mardi 4 juin 2019

DRAXT Ī ĀSŌRĪG, ο μαγικός κόσμος των παραμυθιών, των μύθων, της προφορικότητας πριν αυτή παγιωθεί στη γραφή


DRAXT Ī ĀSŌRĪG : CE QUE LA CHÈVRE DIT AU PALMIER
ARTICLE PUBLIÉ LE 31/05/2019

Par Florence Somer Gavage
(Περσία, εποχή Αχαιμενίδων, Μουσείο Λούβρου)

Le chemin de la littérature à travers les siècles, de l’oralité à l’écriture, est tributaire de variations voire de changements essentiels qui défont et refont les histoires en les éloignant de leur origine.
Dans un 
précédent article (βλέπε κατωτέρω), nous avions déjà évoqué le voyage des contes des Mille et une Nuits, compilés à l’époque sassanide sous le titre de Hazār afsāne (milles histoires), traduits et modifiés dans leur version arabe (Alf Lailah wa Laila) puis enrichi d’histoires glanées par les orientalistes qui les firent découvrir en Europe à partir du XVIIIème siècle en ajoutant des histoires extérieures au corpus existant. De même, les fables de La Fontaine empruntent leurs récits de sagesse au livre de Kalīla et Dimna, traduit en arabe et en syriaque à partir du modèle indien du Pancatantra, du Tūtī nāmag (le livre du perroquet) ou du Sindbād nāmag (le livre des sept vizirs).

Préservation poétique

Pourtant jamais, à de rares exceptions près, les compilateurs des textes ne citent leurs sources ou ne mentionnent les emprunts effectués pour les intégrer dans leur propre littérature. Il en va des contes comme des traités savants. Il n’est pas aisé de comprendre comment les traités de médecine, d’astronomie ou de philosophie se sont constitués par un syncrétisme et une adaptation propre entre les savoirs grecs, indiens, mésopotamiens, égyptiens, chinois puis persan, arabe et leur traduction en latin. Faire le détail des strates d’incorporation temporelle et géographique de ces savoirs, souvent interdépendants, relève d’un travail de recherche patient et de connaissances linguistiques multiples des philologues qui cherchent à dénouer les savoirs mêlés. Au grand dam des chercheurs contemporains, le stemma codicum n’embarrassait guère les savants de l’antiquité tardive et de la période médiévale.
De part ses règles et son agencement idoines à la langue dans laquelle elle est exprimée, la poésie est plus difficile à contrefaire, son essence initiale résiste mieux aux vicissitudes du temps. Ses idées sont cependant toutes aussi riches des apports croisés de cultures qui se sont succédées sur les terres qui les ont portées.
Dans la littérature poétique sassanide, une histoire morale conte un curieux débat. Le poème Draxt ī Āsōrīg (1) se présente comme une joute verbale entre une chèvre et un palmier. Composé à l’origine en parthe, il en a conservé quelques particularismes malgré sa transmission en moyen-perse. Ces deux langues employant les mêmes araméogrammes, beaucoup de mots et verbes sont similaires. Par ailleurs, elles ont coexisté pendant une partie de la période sassanide, le moyen-perse étant parlé principalement dans la région du Fārs et le parthe en Médie, l’actuel Kurdistan iranien. Ce poème issu de la littérature de sagesse regorge de détails quotidiens qui nous permettent d’appréhender le style de vie quotidien en Iran dans l’antiquité tardive. Son schéma de versification n’est pas aisément identifiable mais cela ne signifie nullement qu’il soit inexistant.
A travers le dialogue de l’arbre et de la chèvre, deux conceptions du monde se parlent. La symbolique n’est pas claire mais on peut attribuer une essence agricole, végétale et sédentaire au palmier dattier qui nourrit le peuple alors que la chèvre caractérise le monde pastoral, les objets d’apparats, le raffinement et l’accomplissement des rites nécessaires pour préserver la religion zoroastrienne.

