll, « How ISIS Endures by Innovating », Foreign Affairs https://www.foreignaffairs.com/articles/2016-09-30/how-isis-endures-innovating le 30 septembre 2016
(10) Ibid.
(11) Audrey Alexander, « How to Fight ISIS Online », Foreign Affairs https://www.foreignaffairs.com/articles/middle-east/2017-04-07/how-fight-isis-online le 7 avril 2017.
(12) Ibid.
(13) Ibid.
(14) Ibid.
(15) Ibid.
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EMERGENCE ET ENRACINEMENT DE L’ETAT ISLAMIQUE (2/3)
ARTICLE PUBLIÉ LE 19/06/2017
Par Matthieu Saab
Lire les parties 1 et 3 :
Emergence et enracinement de l’Etat islamique (1/3)
Emergence et enracinement de l’Etat islamique (3/3)
Emergence et enracinement de l’Etat islamique (1/3)
Emergence et enracinement de l’Etat islamique (3/3)
Configuration militaire en 2017
En Irak, en 2017, l’EI continue à se battre contre les armées occidentales à Kirkouk, à Tikrit, à Samarra et à Bagdad. La mise en place d’un pouvoir stable dans les territoires libérés de la présence de l’EI n’est pas assurée. D’autre part, les listes de personnes suspectées d’avoir des activités terroristes dans les territoires libérés ne sont pas toujours fiables. Il est d’autant plus difficile de s’opposer à ces combattants que la corruption, et donc la libération des ex-collaborateurs de l’Etat islamique moyennant le règlement d’une rançon, est une pratique courante dans les territoires libérés de l’influence de l’EI (1). Enfin, l’EI fait circuler des rumeurs portant sur la volonté de l’Etat irakien dirigé par des chiites, de s’opposer à la population sunnite démographiquement plus importante. En outre, les terroristes continuent à exercer une influence anti-occidentale sur la population locale, ce qui encourage les sunnites à créer de nouveaux mouvements insurrectionnels comme « Tariqat Naqshbandi » et les « Brigades Révolutionnaires de 1920 » (2).
En Syrie, l’Armée arabe syrienne (SAA) représente le gouvernement syrien. Elle est dirigée par les membres du Parti socialiste arabe et est constituée par des soldats appartenant à diverses ethnies et religions ; ces soldats sont en majorité des sunnites musulmans. La nouvelle Constitution syrienne de 2012 leur accorde en effet une importance primordiale dans le fonctionnement de l’Etat syrien. La SAA est secondée par le Hezbollah libanais dont les soldats sont chiites. Des membres du Conseil des Gardiens de la Révolution iraniens, également chiites, appuient les forces syriennes sur le terrain : sunnites et chiites se sont ainsi alliés afin de mettre fin à l’EI. Cette coalition s’est élargie aux chrétiens syriens, aux chrétiens orthodoxes venant de Russie et à l’armée russe, ainsi qu’à des communistes chinois (3).
Les Etats-Unis face à l’Etat islamique
Sous les présidences de George W. Bush et de Barak Obama, les succès tactiques et opérationnels n’ont pas été transformés en succès politiques et stratégiques sur le long terme, en particulier les conflits irakiens et afghans. Concernant l’EI, le Président Obama a structuré une stratégie qui a permis de le repousser temporairement. Son allocution nationale en septembre 2014 sur les risques courus par les Américains en raison du renforcement du mouvement terroriste international a permis de dégager une stratégie basée sur des objectifs, des moyens et des ressources afin de détruire l’EI. D’un point de vue diplomatique, les Etats-Unis ont canalisé une coalition internationale pour contrer l’EI, ce qui a permis de réduire notablement ses ressources économiques, ainsi que la présence militaire de l’EI en Syrie et en Irak, d’emprisonner ou de tuer plus de 180 hauts gradés de l’organisation, d’affaiblir ses ressources financières et de diminuer drastiquement ses capacités en terme de propagande.
Actuellement, les Américains veulent libérer les deux principaux fiefs de l’EI, Mossoul en Irak (là où Abou Bakr al-Baghdadi a annoncé la création du califat en 2014), et Raqqa en Syrie. Une victoire militaire dans ces deux régions permettrait de diminuer les appuis financiers de l’organisation dans la région et ailleurs dans le monde, afin notamment de limiter drastiquement le nombre de combattants étrangers qui se battent à ses côtés.
