jeudi 5 septembre 2019

Ιράν, Γαλλία, Δύση


BREF APERÇU GÉO-HISTORIQUE DES RELATIONS COMPLEXES ENTRE L’IRAN ET L’OCCIDENT EN GÉNÉRAL, ET LA FRANCE EN PARTICULIER : UN SYNDROME DU CONTRETEMPS ?

Partie I
ARTICLE PUBLIÉ LE 27/08/2019
Par David Rigoulet-Roze
David Rigoulet-Roze, docteur en Sciences politiques, est enseignant et chercheur, ainsi que consultant en relations internationales, spécialisé sur la région du Moyen-Orient et rédacteur en chef de la revue Orients Stratégiques. Il est rattaché à l’Institut Français d’Analyse Stratégique (IFAS). Il est également chercheur associé à l’Institut Prospective et Sécurité en Europe (IPSE) ainsi qu’à l’Institut européen de recherche sur la coopération Méditerranéenne et Euro-arabe (MEDEA) de Bruxelles et au Conseil Québécois d’Etudes Géopolitiques (CQEG) de L’université Laval de Montréal. Outre de nombreux articles, il a notamment publié Géopolitique de l’Arabie saoudite : des Ikhwans à Al-Qaïda (Armand Colin, 2005) et L’Iran pluriel : regards géopolitiques (L’Harmattan en 2011). Il enseigne en outre la Géopolitique et les Sciences Politiques dans le supérieur.
L’Iran et l’Occident en général entretiennent, à bien des égards, une relation de fascination-répulsion remontant sans doute très loin dans l’Histoire, au moins jusqu’à l’époque hellénistique qui solde le bilan des fameuses « guerres médiques » du Vème siècle av. J.-C. au profit de l’Occident gréco-macédonien avec la diffusion de la culture hellénistique dans une grande partie de l’Asie plus tard qualifiée plus tard de Grand Khorassan selon la terminologie médiévale pour désigner cette vaste région allant jusqu’aux confins de l’Asie centrale .
Le fait est qu’au début du Moyen Âge, la Perse est surtout connue en Occident par ce que lui a transmis l’héritage gréco-latin essentiellement, et sans doute également biblique avec la mémoire diasporique des Juifs et l’émancipation de leur captivité babylonienne rendue possible, au VIème siècle av. J.-C, par le fondateur de l’Empire perse Cyrus II dit Le Grand (559-530). D’où, d’ailleurs, le paradoxal écho contemporain avec l’hostilité radicale, mais somme toute récente - seulement depuis la Révolution islamique de 1979 puisque l’Iran du Shah était partie prenante d’une « alliance de revers » avec l’Etat hébreu contre les pays arabes coalisés - entre le régime ouvertement « antisioniste » de la République islamique et Israël.
Du Moyen Âge à 1914
Toujours est-il que pour la Perse, le rapport à l’Occident apparaît également complexe à travers une tradition philosophique revendiquant notamment un héritage grec comme dans l’école des Ishraqiyun (« Platoniciens de Perse »), par-delà un monde arabe dont la dynamique de conquête au VIIème siècle imposant l’islam en Perse après la bataille d’Al Qadissiya en 636, demeure en tout état de cause depuis lors son voisinage géopolitique immédiat. Durant tout le Moyen Âge, la Perse n’aura de cesse de développer des relations avec des puissances européennes et notamment avec la France capétienne.
