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ENTRETIEN AVEC FANNY CAROFF À L’OCCASION DE LA PARUTION DE SON OUVRAGE, L’OST DES SARRASINS. LES MUSULMANS DANS L’ICONOGRAPHIE MÉDIÉVALE
ARTICLE PUBLIÉ LE 07/03/2017
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Fanny Caroff est docteur en Histoire. Elle a soutenu sa thèse en 2002 à Paris I sur l’iconographie des croisades et du monde musulman dans les manuscrits enluminés du Moyen Age occidental.
Spécialisée dans les recherches iconographiques, elle a notamment travaillé à la Bibliothèque Mazarine de Paris, pour l’Institut de Recherches et d’Histoire des Textes.
Après avoir vécu et enseigné sur le continent africain pendant plusieurs années, elle travaille actuellement en France auprès de centres de documentation et poursuit ses travaux de recherche.
Elle a publié L’Ost des Sarrasins. Les Musulmans dans l’iconographie médiévale (France - Flandre XIIIe- XVe siècle), aux Editions du Léopard d’or (novembre 2016), et a également participé au dictionnaire Les Barbares, dirigé par B. Dumézil, pour les notices "Mahomet" et "Musulman" (PUF, septembre 2016).
Spécialisée dans les recherches iconographiques, elle a notamment travaillé à la Bibliothèque Mazarine de Paris, pour l’Institut de Recherches et d’Histoire des Textes.
Après avoir vécu et enseigné sur le continent africain pendant plusieurs années, elle travaille actuellement en France auprès de centres de documentation et poursuit ses travaux de recherche.
Elle a publié L’Ost des Sarrasins. Les Musulmans dans l’iconographie médiévale (France - Flandre XIIIe- XVe siècle), aux Editions du Léopard d’or (novembre 2016), et a également participé au dictionnaire Les Barbares, dirigé par B. Dumézil, pour les notices "Mahomet" et "Musulman" (PUF, septembre 2016).
Quel est l’objectif de votre ouvrage ?
Cet ouvrage, L’Ost des Sarrasins. Les Musulmans dans l’iconographie médiévale (France - Flandre XIIIe- XVe siècle), publié aux Editions du Léopard d’or (novembre 2016) est la synthèse du doctorat que j’ai soutenu en 2002 à la Sorbonne. A l’issue de la soutenance, Michel Pastoureau (l’un de mes deux directeurs de thèse avec Michel Balard) m’a encouragée à transformer le volumineux ouvrage universitaire en un livre plus accessible. J’ai attendu une dizaine d’années pour entreprendre ce travail de relecture, de réécriture, au milieu de bien d’autres activités professionnelles. En outre, il a fallu que je poursuive l’investigation bibliographique. Je dois dire que les divers développements de l’actualité internationale ont stimulé mon envie de publier ce travail sur l’altérité. Et ma passion pour le sujet est bien entendu intacte !
La problématique générale de l’ouvrage peut se résumer ainsi : en quoi les productions artistiques du Moyen Age occidental – en particulier les enluminures consacrées aux croisades – permettent-elles d’appréhender les perceptions envers le monde musulman ? J’ai ainsi enquêté sur les mises en scène des épisodes historiques où sont figurés des personnages musulmans, avec en filigrane l’idée d’une propagande favorable aux croisades, sur l’attribution de figures et d’emblèmes, sur les portraits physiques, les descriptions vestimentaires et sur l’évolution « orientale » des représentations des musulmans.
L’un des objectifs méthodologiques de ce livre est bien sûr de valoriser la richesse documentaire d’une source, l’enluminure, encore trop souvent sous-exploitée. Il s’agit bien d’une enquête iconographique : l’image est utilisée comme un document d’histoire.
Quel corpus utilisez-vous dans votre analyse ?
La constitution d’un corpus documentaire cohérent est effectivement un point essentiel pour asseoir la validité de l’analyse.
J’ai procédé, dans le cadre de ma thèse et donc pour ce livre, à un dépouillement systématique : recueillir toutes les enluminures mettant en scène des personnages musulmans dans le contexte historique des croisades, extraites de textes historiques réalisés dans une même aire culturelle : la France et la Flandre. Le corpus s’est ainsi construit à partir d’environ 600 enluminures, ce qui constitue une très belle « moisson », à laquelle on peut ajouter des images « secondaires » pour assurer mes comparaisons (images de croisade sans musulmans, manuscrits espagnols, italiens, germaniques… ou encore récits de voyage). J’ai travaillé aussi bien dans les fonds parisiens, qu’européens… Ayant été formée ou accompagnée par des chercheurs de la BnF et de l’IRHT (Marie-Thérèse Gousset ou Claudia Rabel), j’ai réalisé pour chacun des manuscrits des études codicologiques, textuelles, stylistiques… Toutes les œuvres rassemblées sont donc bien datées et documentées. J’ai beaucoup investi cette phase du travail afin de pouvoir justifier le caractère « iconographique » de mon enquête.