Une victoire militaire de la coalition internationale pourrait conduire à un « succès catastrophique » si elle n’est pas suivie d’une occupation programmée des territoires libérés, proposant notamment à la population locale une alternative politique qui s’opposerait à celle de l’EI, par la mise en place de structures gouvernementales efficaces. En ce sens, la collaborer avec les « sociétés civiles » dans ces pays, notamment dans le domaine de l’éducation, est essentielle (4). Enfin, dans quelle mesure la coalition devra-t-elle transformer ces victoires sur le terrain en une stratégie victorieuse qui empêchera l’émergence d’autres mouvements terroristes et qui permettra de consolider une région stable au Proche-Orient. A cet effet, rappelons que les communautés sunnites en Irak et en Syrie sont délaissées par les pouvoirs en place, ce qui pourrait alimenter une poursuite de la guerre civile. Des efforts diplomatiques sont nécessaires, pour conduire les dirigeants de Bagdad et de Damas à faire des réformes politiques tendant à mettre en place des gouvernements représentatifs. Cette politique devrait en outre permettre la création d’institutions judiciaires afin de restaurer l’Etat de droit dans ces régions (5).
Dans ces conditions, l’administration Trump devrait réduire la médiatisation du danger djihadiste, informer le peuple américain que la guerre contre l’EI pourrait prendre de nombreuses années et ne pas stigmatiser les trois millions d’Américains de confession musulmane afin d’éviter la possibilité d’une radicalisation. En effet, le FBI a besoin de la coopération des Américains et des résidents étrangers de confession musulmane afin de mettre fin au radicalisme islamique. Enfin, l’administration américaine devra s’opposer à toute forme d’extrémisme et favoriser le respect des principes fondateurs de la démocratie américaine dans le cadre d’une longue guerre contre le djihadisme global (6), et mettre en place une stratégie à long terme qui fixerait des objectifs réalistes permettant la canalisation de tous les instruments du pouvoir américain (militaires et non-militaires) afin de détruire l’EI.
Rôle de la Turquie
Les Etats-Unis veulent détruire l’EI et maintenir leur présence à long terme dans cette région du monde en privilégiant leurs nouveaux alliés (les Kurdes syriens) et leurs anciens alliés (la Turquie et l’Irak) et en isolant l’Iran et son allié russe.
Ainsi, la stratégie américaine à Raqqa est articulée autour d’une alliance avec les Forces Démocratiques Syriennes (SDF) composées d’une milice kurde syrienne (YPG) et d’un contingent arabe sunnite de plus de 25,000 soldats. Or, ce contingent arabe au sein de la SDF est faible et les Kurdes ont peu d’appui dans des villes arabes telles que Raqqa. De plus, l’Etat islamique se présente comme un représentant du nationalisme arabe contre les Kurdes alors que les objectifs du YPG à l’égard des gouvernements syrien, turc, iranien et russe ne sont pas connus.
Ankara, pour sa part, estime que le YPG est une ramification du mouvement nationaliste des travailleurs kurdes (PKK) avec lequel la Turquie est en conflit, et que ces deux mouvements veulent contrôler la frontière sud de la Turquie avec la Syrie, ce que Ankara veut empêcher même si les Etats-Unis et le YPG sont prêts à s’unir militairement contre elle (7).
Afin de mettre fin à cette situation et de libérer la ville de Raqqa de toute présence de l’Etat islamique, la Turquie propose d’utiliser sa propre armée au nord de la Syrie avec ses alliés de l’Armée syrienne libre (FSA). Or, ces deux armées viennent tout juste de terminer une bataille harassante contre l’EI dans la ville de al-Bab. Dans ces conditions, les Américains pourraient être tentés de compter uniquement sur le YPG et d’ignorer les intérêts turcs dans la région, ce qui contraindrait ces derniers à se tourner vers la Russie et l’Iran et à remettre en cause l’autre objectif américain dans la région, à savoir, l’endiguement de la puissance iranienne dans les pays arabes.
