mardi 30 avril 2019

το ημερολόγιο της σελήνης ανάμεσα στα μαθηματικά, την αστρονομία και τη θρησκεία


RETOUR SUR LES REPRÉSENTATIONS LUNAIRES DANS L’ORIENT ANCIEN ET MÉDIÉVAL À L’OCCASION DE L’EXPOSITION PROPOSÉE AU GRAND PALAIS DU 3 AVRIL AU 22 JUILLET 2019 : « LA LUNE : DU VOYAGE RÉEL AUX VOYAGES IMAGINAIRES »
ARTICLE PUBLIÉ LE 15/04/2019
Par Florence Somer Gavage
(Moυσείο της Τεχεράνης, 3000 π.Χ.)
Pour célébrer le cinquantième anniversaire de la première expédition sur la Lune, le Grand Palais organise une rétrospective en 6 actes retraçant l’historique des liens qui unissent l’être et l’astre de son habitat terrestre. Si proche et pourtant longtemps hors de portée des sens, la Lune fascine, au passé, présent et futur, par son influence directe sur notre environnement et l’intimité des fonctionnements intérieurs de notre rapport au monde. Entre découverte astrophysique, artistique et philosophique, les aspects de la Lune se délient pour nous offrir un voyage aux confins des représentations civilisationnelles nées en Orient et qui ont façonné notre vision actuelle.
La Lune et le temps
Plus douce et plus facilement observable, la Lune offre, par son cycle, un moyen d’établir un calendrier saisonnier et agraire ; elle permet de répondre au besoin fondamental de l’homme de mesurer le temps. Ses phases de 29,5 jours (1), déjà utilisées par les Sumériens, permettent de déterminer les temps de veille, de semages, de récolte et le moment du départ des caravanes ou des campements nomades. Les astronomes se reposent également sur l’étude du cycle lunaire en relation avec celui du soleil pour déterminer l’avènement des éclipses, signes présageant du temps humain par excellence. Ainsi le cycle de Saros, théorisé à la période babylonienne, révèle que la configuration Terre-Lune-Soleil revient à l’identique au bout de 18 ans et 11 jours, permettant de prédire les prochaines occultations d’un astre par l’autre. L’importance des crues du Nil au solstice d’été pousse également les prêtres astronomes égyptiens à se pencher sur l’étude des phases lunaires, lui préférant néanmoins celle du cycle solaire, mathématiquement plus facile à prédire même si l’étude de l’astre lumineux en lui-même s’avère plus compliquée.
Pour faire concorder le cycle lunaire et la révolution solaire autour de la terre, l’astronome athénien Méton (Vème ACN) invente le cycle qui portera son nom, à savoir un espace de 19 ans au terme duquel les lunaisons reviennent au point de départ qui fut le leur. Les premières 12 années sont constituées de 12 mois et le 7 années suivantes, de 13 mois afin de faire coïncider les cycles.
Le cycle lunaire est également utilisé tant en astronomie qu’en astrologie indienne et védique (2) et est composé de 28 (ou 27) Nakshatras, maisons lunaires correspondant à une division de 13°20’ de l’écliptique. Son point de départ se situe, comme celui du calcul de l’année iranienne, à la première étoile du Bélier. Le temps étant le principe de création et de destruction par excellence, présidant à la naissance et la mort de toute chose, la connaissance des états de Lune, qui aide à le quantifier est devenu essentielle à la vie terrestre.
La Lune et les mythes
Des représentations issues de l’Antiquité aux créations imaginée de l’art contemporain, l’astre lunaire accompagne notre représentation de l’inconnu et de l’infini. Pour dompter son image, à la fois omniprésente et lointaine, les Assyro-Babyloniens, les Grecs, Indiens, Persans et Arabes l’ont dotée d’un caractère divin, tout comme les autres astres visibles selon un modèle géocentrique : Vénus, Mars, Vénus, le Soleil, Saturne et Jupiter. Les planètes représentent à la fois les dieux, les démons et leurs mouvements ; elles offrent une clef de compréhension de la magie de l’univers dans lequel nous vivons. Si les autres astres peuvent, notamment dans la tradition mazdéenne, être représentés comme changeants et instruments du principe du mal, la Lune, comme le Soleil, possède des vertus bienfaitrices. Elle est avant tout symbole de fertilité, de fécondité et d’abondance. Elle est représentée par les Sumériens sous la forme d’un taureau, personnification du dieu Sīn ou Nanna, traversant le ciel à bord d’une barque. Le Soleil est son fils et les ziggourāt, dont celle de Our, sont autant d’observatoires astronomiques voués notamment à sa compréhension.
Pour les Grecs, la Lune abrite en ses phases trois divinités : Artémis est celle du croissant ; Séléné, la Lune pleine ; Hécate le nouveau croissant. Le modèle de la perfection du cosmos proposé par Pythagore et Platon, transmis aux astronomes d’Orient, a longtemps fait considérer la Lune comme une sphère parfaite, en réponse à son caractère divin. De même, la théorie de l’excentrique fixe suppose que l’astre lunaire, comme tout autre, possède une trajectoire circulaire autour de la terre. La terre n’occupe pas le centre de l’orbite décrite par les planètes, ce qui explique que la planète apparaît plus ou moins clairement selon la distance qui la sépare de la Terre. Ce mouvement rétrograde des planètes constaté sur un modèle géocentriste (3) a produit des théories permettant de l’imaginer comme celle de l’épicycle.
La Lune est le témoin de la clarté d’esprit, de l’éthique et des pensées pures ; c’est elle qui, la nuit, surprend le voleur ou les actes du malin.
Les cultes monothéistes rejetteront la divinité de la Lune qui protégeait les voyages nocturnes des caravanes, Jéricho, la Lune en hébreu, est le premier site détruit par les Hébreux sortant du mont Sinaï et le Dieu Hubal est proscrit de La Mecque. Par contre, dans d’autres lieux plus reculés, les temples dédiés à la Lune ont survécu plus tardivement comme celui de Harrān (Carrhae) en Turquie.
Avant l’invention du télescope qui a permis des observations lunaires précises au début du XVIIème s., la Lune était à la fois ce lointain réel et cet imaginaire proche et nécessaire. L’épopée de Gilgameš narre son affrontement céleste avec le Dieu Lune. Lucien de Samosate (v.120), le rhéteur satirique syrien, fait de la Lune une parodie terrestre. Dans les Histoires vraies, il est projeté sur la Lune par un ouragan. Sur la Lune, il se fait le compagnon du roi Endymion et le voit battre les Sélénites conduit par le roi Phaéthon. Malgré l’insistance d’Endymion, Lucien ne l’accompagnera pour fonder une nouvelle colonie sur l’étoile du matin et il revient sur la mer terrestre afin de continuer ses voyages. Lucien reprend le voyage lunaire comme thème unique dans l’Icaroménippe ou le voyage au-dessus des nuages où, de la terre à la Lune, il franchit 3 000 stades étalonnés en parasanges (4). Il est l’ami interrogeant Ménippe (5) sur les moyens d’accéder à la Lune, lui qui a conversé avec Zeus.
La lune et les sciences
L’exploration scientifique, de Galilée aux expéditions lunaires du XXe siècle a mené un changement de perspective drastique en permettant d’investiguer le ciel jusqu’en ses planètes les plus lointaines.
Au XIXème s., les récits pseudo-scientifiques ou de sciences-fictions imaginent la vie sur la Lune, sa face ronde qui sourit ou des êtres qui l’occupent. Au XXème s., la course technologique et politique entre les Etats-Unis et l’URSS précipite les voyages vers l’idéal lunaire. On imagine l’émotion des scientifiques qui, pour la première fois, pouvaient contempler, depuis la Lune, leur Terre. Cet astre bleu lumineux et fragile. Devant la beauté de son image, pensaient-ils qu’il faudrait un jour, pas si lointain, se battre pour en préserver la diversité et la richesse ?
La lune et l’art
Dans l’exposition présentée au Grand Palais, les œuvres de Chagall, Man Ray, Dali, Miro, Rodin, Valloton, Morellet, Delvaux,… traitent de la Lune dans tous ses états en tant que personnage central ou témoin privilégié des scènes de vie terrestres diverses illustrant l’amour naissant, les guerres intérieures et extérieures, les interrogations nées des songes ou la mélancolie.
La littérature ou le cinéma s’emparent d’une vie rêvée sur la Lune pour illustrer des revendications sociales et culturelles autres et dénoncer celles qui asservissent ou abrutissent les terriens. Sous prétexte de réflexions pseudo-astronomiques concernant l’astre le plus proche de son habitat, le penseur s’empare de la compréhension des mouvements cycliques de l’astre lunaire pour contester les mouvements jugés normaux, absurdes ou dégradants à l’œuvre dans la société. Sur la Lune, point d’asservissement, de différences sociales flagrantes, de dirigeants vils et indifférents au bien commun. Ou, aux antipodes, la servilité poussée à l’extrême engendre l’ordre social « idéal » car déshumanisé.
Quant aux poètes, la clarté et la forme observable changeante de la Lune leur offrira une inspiration infinie à travers le temps et l’espace.
Pour l’illustrer, ce quatrain de l’astronome Omar Khayyam (1048-1131) :
« Tantôt douce, tantôt amère, c’est la vie.
Peu importe le lieu où notre verre est plein.
Partout la Lune, là où nous buvons du vin,
Sera pleine, en croissant, évidente ou ravie (6) ».
Notes :
(1) 29,5 jours 12 heures 44 minutes et 3 secondes.
(2) Et notamment synthétisé dans le Vedanga Jyotisha.
(3) Hormis Aristarque de Samos (IIIème s. ACN) qui calculera les dimensions de la Terre grâce à la Lune et énoncera le caractère héliocentrique du système solaire, les astronomes grecs ne remettront pas en cause le système géocentrique.
(4) Mesure perse correspondant à 5200 mètres.
(5) Sans doute inspiré du philosophe cynique Ménippe de Sinope ou Ménippe de Gadara, contemporain de Théophraste, qui vécu entre le IVème et le IIIème siècle ACN.
(6) Omar Khayyam : Quatrains, Hâfez : Ballades, poèmes choisis et présentés par Vincent Monteuil, édition bilingue, la Bibliothèque persane, Sindbad, 1983, Paris, p. 82.


