Perceptions des femmes et mécanismes contre la violence domestique en Alexandrie
Article proposé et préparé par le Secrétariat de la Fondation des Femmes de l’Euro-Méditerranée
Date de publication: 28 juin 2019
Introduction
Cet article explore le niveau de conscience des femmes par rapport aux formes de violence auxquelles elles sont exposées, leurs causes et leurs impacts, ainsi que les connaissances des femmes sur les mécanismes de protection existants. Il vise à mettre la lumières sur les moyens d’assurer des changements effectifs en matière de violence domestique tels que l’implication des hommes, des médias et des personnalités religieuses dans la lutte contre la violence domestique.
Selon l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC), 87 000 femmes ont été tuées dans le monde en 2017, 58 % d’entre elles ont été tuées par leurs partenaires intimes ou par membres de leurs familles. Chaque heure 6 femmes sont tuées par des personnes qu’elles connaissent [1]. L’Égypte occupe la 134ème place sur le classement du Forum économique mondial par rapport à l’écart entre les sexes au niveau mondial, ce qui la place parmi les 10 pays qui affichent les plus fortes inégalités femmes-hommes [2].
Cet article s’appuie sur un diagnostic produit par Women and Development Association (Association femmes et développement), qui a été chef de file d’un pôle local d’acteurs de l’égalité femmes-hommes en Egypte. Le diagnostic se focalise sur trois quartiers du gouvernorat d’Alexandrie : Hay al-Gharb, Hay al-Sharq, et Hay al-Montzah. Tous les trois quartiers se caractérisent par des hautes densités de population, de nombreux cas de violence domestique portées aux tribunaux, ainsi que par un discours religieux radicalisé particulièrement sur les questions relatives à l’égalité femmes-hommes et le rôle des femmes. Le diagnostic a été produit en collaboration avec la Fondation des Femmes de l’Euro-Méditerranée (FFEM) et l’Institut Européen de la Méditerranée (IEMed). Pour réaliser ce diagnostic, Women and Development Association a suivi une méthodologie descriptive scrutant les caractéristiques relatives à la violence domestique en Egypte, et menant des entretiens approfondis et une enquête auprès de 370 femmes provenant des divers groupes et milieux: fonctionnaires publiques, militantes sociales, avocates, éducatrices, femmes avec des conflits familiers ou mères d’enfants en danger.
En effet, la FFEM a pour vocation d’analyser les réalités des femmes au niveau local et les politiques publiques qui les concernent à l’aide de consultations et de dialogues de proximité. Pour ce faire, la FFEM met en place annuellement des pôles locaux d’acteurs de l’égalité femmes-hommes en Algérie, Égypte, Jordanie, Liban, Maroc, Palestine et Tunisie (1 par pays). Leur mission est de mobiliser les acteurs de l’égalité au moyen d’activités de collectes de données, de consultations et d’échanges d’expériences dans le but d’analyser des thèmes liés aux droits des femmes et de faire un suivi de l’effectivité des politiques publiques dans ces domaines avec une approche participative.
Toutes les informations liées aux résultats des pôles locaux sont disponibles sur www.euromedwomen.foundation, et font l’objet d’une vaste diffusion dans la région euro-méditerranéenne.
Perceptions des femmes par rapport à la violence domestique en Alexandrie
En Égypte, la violence basée sur le genre (VBG) se perpétue sans que des recherches profondes et adéquates soient menées. Les campagnes gouvernementales à grande échelle pour lutter contre la violence domestique ne sont encore présentes. Les différentes formes de VBG sont intrinsèquement liées aux relations sociales construites entre hommes et femmes dans la société égyptienne. En même temps, la perception que les femmes ont de ces diverses formes de violence domestique dont elles sont victimes est encore dans une phase embryonnaire [3] .
Selon l’enquête susmentionnée, 40% des femmes interrogées ont déclaré avoir été victimes de violence au sein de leurs familles, 50% ont affirmé l’avoir été dans quelques occasions, et seulement 10% ont déclaré ne pas avoir été victimes de VBG. Cependant, ces mêmes femmes ont réalisé qu’elles aussi avaient été victimes de la violence domestique, après avoir réfléchi aux questions détaillées de l’enquête. Ceci montre en fait à quel point les femmes ne sont pas conscientes de la violence sexiste [4].