Le combat du palmier et de la chèvre : clefs de lecture

Le poème commence par l’auto-éloge du palmier, présent dans tout le Moyen-Orient en général et la Mésopotamie en particulier. Pour décrire sa feuille, il utilise la métaphore du roseau, à la fois fort et flexible, pour décrire ses fruits, le raisin. Ce raisin prisé pour le vin qu’on en tire pour les nobles auquel le peuple n’a pas accès. Cet arbre se dispute avec la chèvre pour débattre des qualités supérieures de l’un sur l’autre.
L’arbre donne également à manger au roi et c’est par lui que la flotte peut être assemblée. De sa substance est fait le fléau pour faire sortir les graines d’orge et de riz, le soufflet pour faire vivre le feu mais c’est également de sa matière qu’est faite la corde destinée à entraver les pattes de la chèvre. Par sa taille et son ombre, il donne asile aux oiseaux et aux voyageurs et c’est avec son substrat que les boîtes de médicament sont réalisées.
Il se régénère par lui-même puisque ses noyaux contiennent le potentiel de faire vivre un autre que lui. Et grâce à lui, les peuples mangent à leur faim.
Vient le tour de la chèvre qui se moque de sa hauteur et le fait ressembler aux démons qui sont ignares. Elle tourne en dérision l’ensemencement nécessaire au dattier pour qu’il produise des fruits. Elle, dont le lait est essentiel pour que les rites zoroastriens assurant la pérennité de l’empire puissent être respectés. Elle fait la liste des tous les éléments nécessaires et d’apparat pour la confection desquels sa peau est nécessaire : ceintures, chaussures, gourdes, tablier, lettres, lanières et selles.
Enfin, la chèvre qui se rend dans les alpages pour brouter l’herbe fraîche et s’abreuver à la source des montagnes fait l’apologie des voyages saisonniers de la cour ou des nomades visant à éviter l’accablement de la chaleur qui touche les paysans attachés à leurs terres.
Car elle est intrinsèque par son lait au bon déroulement des rites religieux, c’est la chèvre qui, sur le dattier, va l’emporter.
Note :
(1) Traduction littérale : l’arbre assyrien mais āsōrīg se réfère à la Mésopotamie centrale et méridionale et Draxt, si emprunté à l’araméen, peut signer à la fois paradis et jardin.
Référénces :
- J. M. Jamasp-Asana, The Pahlavi Texts, 2 vols., Bombay, 1897, 1913, p. 109-114.
- A. Hintze ; K.M. Jamaspasa, The Pahlavi Codex MK : Facsimile Edition, Wiesbaden, (Iranica 20), 2015.

LA MUSE DES NUITS
ARTICLE PUBLIÉ LE 29/01/2019

Par Florence Somer Gavage
Introduction : Traduire, entre trahison et révélation
Traddutore, Traditore ! Le traducteur est-il toujours coupable quand il donne à voir, par le caractère traduit, une vision, une portion à la fois maîtrisée et créée du lien entre la réalité dans laquelle il a séjourné et celle dans laquelle il demeure ? Les propositions seraient vraies en tant qu’elles se conforment aux choses même, ainsi que le théorisait Aristote. Rien n’est moins réel et les textes d’Aristote, passés par le prisme de la langue arabe puis revenus s’exprimer en langue latine puis vernaculaires en sont le parfait exemple. Dans la tradition occidentale, la question de la traduction touche à la fois aux concepts de vérité, d’identité et de fidélité. La vérité en tant qu’antonyme de l’erreur et non du mensonge ; l’identité comme consubstantielle du style de l’auteur qui, en traduisant à la fois le mot et l’émotion, ne pourra jamais que proposer une autre version du texte. Erreur et version sont indissociables du traducteur et ses marques. Par contre, la notion même de fidélité au texte au détriment de ses propres valeurs morales pourrait-être ce qui fait du traducteur, à l’instar d’Hermès, son protecteur grec, un messager ou un menteur.

