L’ÉCRITURE
FÉMININE COMME AFFIRMATION DE L’ÉGALITÉ ET VÉHICULE DE RÉFORME : MAYY
ZIYADAH AU CŒUR DE LA RENAISSANCE INTELLECTUELLE ARABE
ARTICLE PUBLIÉ LE 29/06/2017
Par Mathilde Rouxel
http://www.lesclesdumoyenorient.com/L-ecriture-feminine-comme-affirmation-de-l-egalite-et-vehicule-de-reforme-Mayy.html
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Mayy Ziyadah (connue aussi sous la transcription
« May Ziadé ») est une écrivaine et une intellectuelle d’origine
libanaise. Elle est considérée comme la première figure féministe libanaise,
questionnant dans ses œuvres le problème de la condition des femmes arabes et
analysant l’articulation de l’écriture et de la féminité. Dans une œuvre riche
où s’affirment subjectivité et considérations politiques, Mayy Ziyadah a su
imposer une série de réflexions sur l’un des débats réformistes importants de
la Nahda, la place des femmes dans la société. Elle est aussi l’une des
premières à avoir proposé une théorisation essentialiste de l’écriture
féminine, qui résonne avec les attentes qu’elle exposait sur le plan social, à
savoir l’instruction des filles. Évoluant au cœur de la vie mondaine cairote de
l’avant et après-Première Guerre mondiale, elle est une figure incontournable
de la vie intellectuelle arabe du premier tiers du XXe siècle.
Une
actrice du renouveau intellectuel arabe
Mayy Ziyadah - de son vrai nom Marie Elias
Ziyadah - est née à Nazareth en 1886 d’un père maronite libanais et d’une mère
orthodoxe palestinienne (1). Elle passe une partie de son enfance en Palestine,
à Nazareth, où elle suit ses premiers enseignements. Elle arrive ensuite au
Liban avec son père, parti travailler au Kesrouan, dans la région du
Mont-Liban. À 14 ans, elle intègre le collège des Visitandines d’Antoura, où
elle suit un enseignement en français. Les cours de littérature française,
notamment les romantiques, influencent profondément sa littérature par la suite
(2).
En 1904, elle rejoint ses parents en Palestine. Elle lit et se cultive beaucoup par elle-même (3). Leur départ au Caire en 1908 marque ses premières publications : son père dirige alors la revue arabe Al-Mahroussa à laquelle elle collabore. Elle suit parallèlement des études de langues à l’Université égyptienne, dont elle sort diplômée en 1917 (4), armée de notions d’anglais, d’italien, d’allemand, d’espagnol, de grec moderne ainsi que de latin (5).
En 1904, elle rejoint ses parents en Palestine. Elle lit et se cultive beaucoup par elle-même (3). Leur départ au Caire en 1908 marque ses premières publications : son père dirige alors la revue arabe Al-Mahroussa à laquelle elle collabore. Elle suit parallèlement des études de langues à l’Université égyptienne, dont elle sort diplômée en 1917 (4), armée de notions d’anglais, d’italien, d’allemand, d’espagnol, de grec moderne ainsi que de latin (5).
La
gloire de Mayy Ziyadah est intimement liée à la vie culturelle du Caire,
bouillonnante à cette période de la Nahda. En 1912, elle fonde un salon
littéraire qui se réunit de façon hebdomadaire, et qui devient rapidement le
lieu de rendez-vous des grands intellectuels de son temps, accueillant Taha
Hussein, Khalil Moutrane, Loutdi as-Sayed, Antoun Gemayel, Walieddine Yakan,
Abbas Akkad ou Yacoub Sarrouf (6). Bâti sur le modèle des salons littéraires
fondés en Europe aux XVIIIe et XIXe siècles, il connait un succès exceptionnel
pendant plus de vingt ans (7).
Elle
publie ses premières études après la Première Guerre mondiale et voyage
beaucoup en Europe. Le début des années 1920 marque également le début de son
engagement féministe : rapidement, elle multiplie les conférences, les
articles et les actions publiques pour discuter la question de la place des
femmes dans la société, qui occupe de façon croissante les débats intellectuels
depuis le début du XXe siècle. Elle commence d’ailleurs par publier des biographies
de grandes militantes féministes d’Égypte, et collabore avec Hoda Shaarawi,
alors présidente de l’Union des femmes arabes.