Mais c’est surtout avec l’avènement de la dynastie safavide (1501-1736), celle-là même qui décida de faire du chiisme une confession d’Etat pour asseoir une forme de nationalisme perse face à l’islam essentiellement d’obédience sunnite - dans sa traduction culturelle initialement arabe puis ottomane -, que la Perse tenta de nouer des « alliances de revers » avec certains souverains européens pour contrecarrer précisément la poussée ottomane. Devant l’insuccès de ses entreprises inabouties de contacts avec les Valois voire les Bourbons français, demeurés fidèles à l’« alliance de revers » contractée avec la « Sublime porte », la Perse avait assez logiquement du reste entamé des pourparlers avec les Habsbourg, potentiellement intéressés par la formation d’un « second front » qui aurait pu être imposé aux Ottomans en Orient dont la pression militaire devait déboucher sur le traité de Qasr-i-Chin ou de Zuhab du 17 mai 1639. Ce traité mettait provisoirement fin à l’une des multiples guerres turco-persane (1623-1639), et servit de référence permanente aux traités successifs, fixant globalement, et en dépit même des conflits qui se poursuivirent par la suite, les frontières entre les deux Etats. Des tentatives de rapprochement avec l’Occident restées en tout cas sans lendemain pour des raisons qui tenaient largement aux aléas dynastiques de la politique européenne de l’époque. Passé l’heure de l’affrontement séculaire entre la dynastie française et celle des Habsbourg, des relations moins parasitées purent reprendre avec l’Occident en général et la France en particulier. Ainsi, l’échange d’ambassades entre la France et la Perse aboutit-elle au début du XVIIIème siècle à un premier traité entre les deux pays. Ce traité était écrit à la fois en français et en persan (1) et permit à la langue française d’obtenir une place internationale et diplomatique reconnue de lingua franca jusqu’en Orient. L’inclination « occidentale » de la Perse n’en fut alors que renforcée.
Mais la période révolutionnaire puis napoléonienne se présenta comme un nouveau « rendez-vous manqué » surtout avec la France napoléonienne toujours à la recherche d’une nouvelle « alliance de revers » contre ses ennemis européens. Il y eut néanmoins un mémorable « moment franco-perse » concrétisé par le Traité de Finkenstein (Prusse occidentale) signé le 4 mai 1807. A cette occasion une mission militaire, sous la direction du général Claude-Mathieu Gardanne - ladite « Mission Gardanne » du 4 décembre 1807 - fut envoyée en Perse à la fois pour aider à moderniser l’armée perse sur le modèle européen et préparer une improbable expédition contre les Indes britanniques. Des officiers français formèrent la Nezame Jadid (« Nouvelle armée ») perse qui réussit à défaire une armée russe à Erevan le 29 novembre 1808, démontrant rapidement l’efficacité de la formation militaire française et forçant l’admiration perse pour la culture technique occidentale en général et française en particulier. Mais sur la plan stratégique, l’intérêt de la « Mission Gardanne » allait être largement hypothéqué par le fait que Napoléon Ier avait finalement vaincu la Russie lors de la bataille de Friedland 14 juin 1807, ce qui avait conduit la France et la Russie à devenir officiellement « alliées » par le traité de Tilsit signé le 7 juillet 1807, et l’empereur à abandonner le shah qadjar « sur le radeau de Tilsit » selon la formule du chercheur Pierre Pahlavi (2).
Faute de mieux, le shah qadjar se retourna alors vers les Britanniques afin d’obtenir les conseillers militaires dont il estimait avoir besoin notamment pour faire pièce, dans la première moitié du XIXème siècle, aux velléités expansionnistes de l’« Ours russe » vers les mers chaudes après le traité de Turkmanchaï de 1828 conclu en défaveur de la Perse. Et ce, tout juste après avoir réglé la question des frontières entre l’Empire ottoman et la Perse par le traité d’Erzerum en 1823. C’est peu dire que la relation russo-persane demeure empreinte de méfiance réciproque. Et l’actuelle alliance de circonstance - même si elle n’est pas contingente - qui a prévalu en Syrie à partir de septembre 2015 pour soutenir le régime de Bachar al-Assad constitue à cet égard plus une exception à la règle que l’inverse. Toujours est-il qu’à l’ère du Great Game (« Grand jeu ») en Asie centrale entre l’Empire britannique et l’Empire tsariste, la Perse se retrouva souvent être une variable d’ajustement géopolitique, alors même qu’elle aspirait constamment à faire alliance avec l’Occident. En réalité, ce sont plus les puissances occidentales qui s’imposèrent à l’Iran plutôt que l’Iran qui les choisit comme partenaires géopolitiques. Ainsi, l’Angleterre et la Russie s’entendirent-elles sur le dos du shah qadjar, après la Révolution constitutionnaliste (Enghelab-e Mashruteh) de 1906 - pourtant ouvertement inspirée par la culture politique libérale européenne, voire par l’exemplarité de la Révolution française de 1789 -, en signant la convention anglo-russe de 1907 qui définit, notamment en Perse, les sphères d’influence respectives de la Russie tsariste et de l’Angleterre. Une convention annonçant d’ailleurs la formation de ce qui allait devenir la Triple Entente avec la France avant 1914.