La victoire du Président Erdogan au référendum d’avril 2017 a changé la donne. Elle lui permet de modérer sa politique à l’égard du PKK et du YPG alors qu’il a besoin des Kurdes syriens pour former un cordon sanitaire contre l’instabilité syrienne, et des Kurdes irakiens afin de le protéger contre l’instabilité de l’Irak.
Dès lors, et suite au référendum d’avril, les Etats-Unis veulent se consacrer à la chute de Raqqa avec l’aide du YPG, du FSA et de la Turquie sans recourir à la Russie, aux Iraniens et au Président Assad. Cette alliance pourrait conduire à une réconciliation entre le PKK, le YPG et le gouvernement turc. Or, sur le terrain, la contribution russe contre l’EI importante (8).
Afin d’atteindre cet objectif, le président Erdogan pourrait libérer le dirigeant kurde du PKK, Abdullah Ocalan, emprisonné en Turquie depuis 2015. Ocalan est en effet le dirigeant kurde le plus respecté en Turquie et en Syrie et a une grande influence sur le PKK et le YPG. Sa libération pourrait imposer à ces deux parties d’engager des négociations avec Erdogan.
Notes :
(1) Martin Berger, « What Future Awaits ISIS in Irak ? », New Eastern Outlook, http://journal-neo.org/2017/03/03/what-future-awaits-isis-in-iraq/ le 3 mars 2017.
(2) Idem.
(3) Caleb Maupin, « Disarming ISIS Enemies ? US ‘Arms Control’ Sanctions are Deeply Mistaken », New Eastern Outlook, http://journal-neo.org/2017/04/01/disarming-isis-enemies-us-arms-control-sanctions-are-deeply-mistaken/ le 4 avril 2017.
(4) Dalia Ghanem-Yazbeck, « ISIS and al-Qaida’s Expansion : Q&A with Dalia Ghanem-Yazbeck », Carnegie Middle East Center.
(5) Christopher J. Bolan, « Strategic Insights : Strategic Questions Loom Large for President Trump in the Middle East », Strategic Studies Institute, http://ssi.armywarcollege.edu/index.cfm/articles/Strategic-Questions-Loom-Large/2017/04/11 le 11 avril 2017.
(6) Idem.
(7) James Jeffrey, Soner Cagaptay, « Trump Needs Political-Military Plan for ISIS », The Washington Institute for Near East Policy, http://www.washingtoninstitute.org/policy-analysis/view/trump-needs-political-military-plan-for-isis le 1er mars 2017.
(1) Martin Berger, « What Future Awaits ISIS in Irak ? », New Eastern Outlook, http://journal-neo.org/2017/03/03/what-future-awaits-isis-in-iraq/ le 3 mars 2017.
(2) Idem.
(3) Caleb Maupin, « Disarming ISIS Enemies ? US ‘Arms Control’ Sanctions are Deeply Mistaken », New Eastern Outlook, http://journal-neo.org/2017/04/01/disarming-isis-enemies-us-arms-control-sanctions-are-deeply-mistaken/ le 4 avril 2017.
(4) Dalia Ghanem-Yazbeck, « ISIS and al-Qaida’s Expansion : Q&A with Dalia Ghanem-Yazbeck », Carnegie Middle East Center.
(5) Christopher J. Bolan, « Strategic Insights : Strategic Questions Loom Large for President Trump in the Middle East », Strategic Studies Institute, http://ssi.armywarcollege.edu/index.cfm/articles/Strategic-Questions-Loom-Large/2017/04/11 le 11 avril 2017.
(6) Idem.
(7) James Jeffrey, Soner Cagaptay, « Trump Needs Political-Military Plan for ISIS », The Washington Institute for Near East Policy, http://www.washingtoninstitute.org/policy-analysis/view/trump-needs-political-military-plan-for-isis le 1er mars 2017.
(8) Idem.