Célibataire
et sans enfant, la mort de ses proches au début des années 1930 plonge
l’intellectuelle dans un profond chagrin. À la mort de son père en 1929 succède
la mort de son amant platonique Khalil Gibran en 1931, puis celle de sa mère en
1932 ; l’isolement moral et intellectuel dans lequel elle est subitement
plongée provoque des troubles neurasthéniques. Elle est internée quelques
années plus tard pour une période de neuf mois dans un asile d’aliéné à
Beyrouth, qu’elle quitte en 1939 et passe ses derniers temps au Caire, à
écrire. Elle
y meurt, le 19 octobre 1941, laissant derrière elle plus de quinze ouvrages de
poésie, de littérature et de livres traduits (notamment d’Arthur Conan Doyle ou
de Friedrich Max Müller).
Une œuvre littéraire
personnelle et engagée
Mayy Ziyadah est très
influencée par le mouvement de la Renaissance arabe, la Nahda, qui s’est
développée principalement en Égypte au début du siècle. De confession
chrétienne, elle participe au grand mouvement réformiste de la pensée qui
s’affirme à l’époque : elle défend le brassage des cultures, ayant
elle-même grandit au sein d’une civilisation marquée par la confrontation de
l’Orient et de l’Occident, et qui voit se mélanger les trois religions du
livre. Pour diffuser le plus largement possible ses idées dans la société dans
laquelle elle évolue, elle écrit la plupart de ses ouvrages et de ses articles
en arabe. Elle utilise d’ailleurs souvent des pseudonymes masculins pour
exprimer des idées qu’il n’aurait pas été permis pour une femme
d’exprimer ; on trouve dons des textes signés de sa plume sous le nom de
Kaled Ra’afat ou de Sindbad - même s’il lui arrive aussi d’user de pseudonymes
féminins, particulièrement lorsqu’il s’agit de création poétique, comme Isis
Copia ou Aida (8).
Elle
publie d’ailleurs son premier recueil de poésie en 1910 sous le pseudonyme Isis
Copia. Fleurs de Rêve est un recueil de poèmes lyriques écrits
en français qui dépeignent la nature libanaise et ses lieux privilégiés, dans
l’héritage de Lamartine, qui chantait lui aussi la beauté de la vallée de
Hamana. Ce recueil attise la curiosité des critiques littéraires en Égypte et
au Liban (9). Elle continue d’écrire des articles dans la revue de son père,
puis élargit petit à petit son horizon de publications, publiant dans les plus
grandes revues arabes de l’époque (imprimées au Caire, mais souvent dirigées
par des Libanais) : elle écrit ainsi pour Al-Hilal, Al-Mouktatraf ou
encore Al-Ahram (10).
Entre
1920 et 1925, elle réunit les articles et les essais écrits pour différentes
revues et les publie en quatre volumes. Alors qu’elle écrit régulièrement de
courtes nouvelles et compose des pièces de théâtre, elle s’engage socialement
pour discuter de l’inégalité dans la société, et particulièrement de la place
des femmes dans les hiérarchies. En 1921, elle donne une conférence présentée
sous le titre « Le But de la vie » (11). C’est dans cette conférence
qu’elle appelle pour la première fois les femmes à une prise de conscience de
leur situation au sein de la société. Elle y prône une plus grande aspiration à
la liberté, et préconise une ouverture sur l’Occident tout en restant très
proche des traditions orientales. Cette conférence fait suite à la publication
en 1920 de son second ouvrage, Bahethat Al-Badiya (Les
Chercheurs du désert), dans lequel elle met en scène le personnage de la
féministe Malak Nasef, qui avait pris pour surnom « Bahethat
al-Badiya » et qui militait dans son ouvrage Al Nesa’eyat pour
l’émancipation des femmes dans ces sociétés dirigées par la solidarité
masculine. Elle réalise également une étude biographique d’une autre dirigeante
importante du mouvement féministe en Égypte, Aïcha Teymour. L’objectif de Mayy
Ziyadah dans ces deux ouvrages est de présenter l’oppression pesant sur les
femmes dans la société arabe depuis même l’étape prénatale, la naissance d’une
fille étant rarement célébrée avec autant d’enthousiasme que la naissance d’un
garçon. Protestant contre l’enfermement des femmes, elle appelle avant tout
dans cet ouvrage à l’instruction des femmes, seul rempart établi contre la
superstition. « Elle formule avec énergie son opposition à la conception
de l’homme/dieu au sein du couple et refuse de voir en l’homme un maître absolu »,
commente Carmen Boustani (12) ; elle s’oppose à la polygamie et à la
répudiation, et appelle à l’abolition du voile. Elle poursuit ses réflexions
dans un article audacieux publié en 1926 dans le journal El-Mouktatef,
intitulé « Comment je voudrais que l’homme soit », dans lequel elle
cherche à donner aux femmes les outils nécessaires pour qu’elles saisissent
leur individualité propre. Il est toutefois intéressant de noter qu’étant née
de confession chrétienne et vivant dans une société principalement guidée par
les principes de la religion musulmane, Mayy Ziyadah ne se sent pas libre de
parler au nom des féministes musulmanes, et discute avant tout des mesures
sociales.