D’une guerre à l’autre
La Première Guerre mondiale, durant laquelle la Perse se trouva théoriquement « neutre », vit grandir l’influence des Britanniques de plus en plus intéressés par ce pays après la découverte de pétrole qui avait jailli pour la première fois en Orient à Masjed-e Soleiman (« Temple de Salomon »), dans la province du Khuzestan, le 26 mai 1908. Un événement qui devait amplifier les appétits occidentaux sur la Perse et être à l’origine d’un passif avec l’Occident toujours pas apuré aujourd’hui.
Après la Première Guerre mondiale, et alors qu’un certain Reza Khan, futur Reza Shah Pahlavi (1925-1941), prit le pouvoir en 1921, un groupe d’intellectuels iraniens comprenant d’anciens leaders de la Révolution constitutionaliste disposant de nombreux relais dans les élites du pays s’efforcèrent de promouvoir un nationalisme iranien sur le modèle européen, en prônant en outre l’occidentalisation du pays pour le moderniser ainsi que la « laïcité » à la française. Signe des temps, la nouvelle dynastie des Pahlavi décida en 1935 changer le nom du pays en remplaçant le nom de Perse par celui d’Iran jugé plus adapté à la modernité recherchée. La même année, le shah Pahlavi ordonna l’interdiction du port du hijab (« voile ») pour les femmes et instaura l’obligation de porter un habit « à l’occidentale » pour les hommes. Sous son règne, le pays mit sur pied une véritable administration moderne et des infrastructures de transport avec l’aide de conseillers occidentaux (notamment français et allemands), établit en 1935 l’Université de Téhéran - parfois appelée en Iran « Mère Université » - sur le modèle occidental et créa une armée « nationale » au sens européen du terme avec un programme de formation militaire notoirement assuré par la France.
Nonobstant les rapprochements de Reza Shah avec l’Allemagne nazie devenue le premier partenaire commercial en 1939, Hitler n’eut cependant aucun état d’âme, dans le prolongement des attendus du pacte germano-soviétique du 23 août 1939, à considérer lors des discussions germano-soviétiques de novembre 1940 entre Molotov et Ribbentrop - entamées afin de faire entrer l’URSS dans l’alliance militaire de de l’Axe -, notamment la possibilité que l’Iran pût devenir « zone d’influence soviétique » au détriment évidemment de la Grande-Bretagne stigmatisée comme « colonialiste ». Après la rupture du pacte germano-soviétique avec l’invasion de l’URSS par l’Allemagne nazie en juin 1941, et Reza Shah ayant officiellement déclaré la « neutralité » de l’Iran et donc refusé par nationalisme de s’aligner sur les Alliés, les Britanniques et les Soviétiques décidèrent, lors de l’opération Countenance, d’envahir conjointement l’Iran à l’été 1941 pour protéger les gisements pétroliers iraniens d’une éventuelle mainmise allemande et en profitèrent pour contraindre Reza Shah à abdiquer au profit de son fils Mohammad Reza Shah (1941-1979). Le nouveau Shah conclut rapidement un traité avec les puissances anglo-saxonnes (Américains et Britanniques) ainsi que les Soviétiques, selon lequel les trois puissances étrangères s’engageaient mutuellement à respecter l’intégrité territoriale de l’Iran et à se retirer six mois après la fin des hostilités.