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EMERGENCE ET ENRACINEMENT DE L’ETAT ISLAMIQUE (3/3)
ARTICLE PUBLIÉ LE 20/06/2017
Par Matthieu Saab
Lire les parties 1 et 2 :
Emergence et enracinement de l’Etat islamique (1/3)
Emergence et enracinement de l’Etat islamique (2/3)
Emergence et enracinement de l’Etat islamique (1/3)
Emergence et enracinement de l’Etat islamique (2/3)
L’EI et les Iraniens
Sur le champ de bataille irakien, l’EI a subi de violents revers en mai-juin 2017 à Mossoul, en grande partie grâce à l’intervention des Gardiens de la Révolution iraniens. L’attentat terroriste du 7 juin qui a endeuillé Téhéran et qui a été revendiqué par l’EI, exprime sans doute la défaite du mouvement terroriste en Irak. Les terroristes s’en sont pris aux deux symboles de la Constitution iranienne : le principe islamique (la sépulture de Khomeiny) et le principe de la représentation populaire (le Parlement iranien). Il faut signaler que les élections présidentielles iraniennes du 19 mai 2017 ont permis au Président Hassan Rouhani d’être réélu avec 23 millions de voix, une participation du corps électoral de 74% et une victoire nette de 57% (1).
L’EI en Palestine
L’EI s’implante progressivement à Gaza depuis 2014, et ses partisans estiment qu’il faut créer un Etat islamique en Palestine dans le cadre d’un Califat. Ce projet existait déjà dans les Hadiths du Prophète qui sont très lus dans les communautés musulmanes pauvres dont Gaza fait partie (2).
Un grand nombre de Palestiniens membres de l’EI à Gaza a été attiré par le terrorisme islamiste à cause de la pauvreté et de l’occupation israélienne. En effet, Gaza constitue un incubateur parfait pour l’islamisme radical. Des années de guerre, de sièges, de gouvernements palestiniens laxistes et extrémistes ont favorisé l’expansion de l’EI à Gaza. Le chômage dans cette ville atteint les 60% alors que 40% de la population ont des revenus inférieurs au seuil de pauvreté. L’eau, l’électricité, les soins médicaux, le système de gestion des ressources hydrauliques, les transports en commun ne sont pas développés, ce qui encourage le fanatisme d’une population qui ne fait plus confiance au Hamas.
En 2015, une milice appelée la « Brigade Omar Hadid » a été créée par l’EI à Gaza. Elle représente actuellement 3,000 combattants dont la majorité appartenait au Hamas. Ce mouvement critique les dirigeants du Hamas qui n’ont pas réussi à tenir la dragée haute aux Israéliens et refuse d’envisager une trêve de 10 ans avec l’Etat juif comme le souhaitent certains membres du Hamas. En mai 2015, le mouvement de Omar Hadid a assassiné Saber Siam, un commandant du Hamas qui s’opposait à l’EI. Les représentants de l’organisation à Gaza estiment que le Hamas a échoué dans son projet de destruction de l’Etat d’Israël depuis sa prise de pouvoir en 2007. Un autre mouvement palestinien extrémiste, Ansar Bayt al-Makdis, est implanté près de la péninsule du Sinaï depuis 2012. Les fondateurs de la branche égyptienne de l’EI ont aidé les Palestiniens à organiser la branche palestinienne du mouvement à Gaza.
En 2015, une milice appelée la « Brigade Omar Hadid » a été créée par l’EI à Gaza. Elle représente actuellement 3,000 combattants dont la majorité appartenait au Hamas. Ce mouvement critique les dirigeants du Hamas qui n’ont pas réussi à tenir la dragée haute aux Israéliens et refuse d’envisager une trêve de 10 ans avec l’Etat juif comme le souhaitent certains membres du Hamas. En mai 2015, le mouvement de Omar Hadid a assassiné Saber Siam, un commandant du Hamas qui s’opposait à l’EI. Les représentants de l’organisation à Gaza estiment que le Hamas a échoué dans son projet de destruction de l’Etat d’Israël depuis sa prise de pouvoir en 2007. Un autre mouvement palestinien extrémiste, Ansar Bayt al-Makdis, est implanté près de la péninsule du Sinaï depuis 2012. Les fondateurs de la branche égyptienne de l’EI ont aidé les Palestiniens à organiser la branche palestinienne du mouvement à Gaza.