Malgré
son usage de certains pseudonymes masculin, Mayy Ziyadah chante régulièrement
l’intérêt d’une écriture féminine. Outre ses essais critiques sur trois
auteures pionnières du monde arabe édités dans Flux et reflux, elle
écrit dans un ouvrage à caractère autobiographique intitulé Souvenirs
de prime jeunesse (1928) : « Nous commençons d’écrire non
seulement pour remplir les pages, mais pour revivre des sentiments avant même
de les avoir écrits. Ce courage, nous ne le tenons pas de celles qui nous ont
précédées, mais de nous-mêmes, cherchant à révéler l’âme de la femme dans ce
qu’elle écrit d’elle-même, non dans ce que les hommes ont écrit d’elle »
(13).
Les Lettres à Gibran
Khalil Gibran : style et expression littéraire d’une femme libre
Mayy
Ziyadah est aussi connue pour la relation qu’elle a entretenue avec l’écrivain
et penseur libanais Gibran Khalil Gibran, avec lequel elle a entretenu une
importante correspondance. Alors qu’elle est à l’époque à New York, leur
relation épistolaire - idylle romantique et intellectuelle - a duré jusqu’à la
mort de l’auteur du Prophète, en 1931. Ils ne se sont jamais
rencontrés, mais elle jura de sa fidélité et ne se maria jamais. Cette relation
a eu une influence considérable sur Mayy Ziyadah, dont les lettres témoignent
d’une pensée riche, rigoureuse mais également profondément romantique :
c’est sans doute à ces lectures que le célèbre critique littéraire et écrivain
Jamil Jabre écrit à son sujet : « En lisant May, on ne sait pas tout
à fait si son écrit relève du genre romanesque, du souvenir d’enfance, du conte
fantastique, du rêve romantique, de l’évocation historique ou de la confession.
C’est un mélange si spontané, dans un style si pittoresque qu’il nous tient en
haleine, malgré certaines bavures ou banalités. À travers son œuvre, elle tient
à nous communiquer tantôt l’intensité d’un bonheur éphémère, tantôt la magie
d’un rêve qui nous transporte au-delà de notre existence monotone, en cette
luminosité illusoire qui exerce sur nous un effet de transcendance » (14).
Le destin de Mayy Ziyadah
est, à l’image de ses influences, tragiquement romantique. Il est aussi
pérenne ; son activité et son engagement pour l’amélioration des
conditions de la vie des femmes est maintes fois repris par la suite. Actrice
incontournable d’un monde intellectuel en ébullition, Alexandre Najjar raconte
qu’à son enterrement, Hoda Shaarawi saluait la mémoire de celle qui fut
« le meilleur exemple de la femme orientale cultivée » (15).
A
lire également sur Les clés du Moyen-Orient :
Ziyadah (Mayy)
Ziyadah (Mayy)
Bibliographie
(non exhaustive)
Fleurs de rêves (1910)
Bahithat al-Badia (1920)
Aïcha Meymour (1920)
Sawâneh fatât (Plat de miettes)
Zulumât wa Ichâ’at (Humiliation et rumeurs)
Sourires et larmes (traduction vers l’arabe de l’ouvrage
de Max Sheller)
Kalimât wa Ichârât (Mots et signes)
Al Saha’ef (Les journaux)
Propos de jeune fille
Mélange (choix de conférences)
Ténèbres et rayons (poèmes lyriques en prose)
Al-Musaâwât (L’Égalité, étude sociologique)
Ghayat al-Hayat (Le sens de la vie)
Bayna al-Jazri wa al-Madd (Flux et reflux, critique
littéraire)
Souvenirs de jeunesse
L’intégralité de ses œuvres (principalement écrites en arabe) a été publiée aux éditions libanaises Naufal en 1982, dans un ouvrage d’Œuvres complètes.
L’intégralité de ses œuvres (principalement écrites en arabe) a été publiée aux éditions libanaises Naufal en 1982, dans un ouvrage d’Œuvres complètes.