En novembre 1943, c’est à Téhéran qu’une grande conférence éponyme réunit les Alliés pour évoquer l’après-guerre. À cette occasion Roosevelt, Churchill et Staline réaffirmèrent leur engagement de 1941 d’évacuer le pays car la présence de troupes étrangères favorisait la montée du sentiment national iranien qui se faisait de plus en plus marqué et de plus en plus anti-colonial et anti-impérialiste. Il fallut tout de même attendre 1946 pour voir toutes les troupes étrangères évacuer le pays. Mais cela ne signifiait pas la fin de l’influence étrangère en Iran, notamment anglo-saxonne. Peu s’en faut même.
Notes :
(1) Cf. Safoura Tork Ladani, L’Histoire des relations entre l’Iran et la France : du Moyen-âge à nos jours, Paris, L’Harmattan, 2018.
(2) Cf. Pierre Pahlavi, « L’Iran au travers du prisme géopolitique », in Revue de Géographie Historique, n°12, mai 2018 (
http://rgh.univ-lorraine.fr/articles/view/95/L_Iran_au_travers_du_prisme_geopolitique).

L’Iran, pilier occidental de la guerre froide

Le nationalisme iranien allait, de fait, trouver son expression politique dans l’avènement du gouvernement du Jebhe-ye Melli (« Front national ») de Mohammad Mossadegh (1882-1967) qui devint Premier ministre une première fois en 1951 (30 avril 1951 – 17 juillet 1952), puis une seconde fois en 1952 (22 juillet 1952 - août 1953). Il revint à Mossadegh de faire appliquer la loi sur la « nationalisation » du pétrole iranien jusque-là contrôlé presqu’exclusivement par les Britanniques à travers l’ancienne APOC (Anglo-Persian Oil Company) fondée en 1907 et propriété du gouvernement britannique en 1914, devenue par la suite l’AIOC (Anglo-Iranian Oil Company) en 1935, laquelle compagnie entretenait des relations difficiles avec le gouvernement de Téhéran, avant de finir « nationalisée » en 1953. L’Iran, après avoir été le premier pays où le pétrole fut découvert, devait donc être également le premier pays à « nationaliser » son industrie pétrolière. Cela serait pour les Iraniens à l’origine du péché originel anglo-américain dans le pays avec le coup d’Etat fomenté contre Mossadegh. Ce fut lorsque ce dernier décida de s’allier au parti communiste Toudeh pour asseoir sa majorité parlementaire, que les Etats-Unis résolument engagés dans la « Guerre froide », décidèrent de le renverser à la faveur de l’ « Opération TPAjax », un complot organisé en août 1953 conjointement par les deux services secrets anglo-saxons, à savoir la CIA américaine et le MI-6 britannique.
La conséquence immédiate du renversement de Mossadegh devait assurer, à court et moyen terme, le rapprochement de plus en plus étroit du Shah Mohammed Reza Pahlavi avec les Etats-Unis sur fond d’anti-communisme viscéral. L’Iran pro-occidental intégra d’ailleurs le « Pacte de Bagdad » du 24 février 1955 qui constitua la base géo-stratégique de l’« Organisation du Traité central » (CENTO) signé le 24 mars 1955 et destiné à contenir l’influence soviétique dans la zone stratégique du Moyen-Orient, organisation que l’Iran rejoignit formellement en octobre 1955 pour devenir le « gardien » de la frontière septentrionale du Moyen-Orient pour le compte du « monde libre ». L’omniprésence américaine, concrétisée par la signature en mars 1959 d’un accord de défense avec Washington, devait néanmoins poser problème à moyen terme avec une montée de la contestation nationaliste de plus en plus captée par le clergé chiite qui avait toujours tenu une place incontournable dans l’Histoire du pays, notamment depuis les Safavides qui avaient fait du chiisme une confession d’Etat. Le Shah tenta bien de mobiliser à son profit ce fort sentiment national en organisant, après s’être couronné lui-même - à l’instar de Napoléon Ier figure admirée des Shah qadjar (1) -, une grandiose cérémonie en octobre 1971 en présence de nombreux dignitaires étrangers, tout spécialement occidentaux, invités à Persépolis pour célébrer « 2 500 ans de continuité monarchique en Iran » perse (ashnhā-ye do