έκθεση για τη Βηρυτό στο Παρίσι και συνομιλία με τον διοργανωτή της, Sabyl Ghoussoub


COMPTE RENDU DE L’EXPOSITION « C’EST BEYROUTH », INSTITUT DES CULTURES D’ISLAM, 28 MARS-23 JUILLET 2019
ARTICLE PUBLIÉ LE 24/04/2019

Par Claire Pilidjian
Présentée à l’Institut des Cultures d’Islam depuis le mois de mars, l’exposition « C’est Beyrouth » offre à ses visiteurs un regard franc sur la capitale libanaise. Le commissaire de l’exposition, Sabyl Ghoussoub, a réuni seize artistes différents, certains libanais, d’autres étrangers, afin d’y mêler leurs visions de la ville. En résulte une exposition d’une grande qualité, et si les grands thèmes attendus sont bien là – la cohabitation de différentes religions, l’ambiance festive de Beyrouth, la mémoire de la guerre ou encore les réfugiés palestiniens – les photographies et les films présentés travaillent à dépasser les clichés généralement convoqués sur la ville.

La guerre comme point de départ

Le point de départ choisi par Sabyl Ghoussoub est la guerre de juillet 2006, qui oppose durant trente-trois jours les Libanais aux forces israéliennes. Événement traumatisant pour les Libanais, la guerre survient alors que Beyrouth achève de se reconstruire des vestiges de la guerre civile. Elle marque aussi le début d’une nouvelle période pour les Beyrouthins, qui, depuis, semblent vivre dans un entre-deux entre guerre et paix. La première œuvre présentée dans l’exposition est signée par le Libanais Fouad Elkoury. Photographe durant la guerre civile entre 1975 et 1990, Fouad Elkoury s’est distingué en diversifiant les sujets de ses photographies, incluant ainsi des images de sa femme et de leur enfant ou encore des portraits de miliciens. Le projet vidéo présenté dans « C’est Beyrouth », intitulé On War and Love, rassemble des photographies de la guerre de 2006 sur lesquelles se superposent des phrases issues de son journal intime ainsi que des fragments de textes écrits pour l’occasion. C’est ainsi qu’il utilise comme métaphore de la guerre israélo-libanaise sa séparation d’avec sa compagne de l’époque : à la poésie très intime du texte font écho les paysages dévastés saisis par l’objectif de Fouad Elkoury.

Crédit photo : Fouad Elkoury, On War and Love, 2019

Beyrouth au travers des corps

On ne saurait concevoir Beyrouth sans l’omniprésence des corps masculins et féminins qui l’habitent. Le corps y a en effet toute son importante, y compris dans la futilité que cela implique – une futilité à prendre peut-être au sérieux, car certains, à l’image de Bilal Khbeiz, rappellent que « seule la futilité empêche ce pays de reprendre le jeu extrême qui, pendant trois décennies, a généré une véritable dépendance à la mort ». Le corps des Beyrouthins apparaît ainsi dans la première salle de l’exposition ; il est glorifié par le soleil, dans la série des Bronzeurs de Vianney Le Caer. On découvre sur la corniche de la ville une dizaine d’hommes au teint hâlé, occupés à fumer, faire du sport, se baigner, ou même encore prier.

Crédit photo : Vianney Le Caer, Les Bronzeurs, 2015-2016
Une certaine ironie n’est pas absente des deux autres corps masculins qui font face aux Bronzeurs : deux policiers en uniforme se tiennent près de leur moto, dans une posture et une mise en scène qui n’est pas sans évoquer des personnages de série américaine des années 1980. Symbole d’un pouvoir parfois arbitraire, les policiers photographiés par Ziad Antar dégagent une image de la virilité qui interroge le spectateur.

La religion

Thème incontournable quand il s’agit de la multiconfessionnelle Beyrouth, la religion se décline dans l’exposition sous les appareils de quatre artistes. Patrick Baez, tout d’abord, originellement photographe de guerre, a voulu donner un témoignage visuel de la communauté des Chrétiens d’Orient au Liban. L’exposition propose une série d’une dizaine de photographies de l’artiste français, mêlant maronites et orthodoxes. Il montre ainsi que bien que les Chrétiens soient aujourd’hui moins nombreux proportionnellement au Liban qu’il y a plusieurs décennies, leur présence est loin d’être remise en question ; des statues gigantesques aux processions religieuses qui animent les quartiers chrétiens de la ville, les Chrétiens d’Orient ont une présence très marquée à Beyrouth. Patrick Baz nous raconte aussi comment est vécue la foi à Beyrouth – parfois presque dans l’excès, à l’image de cette femme au corps tatoué qui affirme que les lettres tracées sur son corps l’ont été par Dieu, ou de cette colossale statue du Christ entravant la circulation dans la rue.

Crédit photo : Patrick Baz, Chrétiens du Liban, 2015-2016

Crédit photo : Patrick Baz, Chrétiens du Liban, 2015-2016
En face, A night in Beyrouth de Sirine Fattouh nous plonge dans le quotidien – matinal – du « Tabbal », l’homme qui réveille les musulmans pendant le Ramadan en frappant chaque matin à leur porte. L’artiste a suivi « al-Tabbal » durant ses tournées afin d’en réaliser un film. Ces quelques minutes révèlent toute la fragilité d’un patrimoine immatériel en déclin.
Ce patrimoine immatériel croise aussi religion et pratiques culinaires, comme le montre la photographe Nathalie Naccache, dont la série de photographies montre plusieurs familles fêtant l’Iftar (la rupture du jeun les soirs de Ramadan). Des milieux les plus aisés aux camps de réfugiés palestiniens, l’Iftar reste pour les familles musulmanes l’occasion de se réunir.

