dimanche 15 mars 2020

CORONAVIRUS, monde arabe et Israel


CORONAVIRUS : LA PEUR GAGNE ISRAËL
ARTICLE PUBLIÉ LE 09/03/2020
Par Ines Gil
Psychose ou mesures de précautions, la peur du Coronavirus n’a pas épargné Israël. L’Etat hébreu a pris des mesures drastiques pour éviter la propagation du virus. Quelles en sont les implications pour les relations israélo-palestiniennes ? Et quelles conséquences pour l’économie et le tourisme d’Israël et des Territoires palestiniens ?
Le principe de précaution
Aux prémices de la crise, les Israéliens ont observé l’épidémie de loin, voyant le virus se propager un peu partout dans le monde sans compter de cas. Mais la peur est montée crescendo en peu de jours dans l’Etat hébreu.
Fin février 2020, l’entrée d’individus (Israéliens et touristes) ayant contracté le virus à l’étranger a créé la panique. Les premières mesures de précaution ont été prises avec l’interdiction pour de nombreux voyageurs en provenance de pays asiatiques de poser le pied sur le territoire israélien. Au total, une trentaine d’Israéliens ont aujourd’hui contracté le virus, mais aucun mort n’est à déplorer. Le nombre est certes limité, mais l’Etat israélien a pris des mesures drastiques pour contenir l’épidémie. Environ 100 000 personnes ont été placées en quarantaine, assignées à résidence dans leur foyer. Le mercredi 4 mars, le gouvernement a franchi un nouveau pas en renforçant les restrictions à l’entrée du territoire. Tous les voyageurs en provenance de France, d’Espagne, de Suisse, d’Allemagne et d’Autriche sont désormais interdits d’entrée en Israël, sauf les citoyens ou résidents israéliens, qui doivent respecter une période de deux semaines en quarantaine. La mise en quarantaine de tous les Israéliens de retour dans le pays est également en discussion le dimanche 8 mars.
Pour certains analystes, la gestion maîtrisée de la crise sanitaire par Benyamin Netanyahou peut être liée au contexte politique. Selon le professeur de science politique à l’Open University d’Israël Denis Charbit, « dans la situation de crise apparue avec le coronavirus, Benyamin Netanyahou a multiplié les déclarations pour démontrer qu’il tenait les choses bien en main. Or, en Israël, un leader n’est tel que s’il assure aux électeurs que tous les moyens sont pris pour endiguer la menace ».
La coordination avec les Palestiniens
Selon le quotidien israélien Haaretz, la gestion du Coronavirus a eu « pour mérite de faire baisser les tensions régionales », pourtant très vives en ce début d’année 2020. Le jeudi 5 mars, une rencontre a été organisée entre les autorités israéliennes et l’Autorité palestinienne (AP) pour travailler conjointement afin d’éviter une propagation de l’épidémie. Les relations israélo-palestiniennes s’étaient pourtant remarquablement dégradées fin janvier, sous fond de dévoilement du plan Trump pour la paix.
Les passages de Palestiniens (travailleurs, pèlerins ou visiteurs) mais aussi de touristes internationaux sont fréquents entre la Cisjordanie et Israël. La semaine du 2 mars, les premiers cas de Coronavirus sont apparus dans le Territoire palestinien. Les employés d’un hôtel à Bethléem l’ont contracté après être entrés en contact avec des touristes grecs porteur du virus (1). Bethléem, aujourd’hui cité fantôme, a été fermée aux touristes, qui affluent pourtant chaque semaine dans cette cité considérée comme sainte dans le christianisme. Tout comme Israël, l’Autorité palestinienne a déclaré l’état d’urgence en Cisjordanie, avec la fermeture des écoles pour 30 jours et la limitation des déplacements entre les villes. Des kits médicaux ont été fournis aux Palestiniens, et des formations médicales ont été organisées conjointement entre l’AP et Israël.
Pour l’instant, le virus n’est pas entré dans la très isolée Bande de Gaza (2), privée de touristes. Mais le risque n’est pas inexistant. Début mars, dans le cadre d’un accord passé entre le Hamas au pouvoir et Israël, 7 000 permis de travail ont été accordés aux Gazaouis, en plus des permis déjà existants (3). Bien que limités, les allers-retours entre la bande côtière et Israël ne sont donc pas nuls. Si le virus entre dans ces terres d’une quarantaine de kilomètres sur 10, il sera difficile à contenir. Avec près de 6 000 habitants au km2, la Bande de Gaza est un des territoires les plus densément peuplé au monde. Le système de santé sous perfusion aurait de lourdes difficultés à gérer l’épidémie sans une aide internationale.