Notes :
(1) « Remembering May Ziadeh : Ahead of (her) Time », Middle East Revised, 10/30/2014, disponible en ligne, consulté le 21 juin 2017. URL : https://middleeastrevised.com/2014/10/30/remembering-may-ziadeh-ahead-of-her-time/
(2) Ghaleb Ghanem, La Poésie Libanaise d’Expression Française, éditions de l’Université Libanaise, Beyrouth, 1981, p.186.
(3) « May Ziadé, témoin de son époque », La Revue du Liban, n°3709, 1999, disponible en ligne, consulté le 21 juin 2017. URL : http://www.rdl.com.lb/1999/3709/art2.html
(4) Lubna Khader, « In Memory of May Zeyadeh. A Torch in the Darkest of Ages », Star Weekly, 21/10/1999, disponible en ligne, consulté le 21 juin 2017. URL : https://web.archive.org/web/20070418080529/http://www.lebwa.org/life/ziadeh.php
(5) Ghaleb Ghanem, La Poésie Libanaise d’Expression Française, op. cit.
(6) « May Ziadé, témoin de son époque », La Revue du Liban, op. cit.
(7) Rose Ghurayyib, « Mayy Ziadeh (1886-1941) », Al Raida journal, Institute for Women’s Studies in the Arab World, Beirut University College, 1989, p.2.
(8) Carmen Boustani, « May Ziadé : Vie et écriture », Les Cahiers du GRIF, vol.43, n°1, 1990, disponible en ligne, consulté le 21 juin 2017. URL : http://www.persee.fr/doc/grif_0770-6081_1990_num_43_1_1836
(9) Rose Ghurayyib, « Mayy Ziadeh (1886-1941) », Al Raida journal, op. cit., p.2.
(10) « May Ziadé, témoin de son époque », La Revue du Liban, op. cit.
(11) Carmen Boustani, « May Ziadé : Vie et écriture », op. cit.
(12) Ibid.
(13) Traduit et cité par Carmen Boustani, op. cit.
(14) Jamil Jabre cité par Alexandre Najjar, Dictionnaire amoureux du Liban, Paris, Plon, 2014, p.325.
(15) Alexandre Najjar, Dictionnaire amoureux du Liban, op. cit., p.325.
(1) « Remembering May Ziadeh : Ahead of (her) Time », Middle East Revised, 10/30/2014, disponible en ligne, consulté le 21 juin 2017. URL : https://middleeastrevised.com/2014/10/30/remembering-may-ziadeh-ahead-of-her-time/
(2) Ghaleb Ghanem, La Poésie Libanaise d’Expression Française, éditions de l’Université Libanaise, Beyrouth, 1981, p.186.
(3) « May Ziadé, témoin de son époque », La Revue du Liban, n°3709, 1999, disponible en ligne, consulté le 21 juin 2017. URL : http://www.rdl.com.lb/1999/3709/art2.html
(4) Lubna Khader, « In Memory of May Zeyadeh. A Torch in the Darkest of Ages », Star Weekly, 21/10/1999, disponible en ligne, consulté le 21 juin 2017. URL : https://web.archive.org/web/20070418080529/http://www.lebwa.org/life/ziadeh.php
(5) Ghaleb Ghanem, La Poésie Libanaise d’Expression Française, op. cit.
(6) « May Ziadé, témoin de son époque », La Revue du Liban, op. cit.
(7) Rose Ghurayyib, « Mayy Ziadeh (1886-1941) », Al Raida journal, Institute for Women’s Studies in the Arab World, Beirut University College, 1989, p.2.
(8) Carmen Boustani, « May Ziadé : Vie et écriture », Les Cahiers du GRIF, vol.43, n°1, 1990, disponible en ligne, consulté le 21 juin 2017. URL : http://www.persee.fr/doc/grif_0770-6081_1990_num_43_1_1836
(9) Rose Ghurayyib, « Mayy Ziadeh (1886-1941) », Al Raida journal, op. cit., p.2.
(10) « May Ziadé, témoin de son époque », La Revue du Liban, op. cit.
(11) Carmen Boustani, « May Ziadé : Vie et écriture », op. cit.
(12) Ibid.
(13) Traduit et cité par Carmen Boustani, op. cit.
(14) Jamil Jabre cité par Alexandre Najjar, Dictionnaire amoureux du Liban, Paris, Plon, 2014, p.325.
(15) Alexandre Najjar, Dictionnaire amoureux du Liban, op. cit., p.325.
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