Crédit photo : Nathalie Naccache, Iftars, 2013
Enfin, l’une des œuvres les plus saisissantes de l’exposition rassemble les photographies d’Ammar Hassan. Des miliciens chiites du Hezbollah ont en effet accepté de dévoiler les nombreux tatouages couvrant leur corps devant le photographe : sourates calligraphiées, représentation d’Ali ou portrait de Hassan Nasrallah, chef spirituel du Hezbollah. On hésite ici entre une preuve de dévotion extrême envers ces figures religieuses et une forme de coquetterie – l’un des miliciens photographiés admettant que le visage d’Ali tatoué sur son épaule l’aide à séduire les filles…

Crédit photo : Ammar Hassan, Tatouages chiites, 2016

Communautés et minorités à la marge

L’exposition se poursuit dans l’espace Stephenson, second bâtiment de l’Institut des Cultures d’Islam. L’étage rassemble des photographies des groupes, communautés et minorités que Beyrouth semble laisser à la marge. On retrouve tout d’abord la jeunesse beyrouthine – cette jeunesse que l’on imagine festive et emplie d’espoir. Pourtant, c’est un tout autre visage que nous révèle l’artiste Cha Gonzalez ; en s’immisçant dans les soirées de la capitale libanaise au cœur de la nuit, elle retranscrit la tristesse et le désarroi de cette jeunesse prise dans l’entre-deux de la guerre et de la paix et qui peine à s’engager politiquement. L’alcool et la drogue apparaissent comme des échappatoires mais ne font finalement qu’exacerber cette mélancolie profonde.

Crédit photo : Cha Gonzalez, Abandon, 2018
Dans la même salle, les œuvres de Mohamad Abdouni et de Roy Dib font également place à une communauté peu visible et confrontée à des difficultés nombreuses. Queers et homosexuels doivent en effet faire face à une société qui s’ouvre peu à peu, mais qui reste encore intolérante envers la communauté LGBT+.
La seconde salle de l’étage fait place aux femmes immigrées victimes du système de kafala : venues travailler dans le domaine du care auprès de la bonne société libanaise mais aussi de milieux moins aisés qui y ont recours, ces femmes sont réduites à un état de quasi-esclavage ; leur passeport est confisqué par le « sponsor » qui les recrute, et elles bénéficient rarement de temps libre. C’est pourtant lors de ces temps précis que la photographe Myriam Boulos a souhaité immortaliser ces femmes : la série « C’est dimanche » les représente dans leurs occupations personnelles, au marché, à la prière, ou encore chez le coiffeur.

Crédit photo : Myriam Boulos, C’est dimanche, 2015

Crédit photo : Myriam Boulos, C’est dimanche, 2015
Deux artistes se sont également penchés sur la question des réfugiés palestiniens. La photographe Dalia Khamissy s’est rendue de nombreuses fois dans les camps de réfugiés palestiniens et raconte le quotidien de ces hommes, de ces femmes et de ces enfants, mêlé de souffrance et d’espoir ; car ce dernier n’est malgré tout pas absent, comme le révèle un léger sourire sur les lèvres d’une femme sur l’un des clichés, ou encore, à nouveau, la futilité d’un groupe de jeunes hommes rivés sur leurs smartphones à la recherche de nouvelles rencontres sur des applications. Le vidéaste Christophe Donner a quant à lui suivi le sculpteur palestinien Rahman Katanani : les œuvres de ce dernier, fabriquées avec des tôles récupérées dans le camp tristement célèbre de Sabra où il vit, ont été récemment exposées à Paris.
Enfin, l’exposition réserve une dernière surprise : Sabyl Ghoussoub a en effet réinvesti le hammam actuellement en restauration de l’Institut des Cultures d’Islam, et le visiteur y découvre une série de vidéos de Joana Hadjithomas et Khalil Joreige (exposés au Jeu de Paume en 2016 et réalisateurs de Je veux voir, en 2008, avec Catherine Deneuve). Ils proposent sept portraits filmés de Beyrouthins « exclus » qui se livrent à un témoignage souvent poignant sur la vie difficile qu’ils mènent dans la capitale libanaise. On croise ainsi, au détour de couloirs carrelés de bleu-vert, le profil d’un jeune homme racontant une enfance compliquée en tant que fils d’immigrés noirs, ou encore le visage muet d’un Syrien âgé incapable de mettre des mots sur son expérience.
« C’est Beyrouth », du 28 mars au 23 juillet 2019, à l’Institut des Cultures d’Islam, Paris 19e : mardi, mercredi, jeudi, samedi et dimanche de 11h à 19h et vendredi de 16h à 20h. Gratuit.

ENTRETIEN AVEC SABYL GHOUSSOUB, COMMISSAIRE DE L’EXPOSITION « C’EST BEYROUTH » PRÉSENTÉE À L’INSTITUT DES CULTURES D’ISLAM (28 MARS-28 JUILLET 2019)
ARTICLE PUBLIÉ LE 17/04/2019

Propos recueillis par Claire Pillidjian

Né à Paris, Sabyl Ghoussoub est un écrivain, chroniqueur, photographe et commissaire d’exposition franco-libanais. Entre 2012 et 2015, il a été directeur du festival du film Libanais de Beyrouth. Son premier roman Le nez juif est sorti en mars 2018 aux éditions de l’Antilope.
Il revient pour Les clés du Moyen-Orient sur l’exposition « C’est Beyrouth » présentée à l’Institut des Cultures d’Islam.

Pourquoi faire une exposition sur Beyrouth ?

D’abord des raisons personnelles, une forme d’obsession : je suis né et j’ai grandi à Paris, puis je suis parti à Beyrouth vers 18 ans. J’y ai travaillé pendant une dizaine d’années, et quand je suis revenu en France, j’avais envie d’oublier Beyrouth. Mais tout le temps où je suis resté à Paris, j’ai été obsédé par Beyrouth. J’accumulais des séries de photos, des films, je lisais tout ce qui se faisait dessus. Petit à petit s’est créée dans mon ordinateur une série de photos qui m’intriguaient, comme celles de Vianney Le Caer, ou de Patrick Baz sur les Chrétiens du Liban. Un dossier d’exposition a vu le jour, je l’ai envoyé à l’Institut qui souhaitait précisément faire quelque chose sur Beyrouth. Dans ces images-là, j’ai trouvé un Beyrouth que j’avais connu et que je n’avais jamais vu ailleurs, artistiquement parlant. Il fallait un point de départ : j’ai choisi la guerre de 2006, qui a opposé Israël et le Liban pendant 33 jours. Cette guerre survient après les quinze années de reconstruction qui ont suivi 1990, et alors qu’un élan d’espoir traversait la ville, ainsi qu’un renouveau économique. Vers mai-juin 2006, on prévoyait même un million de touristes au Liban (membres de la diaspora compris). Alors depuis cet événement, à Beyrouth, on est dans un moment ni de guerre, ni de paix.

Pourquoi appeler l’exposition « C’est Beyrouth » ?

Au début, l’exposition devait s’appeler « Chercher Beyrouth », car c’était exactement ma démarche lorsque je collectais toutes ces photographies : comprendre Beyrouth. Finalement, ce n’a pas été possible car l’Institut des Cultures d’Islam a présenté une exposition « Cherchez l’erreur » peu de temps auparavant. « C’est Beyrouth » sonnait bien : le but est d’aller au-delà des clichés que l’on entend sur Beyrouth, autant celui de la guerre, du chaos, que de la crise du Moyen-Orient, ou que de celle d’une ville où l’on ferait sans arrêt la fête. L’exposition se veut également un témoignage de Beyrouth, une façon de dire que Beyrouth peut être beaucoup de choses, mais que c’est aussi cela.

Comment est organisée l’exposition ?