Le tourisme mis à mal
Les restrictions à l’encontre des citoyens européens interviennent un mois avant les fêtes de Pâque (juive comme chrétienne). La période d’avril, temps fort du tourisme en Israël, voit des milliers de fidèles affluer chaque année. Le gouvernement israélien pourrait donc chercher à contenir au maximum la propagation du virus avant l’ouverture de la saison. La semaine dernière, Benyamin Netanyahou a invité les dirigeants du monde entier à organiser un échange sur la gestion de la crise sanitaire.
Une dizaine de jours après le début de la crise, les pertes sont déjà visibles dans le secteur du tourisme et de l’aviation. La compagnie aérienne El Al a estimé le coût financier de 50 à 70 millions de dollars pour la période de janvier à avril. Elle a déjà pris des mesures drastiques pour combler les pertes : un millier d’employés devraient être licenciés et le salaire des dirigeants a été réduit de 20% (4). Cette semaine, le ministère israélien des Finances a assuré que le Coronavirus a déjà coûté un milliard de shekels à l’Etat. Si la crise n’est pas prochainement endiguée, l’Etat hébreu pourrait enregistrer une perte de 12 milliards de shekels, soit 1% du produit intérieur brut du pays (5).
Mais pour les Israéliens, imprégnés d’un intense esprit sécuritaire, la maîtrise de la crise sanitaire est plus importante que les retombées économiques négatives. D’autant plus que ce petit pays jouit d’une « culture organisationnelle forte » (6) et le virus y est plus aisément contenable. Selon la presse locale, une start-up israélienne serait sur la bonne voie pour trouver un vaccin contre le Coronavirus (7). La course contre la montre est donc engagée pour cet Etat, qui compte malgré tout sur l’afflux des touristes étrangers pour les fêtes de Pâque.


Le Moyen-Orient à l’heure du coronavirus
Même si l’Iran est de très loin le pays le plus touché, la diffusion du coronavirus  accentue la vulnérabilité de toute une région déjà très instable.
Les deux millions d’habitants de la bande de Gaza ont rarement l’occasion de se réjouir d’être assiégés de fait par Israël et l’Egypte. C’est pourtant le cas depuis que le coronavirus s’étend dangereusement dans tout le Moyen-Orient et que la « prison à ciel ouvert » que représente ce territoire palestinien en est dès lors protégée.  L’ironie mordante sur Gaza comme « l’endroit le plus sûr au monde » du fait d’une « quarantaine de 14 ans » a gagné les réseaux sociaux. Il est vrai que, au Moyen-Orient, la fermeture des frontières en raison des conflits en cours semble avoir relativement endigué l’épidémie. Israël a en outre décidé, le 4 mars, d’interdire l’accès de son territoire aux ressortissants français, allemands, espagnols, suisses et autrichiens, à l’exception des résidents, après avoir pris des mesures déjà très restrictives à l’encontre des visiteurs en provenance d’Italie et de certains pays asiatiques. Quant à l’Autorité palestinienne, elle a fermé, le 5 mars, l’Eglise de la Nativité à Bethléem, après que des contaminations ont été signalées dans cette ville, peut-être au contact de touristes grecs.
L’IRAN MASSIVEMENT TOUCHE
Avec officiellement plus de 120 décès et près de cinq mille cas de Covid-19, l’Iran est de très loin le pays le plus touché au Moyen-Orient. La réalité est sans nul doute encore plus dramatique, du fait de l’incurie des autorités qui ont longtemps nié l’ampleur du fléau, contribuant ainsi à sa diffusion. La propagande de la République islamique a même assimilé le virus à un nouveau « complot de l’ennemi » américain, voire israélien, plutôt que d’organiser une campagne nationale de prévention. Il est cependant devenu impossible de persister dans ce mensonge d’Etat lorsque le coronavirus a commencé de frapper les cercles dirigeants: un conseiller de l’ayatollah Khameneï, le maître incontesté du pays depuis 1989, en est mort, le 2 mars, ainsi que deux députés, alors qu’est confirmée la contamination de 23 parlementaires, de la vice-présidente de la République et… du secrétaire d’Etat à la Santé, celui-là même chargé de gérer la réponse gouvernementale à une telle menace.