La musique de la Muse

En 1903, le musicien Maurice Ravel (1875-1937) compose le cycle de musique Shéhérazade, inspiré des poèmes de Tristan Klingsor (1874-1966) (1) du même nom, en hommage à la suite symphonique de Nikolaï Rimski-Korsakov (1844-1908).
Le nom que lui a donné l’auteur anonyme des Mille et une Nuits était fait pour étayer sa renommée. Née en Inde, elle a vécu en Iran et son nom passera à la postérité entre le XIIème et le XIIIème siècle sous les califats arabes. Shahr-(a)zād (2) la voyageuse intemporelle a franchi les frontières de Bagdad, de la Perse et de l’Egypte, pour faire littéralement le tour du monde. Car, contrairement à sa sœur Dounyazād (3), Shéhérazade est une citoyenne de cette terre dont elle a repoussé les limites temporelles et géographiques. L’histoire du texte commence sans doute en Inde puis passe à l’Iran sassanide où le récit-cadre de l’histoire prend place entre l’Inde et le Turkestan chinois. Au Xème siècle, deux références mentionnent un recueil d’histoires apparentées aux Mille et une Nuits : al-Mas’ūdī (m.956), dans son œuvre encyclopédique les Prairies d’or (4), cite le recueil persan Hazār Afsānā parmi les traductions en arabe d’ouvrages indiens, persans et byzantins ; Ibn al-Nadīm (m.995), dans son Kitāb al- Fihrist, signale qu’al-Ǧahšiyārī (m.942) a constitué un recueil de 480 contes grecs, persans et arabes. La date de la traduction des Hazār Afsānā en Alf Lailah wa Laila n’est pas connue mais on pourrait postuler qu’elle eut lieu vers le VIIIème siècle de manière concomitante à celle d’autres ouvrages persans comme le Kalīla et Dimna.
Les éléments qui ont le plus voyagé sous le nom des nuits sont des invités tardifs bien déguisés. Sinbad le marin (5), dont Klingsor fait mention au terme du poème intitulé « Asie », ne fait pas partie des contes originaux, pas plus que l’histoire d’Ali Baba et les 40 voleurs (6) ou celle d’Aladin et la lampe merveilleuse. Pourtant, ce sont principalement ces histoires qui ont inspiré les écrits, musiques, opéras, adaptations théâtrales, films ou encore séries télévisées qui ont fait le tour du monde. De même, le premier mouvement du poème symphonique que Korsakov écrit à Saint-Pétersbourg en 1889, sous le titre « la mer et le vaisseau de Simbad » est l’adaptation très tardive de l’histoire de la conteuse iranienne qui, chaque nuit, sauve sa vie et sa liberté par la sensualité des mots et la curiosité qu’ils suscitent. Mais qu’importe… Il est de l’essence des contes de passer librement de l’oralité à l’écrit, d’une langue à l’autre, et de s’intégrer à un corpus déjà existant. Le schéma narratif le permettant, les contes, les récits de voyages, les épopées, les poèmes et les histoires merveilleuses hérités des patrimoines culturels divers (indien, arabe, égyptien, persan ou hellénique) se sont harmonieusement mêlés au fil des siècles pour le ravissement des auditeurs et des conteurs, quel que soit le support de narration.
Par contre, les traductions fantaisistes et pudibondes dont l’œuvre des Mille et une Nuits a fait l’objet de la part des traducteurs occidentaux qui les ont découverts ont fortement modifié le récit original et créé une image de la littérature moyen-orientale fortement éloignée de la réalité.
L’œuvre musicale, quant à elle, laisse à l’imagination le soin de dépasser les accords…