J’ai abordé les œuvres davantage par affinités esthétiques que sous un angle thématique. C’est seulement à la fin, après les avoir toutes réunies, que j’ai identifié avec l’aide de Bérénice Saliou (directrice artistique de l’ICI) quatre thématiques : le corps, la religion, les communautés à la marge et les minorités ignorées. Concernant les artistes, j’avais envie de confronter des regards de photographes reconnus et émergents, et aussi d’artistes français, européens et libanais. On ne voit pas la ville de la même façon si l’on est de Beyrouth ou non. Par exemple, les bronzeurs de la corniche ont interpellé Vianney Le Caer, initialement venu photographier des réfugiés syriens. Il a été étonné par cette réalité – la proximité de ces hommes en maillot de bain, dont les corps s’exposent au soleil – tellement forte dans la ville que les artistes locaux en font abstraction. Il fallait un regard étranger à Beyrouth pour qu’elle surprenne à nouveau.
L’exposition est organisée dans les deux bâtiments de l’Institut des Cultures d’Islam. Les deux premières parties sont dans le site de l’Institut rue Léon tandis que les séries sur les communautés et les minorités sont situées dans le bâtiment de la rue Stephenson. J’ai aussi réinvesti le hammam de l’Institut, qui doit fonctionner après l’exposition. Enfin, la dernière pièce de l’exposition, « Beirutopia », se déploie sur le mur extérieur du site Stephenson. Elle cherche à montrer comment la ville est en train de se transformer. Par un jeu de mise en abyme avec des images 2D et 3D se mélangent des panneaux publicitaires de projets immobiliers qui vont être construits et des vrais scènes de vie : des scooters, des passants, etc. L’objectif est de confronter l’individu aux transformations urbaines de Beyrouth. La construction de ces immeubles passe par la destruction d’une partie du patrimoine architectural de la ville. Ces immeubles font de Beyrouth une sorte de reproduction de Dubaï, tellement leur construction est chaotique ; mais surtout, ces immeubles sont immenses et souvent vides, car la population n’a pas suffisamment d’argent pour y acheter des appartements, et les plus aisés qui en ont les moyens sont souvent issus de la diaspora et n’y passent donc que quelques semaines par an.

Pourquoi aborder la question du corps ?

L’attention au corps, au paraître, est très marquée à Beyrouth. On peut le voir dans la série des bronzeurs de Vianney Le Caer mais aussi dans les photographies des tatouages des miliciens du Hezbollah de Hassan Ammar. Dans ces dernières, les miliciens beyrouthins du Hezbollah révèlent sur leur torse les représentations de figures religieuses chiites comme Ali ou Hussein, ou encore le visage de Hassan Nasrallah, le chef de l’organisation.
Cette futilité peut presque devenir agaçante ! Mais je crois qu’elle est finalement nécessaire à la ville, car sans elle, on serait probablement capable de prendre les armes dès demain et de recommencer la guerre… Comme le note l’écrivain Bilal Khbeiz, « Seule la futilité empêche ce pays de reprendre le jeu extrême qui, pendant trois décennies, a généré une véritable dépendance à la mort ». La situation dans la région est telle que cette préoccupation pour l’apparat forme une échappatoire dans la ville. Même un milicien du Hezbollah a avoué au photographe s’être tatoué pour plaire aux filles ! C’est un peu paradoxal…

Quelle image de la jeunesse est présentée dans l’exposition ?

On a un peu abandonné le politique dans la région – ma génération, du moins, ne sait plus vraiment comment l’aborder. J’ai donc voulu présenter des gens que l’on ne voit plus, des problèmes que l’on ne sait plus traiter autrement que par l’art. La série de photographies de Cha Gonzalez montre une jeunesse libanaise très délaissée. Après avoir vécu au Liban une partie de sa jeunesse, Cha Gonzalez a étudié aux Arts Déco à Paris. Là, elle s’est aperçue d’un changement de pratiques et de comportement de ses amis beyrouthins, avec une consommation souvent abusive de drogues et d’alcool. La photographe a voulu se demander en quoi la guerre de 2006 demeurait dans l’inconscient de ces jeunes. Elle s’est donc rendue dans les soirées beyrouthines pour chercher à connaître les guerres intérieures de tous ces jeunes. En 2018, je lui ai proposé de revenir au Liban. La série qu’elle en a tirée et qui est pour partie présentée à l’Institut s’appelle « Abandon ». Je voulais parler de la jeunesse dans cette exposition, mais je ne savais pas vraiment comment, et je refusais de le faire comme on la montre en général ; je l’ai vécue, et je sais que ces images, pleines de tristesse et de mélancolie, sont très réelles. L’alcool est souvent triste à Beyrouth ! Ces images montrent bien la mélancolie que j’ai toujours ressentie au Liban dans la fête – mais aussi en Israël, où, sans doute, cet entre-deux entre la guerre et la paix est commun au Liban.

Pourquoi réunir les « femmes domestiques migrantes » et les réfugiés palestiniens dans une même salle ?

Je voulais montrer les gens qui n’ont pratiquement aucun droit dans la vie dans le pays. Les « femmes domestiques migrantes », que l’on appelle au Liban « bonnes », ou « femmes de ménage », sont soumises au régime de la Kefala : venues de pays divers – Philippines, Ethiopie, etc. – pour travailler au service de familles libanaises, ces femmes se voient confisquer leur passeport par leur « sponsor ». Mais la série ne les montre pas dans les moments les plus difficiles de leur quotidien. Au contre, on les voit le dimanche, c’est-à-dire le jour de la semaine où elles ne sont plus femmes de ménage. La photographe Myriam Boulos a suivi ces femmes quand elles se maquillent, qu’elles vont danser, qu’elles font leurs propres courses. C’est une réalité qui nous est plutôt inconnue. En revanche, le film documentaire de Maher Abi Samra « Chacun sa bonne » (présenté dans le cycle de films documentaires organisé dans le cadre de l’exposition) nous montre l’autre face de cette réalité : le réalisateur a placé sa caméra dans l’une des agences qui ramène ces jeunes femmes au Liban. Ce documentaire est particulièrement cruel, car il montre comment les familles libanaises recrutent leur employée sur des critères souvent racistes.
De même, concernant les réfugiés palestiniens, j’ai souhaité une autre approche qu’une série de photos « misérabilistes » comme on peut en trouver. La photographe Dalia Khamissy a passé beaucoup de temps auprès des réfugiés syriens. Ses images transmettent certes une grande mélancolie, mais également une note d’espoir : elles retracent les parcours des réfugiés rencontrés, souvent terribles, mais les montrent toujours emplis d’espérance. Quant à la vidéo présentée dans la salle, elle est le travail d’un artiste venu à Beyrouth pour raconter autre chose que les Palestiniens, la guerre, etc. ; mais il avoue finalement avoir été repris par la question des réfugiés palestiniens, qui font partie de Beyrouth. Il suit un artiste palestinien, Abdul Rahman Katanani, qui fabrique des sculptures à partir de tôles ondulées récupérées sur le camp de Sabra où il vit. Le film montre l’opposition entre deux discours sur l’art ; celui tenu par un écrivain, tombé amoureux des sculptures de Katanani présentées dans une galerie parisienne, et qui en vante la dimension artistique, tandis que le sculpteur palestinien insiste pour n’y voir rien d’autre qu’un acte de résistance politique.
« C’est Beyrouth », du 28 mars au 28 juillet 2019, Institut des Cultures d’Islam, 75018 Paris.
https://www.institut-cultures-islam.org/cest-beyrouth/


τέχνη του Λόγου χωρίς σύνορα, και οι Μάγοι της Περσίας και η μάνα Ινδία... γλυκά παραμύθια...