L’aveuglement idéologique du régime iranien s’est aggravé du refus de placer en quarantaine la ville sainte de Qom, à 150 kilomètres au sud de Téhéran, même si son très populaire pèlerinage en a fait un centre majeur (cluster) de transmission du virus. Les autorités ont en revanche accordé une large publicité à la désinfection, le 27 février, du mausolée de l’imam Reza, le huitième imam du chiisme, révéré à Machhad, dans l’est du pays (photo ci-dessus). Ces mesures ponctuelles n’ont évidemment pas suffi à enrayer la diffusion de l’épidémie, amenant le gouvernement à décréter, le 5 mars, la fermeture des écoles et des universités, anticipant ainsi de deux semaines les congés du Nouvel An iranien.  A noter que les prisons ne sont même plus épargnées par le virus, ce qui avive l’inquiétude des proches de Fariba Adelkhah et de Roland Marchal, les deux chercheurs français arbitrairement détenus depuis juin 2019.
SUSPENSION DES PELERINAGES A LA MECQUE
L’Arabie saoudite, où le premier cas a été annoncé le 2 mars, a décidé de suspendre l’Omra, soit le pèlerinage à La Mecque et à Médine qui est entrepris en dehors des cinq jours de hajj proprement dit, prévu cette année à la fin juillet. Les mosquées des deux villes saintes de l’Islam ont de surcroît été fermées pour désinfection, avec de sévères restrictions imposées aux dispensaires de La Mecque, ainsi qu’à la consommation d’eau et de nourriture. Cette suspension de l’Omra vaut pour les Saoudiens comme pour les étrangers, tandis que sont interdits d’entrée en Arabie les voyageurs en provenance d’Italie, d’Iran, de Chine ou de Corée du Sud. Le premier cas de contamination en Arabie proviendrait en effet d’Iran, de même que l’écrasante majorité de la quarantaine de cas recensés à ce jour en Irak (avec les trois premiers morts dans la journée du 5 mars). Bagdad a d’ailleurs fermé sa frontière avec l’Iran et suspendu les liaisons aériennes, une mesure prise sur fond de contestation populaire de la mainmise de l’Iran sur le pays.
Une telle polarisation du débat sur le coronavirus est aussi palpable au Liban, où la dénonciation de la corruption de la classe politique se nourrit désormais de vives accusations à l’encontre du ministère de la Santé. Dans l’Egypte de l’ex-maréchal Sissi, le verrouillage de toute forme d’expression publique n’a laissé qu’un groupe d’opposition dénoncer le manque de transparence du gouvernement. De fait, la ministre égyptienne de la Santé s’est rendue en Chine en témoignage de « solidarité » avec le pays d’origine de l’épidémie, avec don d’un million de masques de protection, tandis que le drapeau chinois était symboliquement projeté sur plusieurs monuments du Caire et de la vallée du Nil. En revanche, les ressortissants du Qatar sont interdits d’entrée en Egypte, une mesure prise en rétorsion à la suspension des admission au Qatar en provenance d’Egypte. Quant aux Emirats arabes unis, ils ont décrété la fermeture des établissements d’enseignement à compter de ce 8 mars, et ce jusqu’à la fin du mois. La plate-forme touristico-commerciale de Dubaï ne tourne déjà plus qu’au ralenti.
Partout, au Moyen-Orient, les autorités misent sur un reflux de l’épidémie et politisent plus ou moins ouvertement les mesures prises à ce stade. Mais la grande inconnue sur l’état réel de la diffusion du Covid-19 en Iran risque de peser durablement sur la région.
PS: Durant les 24h écoulées depuis la publication de ce post, le nombre de morts en Iran s’est officiellement élevé à 194, tandis que l’Egypte annonçait son premier décès, celui d’un touriste allemand. Quant à l’Arabie saoudite, elle vient de placer sous quarantaine sa province orientale, très majoritairement chiite, où ont été repérés les 11 cas à ce jour déclarés par le royaume.

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