Les Nuits d’Occident

« Shéhérazade, d’après Mille et une nuits », suite symphonique pour orchestre op.35 de Rimsky Korsakov, commence par ces mots qui résument le récit cadre présent dans toutes les versions du texte :
« Le sultan Shariyâr, persuadé de la fausseté et de l’infidélité des femmes, avait juré de faire donner la mort à chacune de ses femmes, après la première nuit. Mais la sultane Schéhérazade sauva sa vie en l’intéressant aux contes qu’elle lui raconta pendant la durée de 1001 nuits. Pressé par la curiosité, le sultan remettait d’un jour à l’autre le supplice de sa femme, et finit par renoncer complètement à sa résolution sanguinaire. Bien des merveilles furent racontées à Shariyâr (7) par la sultane Shéhérazade. Pour ses récits, la sultane empruntait, aux poètes - leurs vers, aux chansons populaires - leurs paroles, et elle intercalait les récits et les aventures les uns dans les autres (8). »
L’entrée de plein pied dans une atmosphère lourde et oppressante de l’ordre politique et social bouleversé est allégée et adoucie par l’apparition, au son de la harpe, de la conteuse matérialisée par un thème joué au violon.
Ce thème pourrait introduire l’histoire du texte même, celle qui s’est jouée de l’autre côté de la mer, sur les rivages d’Occident.
Le voyage des Nuits d’Orient en Occident débute au XVIIIème siècle avec la traduction d’Antoine Galland (1646-1715) qui introduisit, fort du succès de ses traductions de contes arabes dans la société de Louis XIV, les textes des aventures d’Aladin, de Simbad, d’Ali Baba et d’autres au corpus existant. C’est également l’apparente pudibonderie de cette société qui donna à Galland le droit de faire ce qui est contraire à l’éthique du traducteur : déguiser voire éluder ce que la bienséance et la morale réprouvait. Autant dire que la traduction s’est dès lors délestée de précieux poèmes et de situations réalistes, ce qui a concouru à donner une image faussée de la société des Abbassides aux Ilkhanides. Cette image est restée associée aux contes des Mille et Une Nuits par les faits des traducteurs ou arrangeurs qui se sont emparés du récit au risque d’inventer de nouveaux contes, tout aussi pudibonds et aux antipodes de ce texte « si superbement ignorant de toute honte, qui prend la vie à plein bras et n’en dissimule aucune des manifestations, fussent-elles de l’étage réputé le plus bas… et qui ne songe même pas à cacher tout le plaisir qu’un esprit sain peut prendre à de telles complaisances (9) ». La version des Nuits a également été malmenée pour les lecteurs orientaux, soumis à la traduction majoritaire s’appuyant sur des textes tardifs édulcorés que Boulaq réalise au Caire en 1835. L’austérité morale et religieuse qui régna durant le XIXème siècle sur le monde arabo-musulman n’a guère arrangé les choses. Au tournant du XXème siècle en Occident, encouragé par Mallarmé, Joseph-Charles Mardrus (1868-1949), reprend les éditions précédentes des Nuits et leur donne un caractère érotique inédit, voire excessif.
Pour rétablir un équilibre et donner une traduction proche du sens initial, la version proposée par René R. Khawann se base principalement sur un manuscrit ramené de Syrie par Antoine Galland (10) daté non pas du XIXème comme il l’avait cru mais du XIIIème et toute une série de manuscrits retrouvés dans diverses bibliothèques à l’ouest du Bosphore dont Istanbul, le Vatican, Madrid, Manchester, Londres, Barcelone, et un manuscrit consciencieusement recopié au XIXème siècle par Michel Sabbagh et conservé à la bibliothèque nationale de France (11). Les outils des Mille et une Nuits que sont les contes, le rêve, la poésie continuent d’être les véhicules vivant d’une tradition mondialement adoptée où s’épanouit à l’infini, en l’absence d’obligation morale, la liberté d’esprit et les associations qui transportent au-delà du moi pour faire naître d’autres récits.
Comme le dit Nour ed Dīn à Dunya (12) dans l’interprétation des Nuits de Pier Paolo Pasolini : « Les rêves instruisent mal parce que la vérité n’est jamais dans un seul rêve mais dans un grand nombre de rêves (13) ».
Notes :
(1) Schéhérazade, Mercure de France, 1903.
(2) Persan et arabe. De sang noble/ Enfant de la ville/ la ville libre ou celle qui est libre de la ville,
(3) Persan et Arabe. Enfant du monde/ Monde libre, celle qui est libre du monde
(4) Murūǧ al-ḏahab.
(5) Khawan, 1985. Qui serait un apport d’origine arabe, voir Jamel Eddine BENCHEIKH, « MILLE & UNE NUITS LES », Encyclopædia Universalis en ligne : 
http://www.universalis-edu.com/encyclopedie/les-mille-et-une-nuits/
(6) « Vraisemblablement empruntée à un recueil turc. » Khawan, p.12.
(7) Persan. Roi, monarque, souverain.
(8) « Schéhérazade, d’après Mille et une nuits », suite symphonique pour orchestre op.35 de Rimsky Korsakov, M.P. Belaieff, Leipzig.
(9) Khawan, p.14.
(10) BNF, Fonds arabe, 3609-3610-3611.
(11) Khawan, p. 28.
(12) Littéralement, comme le dit la lumière de la religion au monde.
(13) Il Fiore delle Mille e una Notte, Pier Paolo Pasolini, 1974.
Bibliographie :
- Khawan, R.R., Les aventures de Sindbad le Marin, Edition Phoebus, Paris, 1985.
- Khawan, R.R., Les Mille et Une Nuits, Phébus Libretto, Paris, 1986.
- http://expositions.bnf.fr/1001nuits/arret/01.htm
- Jamel Eddine BENCHEIKH, « MILLE & UNE NUITS LES », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 28 janvier 2019. URL : http://www.universalis-edu.com/encyclopedie/les-mille-et-une-nuits/
- http://www.ifao.egnet.net/bifao/rech


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