SE FONDRE COMME LE SUCRE DANS LE LAIT ; DE L’IRAN À L’INDE, LE CONTE D’UN PÉRIPLE ZOROASTRIEN
ARTICLE PUBLIÉ LE 25/04/2019

Par Florence Somer Gavage
La fascination exercée par l’Orient sur les intellectuels européens s’étend à de larges domaines. Celui des études zoroastriennes a été marqué par la figure d’un orientaliste français du XVIIIème, Abraham Hyacinthe Anquetil-Duperron (1731-1805), qui fit voile pour l’Inde le 24 février 1755 (1). Parmi ces textes rapportés, la version traditionnelle de l’arrivée des Parsis en Inde est narrée dans le Qesse-ye Sanjān, poème écrit en mètres classiques persans bahr-e hazaj. Cette "petite histoire en vers de la retraite des Perses dans l’Inde" a été présentée à Anquetil-Duperron, qui n’en questionna pas l’authenticité. Les manuscrits du "Zand Avesta", déposés le 11 mai 1762 à la bibliothèque du Roi de Paris, sont les premiers écrits d’une religion orientale archaïque autres que ceux de la Bible à tomber entre les mains de l’érudition occidentale. Leur collecte est le fruit du voyage d’Anquetil-Duperron vers les côtes de Surat. À son arrivée, en septembre 1758, il est accueilli par les Parsis auprès desquels il étudie la langue avestique (2), le pahlavi, le pāzand et les commentaires en pahlavi de l’Avesta. Il traduit également différents textes dont le Vendīdād (3), le Bundahišn (4), certaines Revāyāt, et rapporte quelques 180 manuscrits comprenant également des documents indiens en sanskrit.

Le Qesse-ye Sanjān

Les 864 lignes du Qesse-ye Sanjān (5), écrites par Bahman Kayqubad (6), narrent le récit traditionnel de l’arrivée des ancêtres des Parsis indiens ; comment ils abandonnèrent leur terre après les conquêtes arabes et la chute de l’empire perse sassanide pour finalement arriver sur la côte ouest de l’Inde, dans le Gujarat. La tradition des Parsis reprend la date du jour de Bahman, le mois de Tir, Vikram Samvat 992, soit en 936 de notre ère comme étant celle de l’arrivée des Parsis en Inde.
Le texte évoque aussi une histoire connue sous le nom d’"histoire du sucre dans le lait ". Une histoire mythique qui relate la façon dont les zoroastriens que l’on nommera les Parsis, car venant de Perse, ont convaincu le dirigeant hindou du Gujarat, Jadi Rana, de leur donner asile. Un grand prêtre a placé un morceau de sucre dans un verre de lait rempli qu’on lui tendait, signifiant que les Parsis ne prendraient pas de place, se fondraient dans les autres communautés religieuses et adouciraient la vie des Indiens.
Toujours selon le Qesse-ye Sanjān, suite à leur demande d’asile, 300 ans sont passés durant lesquels ils ont oeuvré à se plier aux cinq conditions imposées par Jadi Rana. Il leur fallait dévoiler les mystères de leur foi, quitter leurs armes, parler indien (gujarati), que leurs femmes paraissent en public vêtues comme les autochtones et célébrer leurs mariages au commencement de la nuit (7).
Les Parsis auraient alors développé différents centres religieux autour de Senjan, à Vankaner, Broach, Variav, Anklesar, Cambay et Navsari. Ils ont divisé les communautés du Gujarat en cinq groupes ou panths et, à la tête de chacun, un conseil qui administrait les affaires du groupe religieux (8).
Le Qesse-ye Sanjān est écrit en l’an 1559 soit plus de 6 siècles après le départ supposé des zoroastriens d’Iran vers l’Inde. Aux yeux des Parsis, il est le texte qui fonde légitimement leur arrivée en Inde aux alentours du 8ème/10ème siècle de notre ère mais quel crédit peut-on accorder à cet écrit tardif ?
Il n’existe pas, à ce jour, de source littéraire soit écrite de la main des Parsis, soit des Indiens qui les virent arriver ou d’un observateur extérieur. Cet écrit est uniquement basé sur une tradition orale (9). Il s’agit de prime abord, au même titre que le Šhanāmeh de Ferdowsi dont l’auteur s’inspire, d’un récit mythique (10) puisant dans le répertoire des textes moyen-perses.
Il fait référence aux textes de l’Avesta perdus et brûlés par Alexandre et aux 300 ans de tyrannie qui s’ensuivirent mais aussi à la période de désespoir et de ruine qui succéda aux conquêtes arabes et qui força les futurs Parsis à l’exil pour assurer la survie de leur religion.
Toutefois, depuis 2002, des archéologues indiens, mûs par la volonté d’évaluer le caractère historique du Qesse-ye Sanjān (11), ont découvert des preuves matérielles (daxmeh (12) et os concentrés en son centre (13),monnaies, poteries, etc. ) qui permettent de penser que des mazdéens se trouvaient sur la côté ouest de l’Inde depuis au moins le Vème ou VI ème siècle, voire peut-être le III ème siècle de notre ère, soit bien avant l’époque mentionnée par cette histoire, sous l’empire Gupta puis la dynastie Maitraka (14). Les fouilles entreprises là où les Parsis sont censés avoir accosté à la fin de leur voyage, montre que Senjan, à la différence d’aujourd’hui, était une zone portuaire et économique importante, cosmopolite, où se mêlaient Hindous, Arabes, Persans, Chinois et d’autres communautés jouant un rôle dans les échanges commerciaux est-ouest à travers l’océan indien.
En conséquence, il y a de fortes probabilités pour que les futurs Parsis ne se soient pas rendus en terre inconnue et qu’ils aient su pouvoir accoster à Senjan, qu’ils connaissaient de par les échanges commerciaux entretenus, et où ils seraient accueillis par des coreligionnaires, avec lesquels des liens avaient été maintenus depuis au moins l’époque sassanide. Nous pouvons également penser que les motifs de ce voyage n’étaient pas uniquement religieux mais également (et peut-être surtout) économiques.
Entre les communautés d’Iran et d’Inde, le commerce maritime de ces marchands, qui se sont établis à Senjan et dans les villes environnantes, pouvait continuer à se développer.
La question subséquente qui se pose est celle de déterminer si ces deux groupes possédaient les mêmes textes liturgiques et les mêmes pratiques. Les zoroastriens qui vivaient dans le Gujarat avant l’arrivée des zoroastriens d’Iran s’en sont-ils tenus à une pratique rituelle héritée de l’époque sassanide, peut être influencée par la production littéraire plus tardive ?