J’ai procédé, dans le cadre de ma thèse et donc pour ce livre, à un dépouillement systématique : recueillir toutes les enluminures mettant en scène des personnages musulmans dans le contexte historique des croisades, extraites de textes historiques réalisés dans une même aire culturelle : la France et la Flandre. Le corpus s’est ainsi construit à partir d’environ 600 enluminures, ce qui constitue une très belle « moisson », à laquelle on peut ajouter des images « secondaires » pour assurer mes comparaisons (images de croisade sans musulmans, manuscrits espagnols, italiens, germaniques… ou encore récits de voyage). J’ai travaillé aussi bien dans les fonds parisiens, qu’européens… Ayant été formée ou accompagnée par des chercheurs de la BnF et de l’IRHT (Marie-Thérèse Gousset ou Claudia Rabel), j’ai réalisé pour chacun des manuscrits des études codicologiques, textuelles, stylistiques… Toutes les œuvres rassemblées sont donc bien datées et documentées. J’ai beaucoup investi cette phase du travail afin de pouvoir justifier le caractère « iconographique » de mon enquête.
Sur quels critères avez-vous choisi vos illustrations pour le catalogue ?
Pour la publication de ce livre aux éditions du Léopard d’or, j’ai eu la chance de pouvoir intégrer un généreux catalogue d’images en couleur. J’ai dû choisir 70 enluminures sur les 600 qui m’ont permis de construire mon travail. J’ai sélectionné des représentations pouvant « illustrer » chacun des points de mon enquête et qui soient représentatives de la variété de la production historique française et flamande, entre le XIIIe et le XVe siècles, période au cours de laquelle ce genre littéraire est florissant. Les premières images du corpus datent des croisades de saint Louis, vers 1250, alors que les dernières sont contemporaines de la prise d’Otrante par les Turcs en 1480. Ce qui a été très heureux, c’est que la maison d’édition a accepté que je propose un catalogue d’enluminures commentées : j’ai pu restituer une « unité » aux images (texte, contexte, mise en scène, style…) et donc une parole aux enlumineurs, producteurs médiévaux de ces représentations de musulmans. Ce souci porté aux conditions de travail des artistes, modestes ou virtuoses, connus ou anonymes, explique en partie le choix du titre de ce livre. « L’ost des sarrasins » : c’est une indication marginale que reçoivent certains artistes pour mettre en scène des musulmans, comme sur l’enluminure en grisaille que j’ai choisi comme couverture…
Pouvez-vous dresser un tableau des relations entre musulmans et chrétiens au Moyen Age ?
Répondre à cette question est évidemment délicat en quelques lignes. On se demande souvent si l’on connaît mieux les musulmans au cours du Moyen Age et si les images proposées sont plus positives… On ne peut pas avancer de réponses simplistes. L’expression de l’adversité et de l’altérité évolue au cours du Moyen Age. De manière synthétique, on peut dire, d’une part que les musulmans sont toujours représentés comme des adversaires : c’est-à-dire qu’ils sont toujours différents des chrétiens, les héros figurés dans les images. Toutefois la valeur « pédagogique » des images de croisade évolue entre le XIIIe et le XVe siècle et avec elle l’estimation de la dangerosité de l’adversaire car la rivalité des combattants s’aggrave essentiellement à la fin du Moyen Age, à l’heure de l’avancée ottomane : les artistes réactualisent les épisodes de croisade pour nourrir de nouveaux projets. La récupération idéologique des récits illustrés est évidente… Mais attention : l’adversité religieuse ne doit pas être surévaluée. D’autre part, la notion d’altérité évolue également en fonction des savoirs et des intentions des enlumineurs : tous ne profitent pas des mêmes modèles et n’attachent pas la même importance à la caractérisation des personnages musulmans ! Le vocabulaire iconographique qui formule l’altérité évolue, notamment à travers l’image de l’Arabe puis du Turc ottoman. L’inflexion majeure se produit dans le courant du XVe siècle quand le musulman est décrit comme plus opulent, sous l’influence conjointe des modes ottomanes, du goût croissant pour l’Orient et de la création d’un exotisme de mode dans les cours princières : le musulman est donc bien « orientalisé » à la fin du Moyen Age et devient le « modèle » de l’altérité pour toutes les représentations d’étranger. Ce processus est passionnant à étudier. Notons, pour conclure, qu’il n’y a aucune amélioration significative à l’égard des personnages musulmans, contrairement à une idée répandue. En effet, la représentation du monde musulman oscille entre des appréciations apparemment contradictoires : elle corrobore, en tout cas, une perception assez moderne de la relation à l’Autre : la reconnaissance de son esthétique et la séduction de sa dimension exotique ne signifie pas son acceptation ! On comprend aisément que ce sujet de recherche, passionnant, épouse souvent des problématiques de notre actualité… En outre, il m’a semblé indispensable de situer la représentation des musulmans par rapport à deux autres « étrangers » de l’Occident chrétien, à savoir les juifs et les Africains.
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