mardi 25 octobre 2016

Ο μεσαιωνικός χριστιανισμός στο Κατάρ και γύρω από αυτό. 6ος - 9ος αιώνας

LES PÈRES SYRIAQUES DU BĒṮ QAṬRAYĒ

Autour des auteurs syriaques nommés Qaṭraya, l’ouvrage collectif dirigé par Mario Kozah, Abdulrahim Abu-Husayn, Saif Shaheen Al-Murikhi et Haya Al-Thani (The Syriac Writers of Qatar in the Seventh Century, Gorgias Press, Piscataway) dessine le tableau d’une région au christianisme dynamique, au plus tard depuis le tournant des VIeet VIIe siècles et jusqu’aux VIIIe-IXe siècles de notre ère.
Le résultat est une enquête très stimulante qui suscite d’importantes questions et réussit à attirer l’attention sur une région trop longtemps en marge des études syriaques. L’archéologie a contribué à éveiller l’intérêt des philologues – et non l’inverse – sur le christianisme des rives du golfe Persique.
Le recueil d’articles est le premier volume des actes d’une conférence qui s’est tenue en février 2014 à l’université du Qatar en collaboration avec l’université américaine de Beyrouth. Publié en 2015, le très précieux second volume réunit des extraits et des textes en intégralité. À partir de deux figures importantes du monachisme syriaque réputées être nées dans le Bēṯ Qaṭrayē, Isaac de Ninive et Dadīšō‘ Qaṭraya, les différents contributeurs se sont intéressés à plusieurs autres auteurs de la région. Postulant une formation initiale dans le pays de naissance, deux objectifs guident le recueil : caractériser le foyer de développement intellectuel ; étudier les écrits et le parcours de ces pères syriaques.
Fig. 1 : couverture de The Syriac Writers of Qatar in the Seventh Century
Fig. 1 : couverture de The Syriac Writers of Qatar in the Seventh Century
Quatre articles correspondent au premier volet de l’enquête qui vise à dessiner au sens large le paysage chrétien duquel ont émergé les auteurs Qaṭraya : le cadre historique de la diffusion du christianisme dans la péninsule Arabique, l’archéologie chrétienne sur les rives du golfe Persique, les premiers contacts des tribus arabes avec le christianisme ou encore le milieu monothéiste actif au moment de la révélation coranique. L’étude s’étend sur une large part de l’Arabie orientale, adjacente à la péninsule qatarienne et à proximité de l’île de Bahreïn. Comme les pères étudiés n’éclairent point ces questions (p. 39), les chercheurs se tournent vers d’autres sources. Le tableau des sites chrétiens aujourd’hui dégagés est proposé par Haya al-Thani (p. 23). Il est indispensable à la mise en contexte des auteurs du VIIe siècle, mais il apporte peu de nouveautés aux synthèses régionales de référence (Salles & Callot 2013 ; Carter 2008). On peut regretter que la datation haute par le carbone 14 au début du VIIe siècle du Qaṣr al-Malehat ne soit pas davantage précisée. L’auteur propose une comparaison intéressante – hélas peu poussée – avec le plan d’un monastère du nord de l’Irak : au couvent mār Elyā de Mossoul, nous ajoutons, entre autres, l’église de Bazyān actuellement fouillée par la Mission archéologique française de Bazyan (dir. V. Déroche, CNRS). La littérature ancienne prouve en effet qu’il existe des liens incessants entre le nord de la Mésopotamie et le golfe Arabo-Persique qui peuvent se traduire par certaines structures analogues. Suleiman A. Mourad (p. 37) montre l’ancienneté de la présence chrétienne en Arabie et replace l’étude du Bēṯ Qaṭrayē dans un contexte régional plus large. On attendrait plus de prudence lorsque sont mentionnés des épisodes tirés de sources à discuter : les Actes des martyrs de Perses, la Chronique d’Arbèles, les histoires musulmanes ou chrétiennes tardives. Le dossier extrêmement précieux de Najrān y est évoqué : il a fait l’objet d’un ouvrage collectif à prendre en considération (Beaucamp, Briquel-Chatonnet & Robin 2010). La marginalité du Bēṯ Qaṭrayē dans la littérature scientifique se fait l’écho de sa place dans les sources, syriaques notamment. Si les liens de l’Arabie avec les empires byzantin ou sassanide sont connus, les relations entre l’Arabie et le Bēṯ Qaṭrayē ne sont évoquées que par les contacts nombreux avec la cité septentrionale d’al-Ḥīra. La question est prolongée par le dernier article du recueil qui étudie les relations entre christianisme et tribus arabes. Plus que les autres contributions, Saif Shaheen Al-Murikhi fonde sa réflexion sur les sources musulmanes tardives et ouvre la question à la recherche contemporaine en langue arabe. Il rappelle le poids de l’Église de Perse, qui adopte à partir du Ve siècle le « nestorianisme » – terme délicat mais utilisé par les chroniqueurs arabes du IXe siècle –, dans l’implantation du christianisme dans la région, grâce aux contacts noués avec les populations arabes qui s’y sont installés. La présence unique de chrétiens et de païens est présentée sans nuance gommant la complexité des mouvements monothéistes de l’époque. Le flou des limites entre les groupes se lit dans la réflexion très stimulante d’Abdul Rahman Chamseddine (p. 61) qui, tout en reprenant un débat ancien sur le sens attribué au substantif arabeḥanīf (pl. ḥunafā’), propose une nouvelle interprétation. L’auteur privilégie la signification de l’inclinaison vers sa propre religion, coupée du sens opposé en hébreu ou en syriaque (de la même racine, en syriaque ḥanpā « païen, impie »).