La recherche sous influences

L’entreprise d’Anquetil-Duperron et l’intérêt porté aux études zoroastriennes sous un angle particulier permettent d’illustrer les influences subies par la recherche et les idées ainsi que les dérives, volontaires ou non, auxquelles elles peuvent mener selon l’époque durant laquelle elles ont été étudiées et au vu des modèles auxquels on a essayé de les faire coller. Des particularités culturelles et historiques sont alors évincées et corriger ces erreurs d’orientation peut demander du temps et des efforts considérables qui pourraient être engagés dans des voies plus utiles et fructueuses.
Pour la rédaction de son ouvrage, Anquetil-Duperron a décidé de faire un choix parmi deux textes qui auraient pu, à première vue, se compléter. Le Zand-i Avesta et l’Avesta-i-Sadeh. Le choix du premier a été influencé par l’erreur de croire que le terme Zend faisait référence à la langue dans laquelle il était écrit. Ce terme désigne non pas le pazānd mais le fait qu’il s’agisse d’un commentaire, d’une exégèse à travers des gloses, des commentaires et des traductions écrit en moyen-perse. Et c’est dans cette langue moyen-perse (on parle de pehlevi lorsqu’il s’agit d’un écrit religieux en moyen-perse), que les textes nous sont parvenus dans leur entièreté. Leur étude est donc, malgré la difficulté de l’écriture, l’ambiguïté des termes et les araméogrammes qui composent cette langue, nécessaire pour comprendre la structure et la composition de cet ensemble complexe de textes. Ils sont également essentiels pour retracer l’évolution de l’interprétation donnée par les zoroastriens d’Inde et d’Iran aux rituels et cérémonies religieuses ainsi que les différences qui séparent ces versions. Dès l’origine, la connaissance des textes liturgiques mazdéens passera par le prisme des Parsis d’Inde. Une telle connexion a été plus que précieuse à l’étude des textes avestiques et leur édition par Geldner mais elle a orienté la recherche dans une voie très subjective.
L’enjeu représenté par la connaissance des textes de l’Orient au XVIIIème siècle était également au centre d’une guerre idéologique opposant les tenants de la religion catholique à ses détracteurs. Des figures comme Voltaire, Grimm ou Diderot voulaient voir en Zarathuštra, de son nom héllénisé, Zoroastre, une arme contre le christianisme alors qu’Anquetil-Duperron affirmait qu’il n’y avait rien dans l’Avesta qui puisse être utilisé contre celui-ci. Mieux, l’historicité de la figure de Zoroastre est plus que douteuse. Son nom est attesté par les sources grecques mais sa réalité historique n’est esquissée que par les plus tardives d’entre elles, dont les textes de Diogène Laërce. Sur la base de ces sources et la foi mazdéenne, cette donnée n’a pas été remise en doute par l’érudition pendant très longtemps. Elle s’est au contraire consolidée à partir de la moitié du XIXème siècle quand Martin Haug impose la conviction que Zoroastre est l’auteur direct des Gāthās. Cette historicité va être progressivement remise en question à partir des travaux purement linguistiques de Jean Kellens et Eric Pirart dans les années 80. Cette nouvelle présentation du corpus mazdéen s’est effectuée dans la foulée des travaux sur les Gāthās datant de la fin des années 50 qui présentent non plus comme le sermon d’un prophète à un groupe humain mais comme les hymnes archaïques qu’un groupe humain adresse à des divinités dans un contexte sacrificiel. Cependant, cette vision n’a pas remporté l’adhésion inconditionnelle des iranologues, loin de là. Cette approche, héritée d’un présupposé calqué sur un modèle judéo-chrétien, continue à diviser la communauté scientifique aujourd’hui (15).
Notes :
(1) Sur son récit de voyage et les textes qu’il a rapporté d’Inde, voir A. Duperron, Relation de voyage en préliminaire à la traduction du Zend Avesta, présentation, notes et bibliographie par J. Deloche, M. Filliozat et P-S.
Filliozat, Ecole française d’extrême Orient, Maisonneuve et Larose, Paris, 1997.
(2) Ainsi nommée car faisant référence aux livres de l’Avesta, le corpus divisé en deux strates distinctes : le vieil-avestique et l’avestique récent.
Langue dont le voyage jusqu’à nous reste trouble et dont le système d’écriture a été expressément et uniquement inventée pour mettre par écrit, entre le IVème et le VIème siècle, les textes de l’Avesta transmis oralement.
(3) Pazānd (ou vidāvdād), avestique : widaāwa-dāta-, pahlavi : jud-dāw-ād, loi de répudiation des démons. Il s’agit d’un des textes de l’Avesta.
(4) Pahlavi : première création. Compilation du 9ème siècle traitant de la cosmologie et la cosmographie sur base des écrits zoroastriens.
(5) Voir Kayqubad, 1964 ; Williams, 2007, 2008, 2009.
(5) Vers 1599. Voir Williams, 2007, 20-21.
(7) Williams, 2009, 89 ; Duperron,1997, 343-344.
(8) Boyce, 1979, 167.
(9) Vitalone, 1987, 5.
(10) Williams, 2009, 29.
(11) Voir Nanji, 2005 ; Nanji et Dhalla, 2007.
(12) Tour du silence.
(13) La preuve indiscutable de la présence de zoroastriens en ce lieu car les tours du silence sont un complexe mortuaire appartenant exclusivement aux pratiques de cette communauté religieuse. Voir Nanji et Dhalla, 2007, 40-42 et 50.
(14) Des monnaies à l’effigie des dirigeants de ces empires sont également présentes dans la numismatique retrouvée à Sanjan.
Voir Prabhune et Sathe, 2013.
(15) Voir notamment Stausberg, M., Vevaina, Y.S.D. (2015), The Wiley Blackwell Companion to Zoroastrianism, Wiley-Blackwell, Oxford.
Quelques références bibliographiques :
Anquetil-Duperron, A.H. (1997), Voyage en Inde 1754-1762, Relation de voyage en préliminaire à la traduction du Zend-Avesta, eds. J. Deloche, M. Filliozat, and PS Filliozat.
Ecole Française d’Extrême-Orient, Maisonneuve et Larose, Pérégrinations Asiatique, Paris.
Geldner, K.F. (1887-1896), Avesta, the sacred book of the Parsis, ed. by K. Geldner.
Prabhune, P., Sathe,V. (2013), "Catalogue of Coins from the Excavations at Sanjan, Umbargaon Taluka, District Valsad, Gujarat)", in Rajaguru, S., Deo, S.G., etc., Sanjan Excavation Report Volume 3, Early Medieval Senjan, Aspects and Analysis, BAR International Series 2509, Archeopress, Oxford.
Williams, A. (2009), The Zoroastrian Myth of Migration from Iran and Settlement in the Indian Diaspora, Text, Translation and Analysis of the 16th Qesse-ye Sanjān ‘The Story of Senjan’, Brill,Leiden.
Whitehouse, D., & Williamson, A. (1973), "Sasanian maritime trade", British Institute for Persian Studies, vol.11, Tehran, 29-49.