Les Palestiniens de l’EI ont recours aux hymnes du mouvement, à l’utilisation du drapeau noir et ont prêté serment d’allégeance à Abou Bakr al-Baghdadi. Ces Palestiniens n’ont reçu aucune aide financière ou matérielle de l’EI étant donné que al-Baghdadi limite le financement des mouvements partisans étrangers. D’autres mouvements représentants l’EI au Nigéria, au Liban, en Libye et en Egypte se sont développés sans recevoir aucune aide financière ou matérielle de Baghdadi (3).
L’EI et Israël
L’affaiblissement de Bachar al-Assad en Syrie depuis le déclenchement de la guerre civile en 2011 réduit notablement les capacités du régime syrien à s’opposer à Israël. Or, l’émergence de l’EI en tant que mouvement international qui domine un large territoire au Proche-Orient pourrait déboucher sur un conflit militaire avec l’armée israélienne, notamment sur les hauteurs du Golan. Il est cependant peu probable que l’armée israélienne soit tenue en échec par l’EI, mais le mouvement terroriste pourrait avoir recours à des attaques suicides à l’intérieur du territoire israélien pour déstabiliser l’Etat hébreu et imposer la fuite de sa population (4).
Sur le front égyptien, le renversement du pouvoir des Frères musulmans en Egypte a renforcé la protection d’Israël sur sa frontière Sud alors qu’Egyptiens et Israéliens ont un intérêt commun : la lutte contre l’EI et contre le fondamentalisme djihadiste. Dans ces conditions, un renforcement de l’EI sur le territoire égyptien aurait pour effet de rapprocher les Egyptiens de l’Etat juif.
Au final, le dilemme pour Israël est de savoir s’il faut en priorité s’opposer à l’EI ou faire la paix avec les Palestiniens.
L’EI en Libye
Les forces armées libyennes secondées par l’aviation américaine et les forces spéciales occidentales ont remporté une éclatante victoire contre l’EI dans la cité libyenne de Syrte. Ailleurs dans le pays, les forces libyennes ont repoussé les combattants de l’EI à Derna, à Benghazi, à Tripoli et à Sabratha près de la frontière tunisienne. Cependant, les défaites militaires de l’EI recèlent de nouveaux dangers (5).
Ainsi, l’EI peut reconstituer une partie de ses forces dans d’autres zones géographiques, notamment dans le désert au Sud de Syrte. Le mouvement est également présent à l’Ouest dans la ville de Sabratha qui constitue une plaque tournante pour les djihadistes tunisiens. Ainsi, les cellules dormantes de l’EI peuvent toujours déstabiliser la capitale Tripoli et sa banlieue.
La Libye constitue ainsi un fief pour les djihadistes de l’EI, d’al-Qaïda ou pour tout autre mouvement djihadiste. Les conditions pour développer ces mouvements extrémistes sont réunies, notamment une longue tradition de djihadisme, une crise économique générale, un vide de pouvoir et un affaiblissement des communautés religieuses et politiques conventionnelles. Toutes ces raisons pourraient conduire à une explosion de la violence. Le réseau et les infrastructures des groupes djihadistes actuels pourraient provoquer de nouvelles mutations alors que de l’EI a éliminé ses adversaires du mouvement Ansar al-Charia à Benghazi, Sabratha et Syrte (6).
L’EI a prospéré, s’est étendu depuis la mi-2014 et s’est impliqué dans le conflit entre les deux camps du pays : la coalition de Down, soutenue par le Qatar et la Turquie et qui rassemble les conservateurs, les Frères musulmans, les berbères et d’autres mouvements armés comme Ansar al-Sharia (7). Les diplomates occidentaux ont espéré que la guerre contre l’EI pourrait leur servir de tremplin afin de trouver une unité politique en Libye : c’est l’opposé qui s’est produit. En effet, les campagnes contre l’EI ont été menées par des troupes indisciplinées et désespérées, qui agissent sans l’apport d’une autorité centrale. Il en va ainsi dans la ville de Mistrata où les forces armées qui se sont opposées victorieusement à l’EI sont rattachées assez faiblement au gouvernement National intérimaire libyen (GNA) de Tripoli. Après la défaite de l’EI, la ville de Syrte doit panser ses plaies, réconcilier ses habitants et reconstruire la ville. Certaines tribus de Syrte comme les Qadhadhafa et les Warfalla considèrent que la victoire de Misrata est pour eux un échec.