Fig. 2 : installations chrétiennes dans le golfe Arabo-Persique : attestations littéraires (non soulignées) et sites archéologiques (soulignés) (d’après Bonnéric 2015)
Fig. 2 : installations chrétiennes dans le golfe Arabo-Persique : attestations littéraires (non soulignées) et sites archéologiques (soulignés) (d’après Bonnéric 2015)
Les sept autres articles de l’ouvrage mettent de côté l’étude du milieu pour se concentrer sur quatre des auteurs syriaques ayant porté l’ethnique Qaṭraya : Isaac, Dadīšō‘, Gabriel et Aḥob. Rattachés à l’Église de l’Est, leurs écrits sur le monachisme ou leurs commentaires exégétiques ont largement dépassé les segmentations confessionnelles. Ces auteurs sont étudiés à travers les héritages recueillis et la postérité dont ils ont bénéficié. Grigory Kessel suit la trace des manuscrits d’Isaac de Ninive entre l’Église de Perse, les syriaques orthodoxes et les chrétiens melkites (p. 71). Il appelle de ses vœux une étude systématique de la transmission historique des textes de celui qui fut l’un des plus grands auteurs syriaques. La diffusion dans l’Éthiopie du XIIIe siècle des écrits monastiques de Dadīšō‘ est analysée par Robert A. Kitchen (p. 231). Dans l’étude d’un poème du XVe siècle sur le gouvernement divin, Thomas A. Carlson, enfin, reprend systématiquement toutes les citations d’auteurs du Bēṯ Qaṭrayē présentes dans les commentaires du prêtre Isḥaq Šbadnaya (p. 169). Les onze passages contribuent à forger le sentiment de l’existence d’un groupe cohérent d’auteurs Qaṭraya.
Se pose la question de l’héritage particulier que ces moines ont pu recueillir. En interrogeant l’authenticité de fragments du « cinquième volume » de l’œuvre d’Isaac de Ninive, Sabino Chialà affine la compréhension de l’histoire du moine éloquent mais également la définition stylistique de ses travaux (p. 123). Mary Hansbury cherche les influences théologiques qui ont inspiré le développement du même Isaac de Ninive sur l’« amour divin »,ḥubbā alāhāyā, sujet commenté par plusieurs savants syriaques (p. 93). Bas ter Haar Romeny présente Aḥob Qaṭraya, auteur difficilement daté, qui fut l’une des sources des commentaires exégétiques d’Īšō‘dad de Merv (p. 133). Le penseur nous intéresse particulièrement puisqu’il fait référence à une langue spécifique auxQaṭrayē qui n’est pas attestée par l’épigraphie locale. Dans ce recueil, la référence à l’épigraphie sémitique fait défaut, alors que quelques rares inscriptions sont connues dans la région (Puech 2003 ; Haerinck 1975 ; Stephan 1935). Deux autres articles portent sur Dadīšō‘ Qaṭraya. Celui de Mario Kozah corrige l’attribution erronée de textes de l’auteur à Philoxène de Mabboug (p. 195), tandis que la contribution de David Phillips montre que les textes eux-mêmes ont permis la conservation de fragments perdus de théologiens, notamment ceux de Théodore de Mopsueste, référence morale et théologique de l’Église de l’Est (p. 207). En voulant reconstituer l’œuvre de Gabriel bar Lipah, Sebastian Brock montre l’étendue de la connaissance de l’auteur (p. 155). Versé de littératures grecque et syriaque, Gabriel peut expliquer à son auditoire probablement syriacisant l’origine latine et non grecque du mot kaysar (p. 159) ! Au milieu des citations attendues des théologiens grecs, se glissent des références à Aristote ou Pythagore. Il faut alors s’interroger sur le lieu où fut recueilli un tel héritage : le Bēṯ Qaṭrayē lui-même ou les autres centres de la pensée syriaque ?
Fig. 3 : index des volumes I et II
Fig. 3 : index des volumes I et II
Les différentes contributions du présent recueil d’articles sont extrêmement appréciables. Elles suivent une démarche nécessaire pour reconsidérer une région trop longtemps marginalisée. Pour autant, l’importance des circulations entre les différents grands centres intellectuels de l’Église de l’Est ne doit pas être négligée. Dès lors, l’existence de l’« école d’enseignement » évoquée dans le résumé de l’éditeur puis présentée plus prudemment par Mario Kozah, n’apparaît pas évidente. Contrairement à Édesse, Nisibe, Séleucie-Ctésiphon, l’hypothétique école du Bēṯ Qaṭrayē n’a laissé aucune trace ni tradition historique. Pour Isaac ou Dadīšō‘, les centres de la pensée monastiques furent assurément le monastère de Rabban Šābōr au Ḫūzistān ou le mont Izla près de Nisibe. Que ces auteurs n’aient pas composé leurs pieux ouvrages dans le Bēṯ Qatrayē n’en diminue pas pour autant la force du christianisme dans la région, attestée tant par la crise ecclésiastique sous le catholicosat d’Īšō‘yahb III que par l’archéologie. La présence chrétienne dans le Bēṯ Qatrayē dès le début du Ve siècle n’est pour l’instant appuyée que sur les actes des synodes ou des récits mythiques (histoire de mār Yonān). En revanche, la vivacité des auteurs syriaques de la région à partir de la fin de la domination sassanide et du début du gouvernement arabo-musulman rejoint la chronologie livrée par l’archéologie des trente dernières années pour les installations chrétiennes des rives du golfe Persique. À propos de ces édifices, S. Brock songe : « It is pleasing to think that the various monastic ruins that have been discovered in various locations in the Gulf were once home to these learned writters » (p. 166).