La majorité des 370 enquêtées par Women and Development Association ont indiqué que la forme de violence domestique la plus courante est la violence psychologique suivi par la violence physique, verbale, sociale et sexuelle. Contrairement aux études précédentes, l’ensemble des femmes interrogées a rejeté toute justification relative à la violence qu’elles souffrent [5].
Par rapport aux causes de la violence domestique, les femmes interrogées ont estimé que le recours à la violence pour élever les enfants est souvent une des causes principales de la violence parmi les hommes. La violence exercée par le père contre la mère en présence des enfants est l’une des principales causes de la violence parmi les enfants de sexe masculin à mesure qu’ils grandissent, alors que les enfants de sexe féminin grandissent en acceptant ce type de comportement violent comme un comportement normalisé [6]. Le faible niveau d’éducation, la prévalence des coutumes et des traditions inégalitaires au sein d’une société qui discrimine les femmes ainsi que la méconnaissance des femmes de leurs droits et la dépendance économique ont été aussi parmi les principales causes de la violence domestique selon les interrogées [7]. Toutefois, de nombreux facteurs révèlent que le processus d’émancipation économique des femmes et leur insertion sur le marché du travail est un élément qui a une incidence sur la diminution de la violence domestique [8].
Quant à la façon dont les femmes victimes de violence domestique réagissent, une femme sur trois déclare que la plus courante réaction consisterait à informer quelqu’un de son entourage pour leur demander de l’aide. Cependant, 20% des femmes ont admet que leur réaction se limiterait à rien faire [9].
Interrogées sur les conséquences de la violence domestique, les femmes ont souligné la privation de l’autonomie financière en raison du blocage imposé par leurs maris. Avec la majorité des femmes maltraitées étant illettrées, elles ne sont pas qualifiées pour entrer sur le marché du travail. Si elles parviennent effectivement à trouver du travail, ceux-ci sont souvent marginaux et sans aucune protection légale. Il arrive aussi que ces femmes acceptent de travailler par peur de perdre leur gagne-pain, bien qu’elles soient soumises à autres formes de violence sur le lieu de travail, notamment le harcèlement sexuel. D’autres effets de la VBG comprennent notamment l’impact psychologique et physique sur les victimes [10].
Mécanismes de lutte contre la violence à l’égard des femmes
Dans les trois quartiers d’Alexandrie analysés par le diagnostic, les femmes interrogées par Women and Development Association ont peu de références concernant les mécanismes de protection juridique et psychologique disponibles, notamment pour les victimes de la violence domestique [11]. Il est remarquable de noter que la majorité des interrogées ignoraient l’existence du Département pour la lutte contre la violence basée sur le genre crée par le ministère de l’intérieur en 2013. Ce manque de connaissance clarifie l’urgent besoin de mettre en place des mécanismes innovateurs pour fournir des services d’information répondant aux besoins des femmes victimes de violence.
Au niveau institutionnel, il existe peu de matériel pédagogique sur l’égalité femmes hommes et la nécessité d’un respect mutuel en Egypte. Ce matériel ne comprend pas de concepts spécifiques et clairs pour mettre fin à la VBG. De plus, le matériel est souvent culturellement encadré et n’est pas basé sur les droits humains. D’autre part, en Egypte, Il n’y a que 8 centres d’accueil pour femmes victimes de violence affiliées et sous la supervision du ministère de la solidarité sociale. Cependant, leurs efforts sont insuffisants et ne tiennent pas compte de la culture de la discrimination et de la violence à l’égard des femmes. De plus, les employés de ces centres d’accueil ne sont pas bien formé-e-s aux questions liées au genre et à la VBG [12].