Ailleurs en Libye, il y a des conflits latents. Ainsi, à Benghazi, l’Armée nationale libyenne (LNA) de Hifter a affaibli l’EI et d’autres groupes djihadistes au prix d’un démembrement du tissu social. Dans ces conditions, les islamistes évincés pourraient continuer le combat en faisant appel au terrorisme à l’intérieur de la ville de Benghazi. Plus à l’Est, les forces de Hifter consolident le siège de Derna et accusent les islamistes qui s’y trouvent d’appartenir à al-Qaïda. Plus menaçant est le fait que la campagne contre l’EI a encouragé Hifter à rechercher la domination nationale qui pourrait conduire à une reprise des hostilités dans la capitale, Tripoli. Le risque d’un conflit renouvelé ne laissera pas les Américains insensibles alors que leur soutien militaire a permis de vaincre partiellement l’EI en Libye (8).
L’EI en Egypte
A la suite de l’attentat de décembre 2016 contre les fidèles chrétiens au Caire qui a provoqué la mort de 44 personnes, l’Etat islamique a organisé en avril 2017 deux attentats dans la ville de Tanta et à Alexandrie, qui ont frappé deux églises coptes. Depuis des mois, l’EI cherche à importer une tactique sectaire qu’il utilise en Irak afin de déstabiliser cette région et d’y provoquer la disparition des populations minoritaires.
L’EI souhaite que la déstabilisation de l’Egypte par des attentats sectaires soit la première étape pouvant conduire à l’effritement du pays. Le mouvement terroriste estime que les chrétiens en Egypte sont des polythéistes alliés de l’Occident qui doivent être tués ou chassés. Pour l’EI, la situation des chrétiens d’Egypte est similaire à celle des chiites en Irak : les deux communautés doivent être disséminées (9).
En attendant, et même si l’EI n’enregistre pas de succès définitifs en Egypte, la communauté chrétienne de ce pays est dévastée. Alors que la population égyptienne dans son ensemble rejette le mouvement terroriste, al-Harmasy, l’idéologue de l’EI estime qu’un conflit sectaire entre les différentes communautés religieuses en Egypte a été attisé par les islamistes depuis des décennies et que le gouvernement central égyptien y a contribué. Cependant en Egypte, la loi limite la construction d’Eglises, et ne poursuit pas les personnes auteurs de discriminations et d’actes violents à l’encontre des minorités religieuses auxquelles s’attaquent les islamistes. Dans ces conditions, on peut considérer que le terrain est fertile en Egypte afin d’y imposer les idées radicales des islamistes (10).
L’EI au Pakistan
L’EI a émergé au Pakistan en 2014 en diffusant des graffiti et de la propagande dans les rues de Peshawar, Karachi et dans la zone connue sous le nom de Région tribale fédérale administrative (FATA) au Nord-Ouest du Pakistan qui rassemble sept tribus et qui est une zone semi-autonome ayant des frontières avec l’Afghanistan à l’Ouest sur la « ligne Durant », avec le Khyber-Pakhtunkhwa au Nord et à l’Est, et avec le Baloutchistan au Sud. En novembre 2014, le gouverneur de la province du Baloutchistan estimait que l’Etat islamique a recruté plus de 12,000 partisans dans les régions tribales de Hangu et Kurram. Le gouverneur recommandait que des mesures préventives soient prises afin de stopper le développement de l’EI. Sa déclaration ne fut pas suivie d’effet, et les attentats terroristes au Pakistan se sont développés depuis le 30 janvier 2015 (date de l’attaque dans une mosquée chiite située dans le district de Sind ayant provoqué la mort de 60 personnes (11)), revendiqués par des groupes qui ont prêté allégeance à l’EI ou appartenant directement au mouvement terroriste. On peut citer également l’attaque près de l’hôpital civil de Quetta le 8 août 2016 ayant fait 70 morts.