Λιβύη, τα τελευταία χρόνια του Καντάφυ, μέρος πρώτο


DE LA NORMALISATION DE LA POLITIQUE ÉTRANGÈRE LIBYENNE À LA RÉVOLUTION ET L’INTERVENTION DE L’OTAN ; LES DERNIÈRES ANNÉES DE MOUAMMAR KADHAFI. PARTIE 1 : LA RÉHABILITATION DE LA LIBYE DE KADHAFI SUR LA SCÈNE INTERNATIONALE : UNE PÉNITENCE DIPLOMATIQUE LABORIEUSE MAIS VITALE
ARTICLE PUBLIÉ LE 26/04/2019
Par Nicolas Klingelschmitt
La Libye, comme nous l’avons vu dans des articles précédents (1), a longtemps été isolée sur la scène internationale du fait de son soutien au terrorisme, des déclarations publiques et actes anti-occidentaux de son guide suprême et de la poursuite d’un programme nucléaire militaire. Ces éléments tendent à faire de la Jamahiriya arabe libyenne un opposant déclaré à la plupart des puissances occidentales. Cette position impose de nombreuses difficultés à la société libyenne, dont l’économie doit notamment supporter les conséquences d’embargos internationaux.
Le 31 mars 1992, en réponse à l’attentat de Lockerbie (1988) et d’UTA (1989), le Conseil de sécurité des Nations unies adopte la résolution 748. Celle-ci impose un double embargo interdisant la vente d’armes à la Libye et l’interdiction pour tout aéronef en provenance du territoire libyen d’entrer dans l’espace aérien de n’importe quel autre pays. Les Etats-Unis quant à eux engagent de nombreux embargos successifs, entre 1978 et 1996, sur l’import-export d’armes et de pétrole et sur les échanges financiers avec la Libye.
Jugeant que son pays n’est pas suffisamment soutenu par ses supposés alliés arabes, et sous pression constante des puissances occidentales, Mouammar Kadhafi reconsidère progressivement sa stratégie internationale. Alors qu’il renforce sa participation au régionalisme africain à l’aube des années 2000, il va également engager une série de véritables actes de « dédiabolisation diplomatique » parfois coûteux pour présenter la Libye sous un jour nouveau et améliorer ses relations, notamment avec les Etats-Unis et l’Europe. Le chantier est colossal tant l’implication du « chien enragé du Moyen-Orient » (2) dans le terrorisme mondial était forte dans les années 1980-1990.
La fin de la menace nucléaire libyenne comme gage d’assagissement
Dès les années 1970, malgré la ratification en 1975 du traité de non-prolifération des armes nucléaires (3) par Mouammar Kadhafi, des agents libyens tentèrent malgré tout d’acquérir l’arme nucléaire auprès de puissances la possédant, par tous les moyens possibles. En 1970, la Chine refuse la vente d’armes nucléaires à la Jamahiriya, suivie par l’Inde en 1978 (4), tandis que le Pakistan collabore durant la même décennie, dans l’ombre, avec le gouvernement du colonel. Les Libyens fournissent alors l’uranium de la bande d’Aozou en échange de l’aide de scientifiques Pakistanais au développement du programme nucléaire libyen. Pendant que le Pakistan cherche à rétablir un équilibre des forces avec son ennemi de toujours - l’Inde - qui possède l’arme atomique, la Libye cherche quant à elle la même finalité pour s’opposer à son adversaire déclaré et publiquement dénoncé, Israël.
En 2003, la Libye accepte officiellement le démantèlent de l’ensemble de ses installations nucléaires développées dès le début des années 1980 grâce à ses accords de l’époque avec le Pakistan, sans pour autant reconnaitre que son programme nucléaire avait une visée militaire (5). Les experts internationaux chargés de mettre en œuvre cet engagement s’accordent alors à estimer que l’armée libyenne aurait été en mesure d’avoir une arme nucléaire effective dans un délai inférieur à 5 ans, justifiant les craintes Européennes et Israéliennes, dont les territoires auraient été à portée de tir.
Ce renoncement total au nucléaire militaire semble avoir été pleinement respecté par le gouvernement libyen, à tel point qu’en 2008, l’Agence internationale de l’Energie atomique (AIEA) annonçait que du fait de sa « coopération et transparence » (6), la Libye ne ferait plus l’objet que d’inspections de routine, et pouvait à présent mettre en œuvre des programmes bilatéraux de développement du nucléaire civil dans le cadre de la production d’électricité et d’infrastructures de traitement de l’eau (7).
Reconnaissance de l’implication libyenne dans les attentats de Lockerbie, d’UTA et de Berlin : la pénitence diplomatique du colonel Kadhafi
Sur le plan diplomatique, la Libye confirme également au début des années 2000 son engagement dans une campagne d’amélioration de son image sur la scène géopolitique mondiale, celle-ci gardant encore les stigmates des actes terroristes auxquels le gouvernement du colonel Kadhafi avait été mêlé dans les années 1980-1990.
La reconnaissance à l’aube des années 2000 des actions perpétrées secrètement par le gouvernement de Mouammar Kadhafi dans les années 1980 est un travail laborieux ; il faut garder à l’esprit que les autorités américaines d’alors qualifiaient le leader libyen de « chien enragé du Moyen-Orient », et que les Etats-Unis venaient d’être frappés par les attentats du 11 septembre 2001.
Il est à ce moment là essentiel pour la survie de son régime que le colonel Kadhafi soit vu comme un allié des puissances occidentales alors que débute la guerre contre le terrorisme, « war on terror », lancée par le gouvernement de George W. Bush suite aux attaques d’Al Qaeda.
Si la reconnaissance d’une responsabilité dans ces attentats est un acte extrêmement coûteux pour le régime, c’est une étape indispensable à la levée des sanctions internationales qui pèsent sur le pays. Cette reconnaissance s’accompagne de compensations financières pour les familles de chaque victime des trois attentats, qui figurent parmi les plus marquants de cette décennie 1980 pour la communauté internationale.
L’attentat le plus médiatisé de l’époque est le « Lockerbie Bombing », aussi connu sous le nom de vol 103 de la Pan American Airlines. Il coûta la vie aux 259 passagers et membres d’équipages du vol Londres-New York alors que l’appareil explose en plein vol, au-dessus de la bourgade de Lockerbie, en Ecosse, dont 11 habitants meurent lorsque les débris de l’appareil s’écrasent sur la ville.
La Libye a longtemps nié toute implication dans cette tragédie aérienne malgré les éléments de l’enquête montrant clairement que des agents libyens ont fourni la bombe qui fit exploser l’appareil. Dès 1991, un mandat d’arrêt international est délivré contre deux ressortissants libyens. Le gouvernement libyen n’accepte qu’en 1999 de livrer à une cour spéciale ces deux agents, recherchés internationalement. Ils seront jugés selon la loi écossaise par une cour de justice exceptionnellement mise en place aux Pays Bas à cette occasion. La présence de cette cour dans un pays neutre, les Pays Bas, correspond à une condition posée par Mouammar Kadhafi pour que les deux agents soient livrés à une juridiction non libyenne. Hautement médiatisé, leur procès se conclura par la condamnation, le 31 janvier 2001, d’Abdelbaset al-Megrahi (8), tandis que Lamin Khalifah Fhimah, le second suspect, est acquitté.
Les compensations aux familles des victimes comme condition à la levée des sanctions
Le gouvernement libyen acceptera de verser environ 10 millions de dollars d’indemnités aux proches de chacune des victimes du drame en échange d’une levée des sanctions internationales prises à travers la résolution 748 du Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations unies portant à la fois sur la vente d’armes à la Libye et sur l’interdiction pour tout aéronef en provenance de Libye de traverser l’espace aérien d’un Etat membre de l’ONU. Au total, la Libye versera 2,7 milliards de dollars entre août 2003 et août 2008 pour honorer ses engagements.
En septembre 2003, la Grande-Bretagne, satisfaite que les blessures de l’attentat de Lockerbie cicatrisent enfin et militant pour que la Libye rejoigne les acteurs de la lutte contre l’islamisme radical, propose au Conseil de sécurité une résolution prévoyant la levée des sanctions imposées par la résolution 748. La France menace de poser son véto sur cette résolution, tant qu’une solution équivalente n’est pas trouvée pour que justice soit rendue aux victimes d’un autre attentat aérien qui avait eu lieu un an à peine après Lockerbie.
Cet attentat est celui du vol UTA 772, qui reliait Brazzaville à Paris via N’Djamena (9) et qui explosa le 19 septembre 1989 en plein vol au-dessus du désert nigérian, causant la mort de ses 170 passagers et membres d’équipage. Dès 1990, six suspects libyens parmi lesquels le beau-frère du Colonel Kadhafi et numéro deux des services secrets libyens, sont visés par un mandat d’arrêt international lancé par la justice française. Ils sont condamnés par contumace le 10 mars 1999, et la Libye ne remboursera dans un premier temps qu’un total de 32 millions d’euros de dommages et intérêts pour les familles des victimes, une somme jugée nettement insuffisante par celles-ci (10).