Sur le plan légal, les législateurs ont le rôle le plus important dans la lutte contre la VBG car ils sont chargés de promulguer et de modifier les lois, néanmoins la plupart des textes législatives ne tiennent pas compte de l’opinion des organisations de la société civile, qui essaie de transmettre les points de vue des victimes. Ainsi, les lois visant à protéger les femmes victimes de violence ne répondent pas souvent à leurs besoins. Par ailleurs, le recours à la loi en cas de violence est souvent entravé par des difficultés procédurales et financières rendant l’accès à la justice encore plus difficile pour les femmes victimes de violence [13].
Conclusion : pistes d’action pour le futur
Au vu de la faible sensibilisation sur les sujets liés à la violence domestique en Egypte, il est indispensable de stimuler une citoyenneté active et consciente de sa responsabilité individuelle et collective. Dans ce sens, l’éducation et les médias se présentent comme des outils avec un fort potentiel pour achever des changements concrets. [14]
Afin d’améliorer la situation, toutes les acteurs, entités et personnes impliquées dans le diagnostic mené par l’association Women and Development en 2018, ont proposé plusieurs pistes d’action pour le futur :
– Sensibiliser les différentes administrations publiques et gouvernementales à l’importance de s’impliquer dans la lutte contre les violences basées sur le genre à travers des mécanismes légaux telles qu’une loi qui protège les femmes tant dans la sphère publique comme dans la sphère privé, la modification des lois sur le statut personnel afin de rétablir la justice et l’égalité entre tous les membres de la famille, ou l’accord sur une attention spécialisé pour les victimes des violences;
– Impliquer le personnel juridique, psychologique, social et policier dans une culture égalitaire renforçant leurs capacités comme prestataires de services aux femmes victimes de VBG, et leur aidant à traiter les cas de violence envers les femmes à partir d’une approche fondée sur les droits humains ;
– Mettre en place des programmes pour autonomiser les femmes et promouvoir leurs droits aux niveaux social et économique, aussi bien que pour faciliter leur accès aux sources d’information sur les mécanismes en place dans la lutte contre la VBG ;
– Encourager les médias à changer l’image stéréotypée des femmes tout en mettant l’accent sur la couverture des cas de violence contre les femmes comme phénomène social ;
– Favoriser la mobilisation et l’implication des personnalités religieuses dans la lutte contre la VBG étant donné leur pouvoir d’influence sur la construction des conceptions sociales et le rejet des formes de violence à l’égard des femmes.
Références
[1] Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC), Global study on homicide Gender-related killing of women and girls 2018, p.10. https://www.unodc.org/documents/data-and-analysis/GSH2018/GSH18_Gender-related_killing_of_women_and_girls.pdf
[2] WOMEN AND DEVELOPMENT ASSOCIATION, Field diagnosis: Women’s perceptions and local mobilisations against domestic violence in Alexandria, FFEM and IEMed, 2018, p. 10, https://www.euromedwomen.foundation/pg/en/documents/view/8712/field-diagnosis-womens-perceptions-and-local-mobilisations-against-domestic-violence-in-alexandria
[3] WOMEN AND DEVELOPMENT ASSOCIATION. Op. cit., p.5.
[4] WOMEN AND DEVELOPMENT ASSOCIATION. Op. cit., p.16.
[5] WOMEN AND DEVELOPMENT ASSOCIATION. Op. cit., p.17.
[6] WOMEN AND DEVELOPMENT ASSOCIATION. Op. cit., p. 37.
[7] WOMEN AND DEVELOPMENT ASSOCIATION. Op. cit., p. 17.
[8] WOMEN AND DEVELOPMENT ASSOCIATION. Op. cit., p. 38.
[9] WOMEN AND DEVELOPMENT ASSOCIATION. Op. cit., p. 23.
[10] WOMEN AND DEVELOPMENT ASSOCIATION. Op. cit., p. 38.
[11] WOMEN AND DEVELOPMENT ASSOCIATION. Op. cit., p. 24.
[12] WOMEN AND DEVELOPMENT ASSOCIATION. Op. cit., p. 34.
[13] WOMEN AND DEVELOPMENT ASSOCIATION. Op. cit., p. 25.
[14] Ibid.
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