Le gouvernement a adopté le Plan national de lutte contre le terrorisme (NAP) en décembre 2014, qui a permis l’arrestation du dirigeant de l’EI au Pakistan Yousaf al-Salafi. Par la suite, une campagne nationale, Zarb-e-Azb, s’est développée mais n’a pas entrainé de victoires éclatantes contre le terrorisme islamiste. Tous les secteurs de l’Etat (les médias, les services de renseignements, les tribunaux, les partis d’opposition et l’armée elle-même) ont ainsi reproché au gouvernement la poursuite timide de la NAP à laquelle ils reprochent la faiblesse et le manque de résultats (12).
Le sud et le sud-est asiatique
Le sud et le sud-est asiatique regroupent la majorité des musulmans dans le monde. Dans ces pays, l’EI veut recruter des combattants pour faire le djihad, notamment au Bengladesh, en Indonésie, en Malaisie et aux Philippines. Ces pays ont des frontières poreuses et se caractérisent pas un relâchement des contrôles douaniers (Singapour est une exception dans ce domaine). Plusieurs de ces pays sont minés par le chômage des jeunes. Ainsi, si le Bengladesh et l’Indonésie ont des résultats économiques concluants depuis 10 ans, ils doivent faire face à un chômage endémique. Cette situation convient à l’EI d’autant plus que durant les dernières années, plus de 1,000 ressortissants (13) des pays de cette région (principalement des Malaisiens et des Indonésiens) se sont rendus dans des territoires contrôlés par l’EI au Moyen-Orient afin d’assimiler les dernières techniques du djihad international, et seraient retournés dans leur pays d’origine (14).
D’autre part, il faut signaler que l’EI a créé une brigade djihadiste en Syrie composée de combattants venus d’Indonésie, de Malaisie et des pays avoisinants et qui participent aux combats en Syrie. Cette brigade a diffusé sur les réseaux sociaux l’entrainement militaire auquel se soumettent des enfants d’Asie du sud-est dans les territoires contrôlés par l’EI. Des ressortissants de ces pays basés à Raqqa ont d’autre part organisé un attentat à Jakarta le 14 janvier 2016, tuant 8 personnes et blessant 23 autres, ce qui prouve leur engagement djihadiste et laisse prévoir leur expansion dans leurs pays d’origine.
Les réseaux sociaux de l’EI sont de plus en plus destinés au public du sud et du sud-est asiatique comme le Bengladesh, l’Indonésie, les Philippines, la Thaïlande, Myanmar et la Malaisie, pays connus pour l’utilisation intensive des réseaux sociaux par leurs ressortissants. Durant les deux dernières années, les réseaux sociaux de l’EI ont diffusé des informations d’une extrême brutalité et violence encourageant les citoyens du sud-est asiatique à se rebeller contre leurs hommes politiques modérés et contre leurs dignitaires religieux qui condamnent le terrorisme djihadiste.
Notes :
(1) Michael Axworthy « The Tehran Attack Makes It Clear : We’re on the Same Side as Iran Against ISIS », The Guardian, le 8 juin 2017 https://www.theguardian.com/commentisfree/2017/jun/08/tehran-attack-isis-iran-west-shia-ally
(2) Sami Moubayed, « Hamas Powerless as ISIS Gains Ground in Palestine », Asia Times, le 11 janvier 2017 http://www.atimes.com/article/hamas-powerless-isis-gains-ground-palestine/
(3) Ibid.
(4) Ronald Tiersky, « ISIS : What Does It Mean for Israel ? », Huffington Post http://www.huffingtonpost.com/ronald-tiersky/isis-what-does-it-mean-fo_b_5489756.html
(5) Frederic Wehrey, Wolfram Lacher, « Libya After ISIS », Carnegie Endowment for International Peace, le 22 février 2017 http://carnegieendowment.org/2017/02/22/libya-after-isis-pub-68096
(6) Ibid.
(7) Rebecca Murray, « Libya : A Tale of Two Governments », Al-Jazeera, le 4 avril 2015 http://www.aljazeera.com/news/2015/04/libya-tale-governments-150404075631141.html
(8) Ibid.
(9) Mokhtar Awad, « Why ISIS Declared War on Egypt’s Christians », The Atlantic, le 9 avril 2017 https://www.theatlantic.com/international/archive/2017/04/why-isis-declared-war-on-egypts-christians/522453/
(10) Ibid.