Face à la menace française d’un refus de levée des sanctions à son encontre, la Libye dépêche alors à Paris le fils de Mouammar Kadhafi, Seif Al Islam, pour accélérer des négociations en cours depuis près de 2 ans (11), et finalement signer un accord plus équitable avec les familles des victimes, prévoyant une compensation financière d’un million de dollars par victime.
Par le biais de la résolution 1506 adoptée par le Conseil de sécurité le 12 septembre 2003, les sanctions de la résolution 748 de 1992 (portant sur la vente d’armes et le trafic aérien depuis et vers la Libye) et de la résolution 883 de 1993 (prévoyant le gel des finances libyennes détenues à l’étranger) sont levées, et desserrent l’étau économique et diplomatique dans lequel est prise la société libyenne depuis près de 10 ans.
En septembre 2004, soit un an après cette nouvelle résolution, la Libye reconnait sa responsabilité dans un troisième et dernier attentat, moins meurtrier, mais symptomatique des dynamiques violentes de l’époque et dont la reconnaissance avait une symbolique forte. En avril 1986, une bombe explosait dans la boite de nuit « La Belle » à Berlin, faisant 3 morts et plus de 200 blessés, principalement des militaires américains. Les implications libyennes dans la coordination de l’attaque seront établies 15 ans plus tard, en novembre 2001, lors du jugement (12). Cette implication libyenne ne faisait en réalité aucun doute, les services secrets d’Allemagne de l’Ouest ayant intercepté quelques minutes après l’explosion de la bombe un message envoyé depuis Berlin-Est par un représentant libyen, destiné au Colonel Kadhafi et l’informant du « succès de l’opération » (13).
Cet attentat faisait à l’époque suite à plusieurs autres actions perpétrées par la Libye quelques jours avant celui-ci ; le 25 mars 1986, l’armée libyenne tirait plusieurs missiles sol-air en direction d’avions américains sans parvenir à causer de dégâts (14). Le 2 avril, dans un vol Boeing 727 opéré par la Trans World Airlines reliant Los Angeles et Le Caire, une bombe explose pendant que l’appareil est au-dessus de la Grèce. Ce dernier parvient à se poser en urgence à Athènes, mais l’explosion entrainera tout de même la mort de 4 passagers américains et fera 7 blessés. Le même jour, un attentat est déjoué contre le consulat américain à Paris ; parmi les suspects arrêtés par la police française, on comptera deux diplomates libyens.
Ces actions libyennes à l’encontre de ressortissants civils et militaires américains auront les répercussions qu’on leur connaît (15) pour le régime de Mouammar Kadhafi, et la reconnaissance formelle d’une responsabilité pour l’attentat de Berlin, près de 20 ans plus tard, représente là encore un symbole important : la clôture d’un chapitre de plusieurs années de haine et de destruction.
Alors que les Américains s’engagent au bruit du pas des rangers dans une véritable poudrière au Moyen-Orient au début des années 2000, ils peuvent à nouveau envisager des relations diplomatiques, et a fortiori économiques, avec la Jamahiriya arabe libyenne du colonel Kadhafi.
Ce revirement progressif de la Libye vis-à-vis des puissances occidentales est initié par de nombreuses discussions bilatérales. D’une part, le Premier ministre Britannique Mike O’Brien rencontre, en août 2002 à Syrte, le Colonel Kadhafi dans une entrevue de près de trois heures, au cours de laquelle furent notamment abordés les thèmes de l’attentat de Lockerbie et la potentielle signature, à l’époque, d’un protocole sur les armes chimiques et nucléaires, qui sera finalement signé par le gouvernement libyen, autorisant l’agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) à mener des inspections et lançant le démantèlement du programme nucléaire militaire de la Jamahiriya. D’autre part, les Etats-Unis, sous l’administration Bush fils, considèrent la reprise de relation avec la Libye comme hautement bénéfique pour l’économie américaine, notamment dans le domaine des énergies fossiles. Dès janvier 2002, les Etats-Unis acceptent de prendre part à des négociations avec Tripoli pour envisager la reprise d’un dialogue après plusieurs années de rupture diplomatique, exigeant de nombreux efforts du gouvernement de Mouammar Kadhafi, mais s’assurant également que les grandes entreprises pétrolières américaines puissent réinvestir rapidement dans l’or noir libyen (16).
Lire la partie 2
Notes :
(1) 
Du panarabisme décevant au panafricanisme déférent, l’évolution de la politique régionale de Mouammar Kadhafi (1/3)
Du panarabisme décevant au panafricanisme déférent, l’évolution de la politique régionale de Mouammar Kadhafi (2/3)
Du panarabisme décevant au panafricanisme déférent, l’évolution de la politique régionale de Mouammar Kadhafi (3/3)
(2) Expression utilisée par Ronald Reagan pour désigner le Colonel Mouammar Kadhafi.
(3) Son prédécesseur à la tête du pays, le Roi Idris, que Mouammar Kadhafi renverse en 1969, avait signé le traité dès Juillet 1968 et le colonel a confirmé la position officielle de la Libye vis-à-vis de la non-prolifération en procédant à la ratification du même traité international. Il ne s’agissait manifestement que d’une position de façade.
(4) Nuclear Threat Initiative (NTI), « History of Libya’s nuclear program » 
https://www.nti.org/learn/countries/libya/nuclear/
(5) Dans un discours du lundi 22 Septembre 2008, le directeur de l’Agence Internationale de l’Energie Atomique de l’époque, Mohamed El-Barabei, annonce que la Libye reconnait l’existence d’un programme nucléaire mis en œuvre entre 1980 et 2003 mais précise ne jamais avoir voulu mettre au point une arme nucléaire.
(6) Déclaration du Conseil des gouverneurs de l’AIEA, 22 Septembre 2008.
(7) Ibid.
(8) Condamné à la prison à vie d’après le verdict de la cour pour l’assassinat des 270 victimes de l’attentat, il purgera sa peine dans une prison du Nord de l’Ecosse jusqu’en 2009 avant d’être libéré – car atteint d’un cancer de la prostate - et de rentrer en Libye où il meurt en mai 2012.
(9) BBC News, « Libya signs UTA bombing payout », article du 9 janvier 2004 
http://news.bbc.co.uk/2/hi/africa/3380889.stm
(10) Les familles des victimes, parmi lesquelles 54 Français, sont notamment représentées par l’association SOS Attentats qui avait déposé une plainte contre le colonel Kadhafi pour « complicité d’homicide volontaire » suite à l’attentat. C’était, à l’époque, l’attentat le plus meurtrier perpétré à l’encontre de ressortissants Français.
(11) Les négociations entre la fondation Kadhafi dirigée par Saïf al Islam et l’association des Familles de l’Attentat du DC10 d’UTA présidée par Guillaume Denoix de Saint Marc avaient débuté en Février 2002.
(12) MILLOT Lorraine, « La Libye porte « au minimum une coresponsabilité considérable » dans l’attentat contre la discothèque La Belle », Libération du 14 Novembre 2001 
https://www.liberation.fr/planete/2001/11/14/attentat-de-berlin-la-libye-epinglee_383864
(13) DUFOUR Jean-Louis, « L’attentat de Berlin et le raid américain contre Tripoli (1986) in « Un siècle de crises internationales », P220.
(14) (Ibid.) La riposte américaine avait cependant entrainé la destruction de quatre vedettes et des radars d’une batterie de missiles côté libyen.
(15) Voir à ce sujet 
https://www.lesclesdumoyenorient.com/Du-panarabisme-decevant-au-panafricanisme-deferent-l-evolution-de-la-politique-2800.html « Les représailles américaines seront expéditives : dans la nuit du 14 au 15 avril 1986, soit 10 jours après l’attentat de Berlin, l’opération Eldorado Canyon est déclenchée par l’US Air Force, et 45 appareils pénètrent l’espace aérien libyen. 60 tonnes de bombes sont larguées en 20 minutes sur un aérodrome, une académie navale, plusieurs casernes, et des batteries de défense anti-aérienne ».
(16) ZOUBIR Yahia H., “Libya in US foreign policy : from rogue state to good fellow ?”.
Bibliographie :
• BBC News, « Libya signs UTA bombing payout », Article du 9 Janvier 2004 
http://news.bbc.co.uk/2/hi/africa/3380889.stm
• DUFOUR Jean-Louis, « Un siècle de crises internationales, de Pékin (1900) au Caucase (2008 »), André Versaille éditeur, 2009, 316 pages
• MILLOT Lorraine, « Attentat de Berlin : la Libye épinglée », Libération du 14 Novembre 2001
https://www.liberation.fr/planete/2001/11/14/attentat-de-berlin-la-libye-epinglee_383864
• Agence Internationale de l’Energie Atomique, articles et communiqués du site web officiel
• Association Française des Victimes de Terrorisme (AFVT), « Niger-Tenere- Attentat contre le DC10 d’UTA », Article du 19 Septembre 1989
https://www.afvt.org/niger-tenere-attent-contre-le-dc-10-duta/
• Nuclear Threat Initiative (NTI), « History of Libya’s nuclear program », produit par le James Martin Center for Nonproliferation Studies at the Middlebury Institute of International Studies at Monterey.
https://www.nti.org/learn/countries/libya/nuclear/
• ZOUBIR Yahia H. , “Libya in US foreign policy : from rogue state to good fellow ?”, in Third World Quarterly, Vol 23, No.1, Février 2002, PP 31-53, Taylor & Francis edition.