Bibliographie

Beaucamp J., Briquel-Chatonnet F & Robin C. (dir.), Juifs et chrétiens en Arabie aux Ve et VIe siècles : regards croisés sur les sources, Paris, 2010.
Bonnéric J., « Christianity in the Arab-Persian Gulf: an ancient but still obscure history », Le carnet de la MAFKF. Recherches archéologiques franco-koweïtiennes de l’île de Faïlaka (Koweït), 23 décembre 2015. [En ligne] http://mafkf.hypotheses.org/1286
Kozah M., Abu-Husayn A., Shaheen Al-Murikhi S. & Al-Thani H., The Syriac Writers of Qatar in the Seventh Century, Piscataway, 2014.
Brock S., « Syriac Writers from Beth Qaṭraye », ARAM, 11-12, 1999-2000, pp. 85-96.
Carter R., « Christianity in the Gulf During the First Centuries of Islam », AAE, 19/1, 2008, pp. 71-108.
Haerinck E., « Quelques monuments funéraires de l’île de Kharg dans le golfe Persique », Iranica Antiqua, 11, 1975, pp. 134-167.
Puech E., « Les inscriptions syriaques au-dessus de l’accès aux grottes funéraires 37 et 38 », in Steve M.-J., L’île de Kharg : une page de l’histoire du Golfe Persique et du monachisme oriental, Neuchâtel, 2003, pp. 49-50.
Salles J.-F. & Callot O., « Les églises antiques de Koweït et du golfe Persique », in Briquel-Chatonnet F. (dir.), Les églises en monde syriaque, Paris, 2013, pp. 237-268.
Stephan S.H., « A Nestorian Hermitage Between Jericho and the Jordan », QDAP, 4, 1935, pp. 81-86.
Pour citer ce billet
Simon Brelaud, « Les pères syriaques du Bēṯ Qaṭrayē », Le carnet de la MAFKF. Recherches archéologiques franco-koweïtiennes de l’île de Faïlaka (Koweït), 12 avril 2016. [En ligne]http://mafkf.hypotheses.org/1364

Simon Brelaud

Doctorant en histoire ancienne (Labex Resmed – Paris Sorbonne), Simon Brelaud prépare depuis 2014 une thèse sur la présence chrétienne en Mésopotamie avant l’islam (IIIe-VIIe siècles). À partir des sources anciennes écrites essentiellement en syriaque et en arabe, il cherche à reconstituer les parcours sociaux et les circulations géographiques des chrétiens vivant dans la moitié occidentale de l’empire sassanide. Il s’intéresse à la diffusion du christianisme parmi les tribus nomades de Mésopotamie. Il est également membre de la mission archéologique française de Bazyān (Gouvernement Régional du Kurdistan, Labex Resmed-CNRS), qui étudie une église médiévale sise dans une enceinte fortifiée, et de la mission française de Khirbet es-Samra (Jordanie, EBAF), qui a entamé la publication des informations collectées depuis 1981 sur le bourg romano-byzantin situé sur l’ancienne Via Nova Traiana.

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