(11) Hammal Kashani, « Is Pakistan Ready to Counter ISIS ? », The Diplomat, le 15 février 2017 http://thediplomat.com/2017/02/is-pakistan-ready-to-counter-isis/
(12) Ibid.
(13) Néanmoins, l’implantation de l’EI dans cette région est limitée si l’on tient compte du fait qu’il y a 240 millions de musulmans dans le sud-est asiatique et environ 140 millions au Bengladesh. Comme nous l’avons déjà indiqué, un millier de personnes ressortissant de ces pays se sont rendus dans les territoires contrôlés par l’EI. Ils sont plus de 7,000 en Tunisie (pour une population de 11 millions d’habitants) ; plus de 1,600 en France (pour une population de 66 millions d’habitants) ; plus de 600 en Egypte (pour une population de 90 millions d’habitants). D’autre part, et d’après des sondages, il apparaît que l’EI a très peu de partisans au sein des populations du sud asiatique et du sud-est asiatique. En Indonésie des sondages ont permis de constater que 4% des Indonésiens ont une image favorable de l’EI. Joshua Kurlantzick, « Southeast Asia – The Islamic State’s New Front ? », Carnegie Council for Ethics in International Affairs, le 4 octobre 2016 https://www.carnegiecouncil.org/publications/ethics_online/0122
(14) Joshua Kurlantzick, « Southeast Asia – The Islamic State’s New Front ? », Carnegie Council for Ethics in International Affairs, le 4 octobre 2016 https://www.carnegiecouncil.org/publications/ethics_online/0122
(2) Sami Moubayed, « Hamas Powerless as ISIS Gains Ground in Palestine », Asia Times, le 11 janvier 2017 http://www.atimes.com/article/hamas-powerless-isis-gains-ground-palestine/
(3) Ibid.
(4) Ronald Tiersky, « ISIS : What Does It Mean for Israel ? », Huffington Post http://www.huffingtonpost.com/ronald-tiersky/isis-what-does-it-mean-fo_b_5489756.html
(5) Frederic Wehrey, Wolfram Lacher, « Libya After ISIS », Carnegie Endowment for International Peace, le 22 février 2017 http://carnegieendowment.org/2017/02/22/libya-after-isis-pub-68096
(6) Ibid.
(7) Rebecca Murray, « Libya : A Tale of Two Governments », Al-Jazeera, le 4 avril 2015 http://www.aljazeera.com/news/2015/04/libya-tale-governments-150404075631141.html
(8) Ibid.
(9) Mokhtar Awad, « Why ISIS Declared War on Egypt’s Christians », The Atlantic, le 9 avril 2017 https://www.theatlantic.com/international/archive/2017/04/why-isis-declared-war-on-egypts-christians/522453/
(10) Ibid.
(11) Hammal Kashani, « Is Pakistan Ready to Counter ISIS ? », The Diplomat, le 15 février 2017 http://thediplomat.com/2017/02/is-pakistan-ready-to-counter-isis/
(12) Ibid.
(13) Néanmoins, l’implantation de l’EI dans cette région est limitée si l’on tient compte du fait qu’il y a 240 millions de musulmans dans le sud-est asiatique et environ 140 millions au Bengladesh. Comme nous l’avons déjà indiqué, un millier de personnes ressortissant de ces pays se sont rendus dans les territoires contrôlés par l’EI. Ils sont plus de 7,000 en Tunisie (pour une population de 11 millions d’habitants) ; plus de 1,600 en France (pour une population de 66 millions d’habitants) ; plus de 600 en Egypte (pour une population de 90 millions d’habitants). D’autre part, et d’après des sondages, il apparaît que l’EI a très peu de partisans au sein des populations du sud asiatique et du sud-est asiatique. En Indonésie des sondages ont permis de constater que 4% des Indonésiens ont une image favorable de l’EI. Joshua Kurlantzick, « Southeast Asia – The Islamic State’s New Front ? », Carnegie Council for Ethics in International Affairs, le 4 octobre 2016 https://www.carnegiecouncil.org/publications/ethics_online/0122
(14) Joshua Kurlantzick, « Southeast Asia – The Islamic State’s New Front ? », Carnegie Council for Ethics in International Affairs, le 4 octobre 2016 https://www.carnegiecouncil.org/publications/ethics_online/0122
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