hezār o pānsad sāle shāhanshāhi), dont Jacques Chaban-Delmas, Premier ministre (20 juin 1969 - 5 juillet 1972) du président Georges Pompidou (20 juin 1969 - 2 avril 1974) qui entendait alors développer sa coopération technologique et scientifique avec l’Iran pour des raisons désormais plus économiques que politiques. De fait, le Shah Pahlavi, francophone et francophile comme nombre des responsables politiques iraniens, avait vécu comme une réelle déception le tropisme arabe de la diplomatie française lorsque le général de Gaulle, qui s’était pourtant rendu en personne à Téhéran en octobre 1963, avait formulé en juin 1967 sa fameuse « politique arabe » dans le prolongement de la Guerre des Six Jours. Il demeure que l’Iran avait l’ambition de devenir une puissance technologique et scientifique pour se rapprocher du standard occidental en la matière, mais en évitant autant que possible l’« option russe » dont Téhéran s’était toujours méfiée historiquement parlant. C’est d’ailleurs dans ce cadre que fut finalement signé, le 27 juin 1974, par le président Valéry Giscard d’Estaing (29 mai 1974 - 21 mai 1981), un accord franco-iranien permettant à l’Iran d’intégrer le Consortium de nucléaire civil Eurodif accordant à l’Iran un droit de prélèvement de 10 % de l’uranium enrichi par ledit Consortium.

La révolution de 1979

Mais le tremblement de terre géopolitique constitué par la Révolution islamique de 1979 à Téhéran allait bouleverser la donne et transformer le contrat en « contentieux Eurodif » - nonobstant l’exil dont avait un temps bénéficié le principal et irréductible opposant au Shah, l’Ayatollah Rouhollah Moussavi Khomeyni (1902-1989), à Neauphle-le-Château fin 1978. La Révolution islamique qui conduisit au renversement du régime pro-américain du Shah en janvier 1979 et à l’instauration de la République islamique en avril 1979 allait détourner brutalement l’Iran de l’Occident.
Par-delà la haine contre le « Grand Satan » (Sheitan-e Bozorg) américain constitutive de l’ADN du régime établi en 1979, l’Occident fut désormais vu comme le siège des « puissances de l’arrogance » (Estekbar jahani). A une éphémère sympathie des révolutionnaires iraniens envers la France pour avoir accueilli l’Ayatollah Khomeyni, allait succéder rapidement une perception nettement plus négative sinon hostile, particulièrement lors de la Guerre Iran-Irak (1980-1988) puisque la France du président François Mitterrand, socialiste et à la laïcité affichée, allait massivement soutenir le régime baathiste supposément « laïc » du président Saddam Hussein contre le « régime des Mollahs » dans sa lutte contre l’exportation de la Révolution islamique, notamment en lui livrant au début des années 1980 ses Mirage F1 et ses super-Étendards armés d’Exocet qui bombarderaient les installations pétrolières iraniennes durant la guerre. Le soutien massif et intéressé à l’Irak arabe « baathiste » fit en tout cas de la France « laïque » un ennemi déclaré de Téhéran, davantage encore que l’Union soviétique pourtant « fer de lance » des pays « athées ». Et comme si cela ne suffisait pas, allait se rajouter le « Contentieux Eurodif » sur le nucléaire.
En 1982, le président François Mitterrand (21 mai 1981 - 17 mai 1995) refusa de transférer le moindre uranium enrichi à la République islamique d’Iran de peur que cette dernière ne l’utilisât à des fins militaires et non seulement civiles, tout en refusant simultanément de rembourser le milliard de dollars américains prêtés par le Shah au motif que cet argent dû eût pu donner une bouffée d’air financière au nouveau régime dans ses velléités déclarées d’exportation de la Révolution islamique. Ce « Contentieux Eurodif » ajouté au soutien sans faille apporté à Saddam Hussein désigna la France comme la cible privilégiée d’une stratégie indirecte qui prit la forme de prises d’otages et d’attentats. Après le règlement définitif du contentieux en décembre 1991, l’Iran fut pleinement rétabli dans son statut d’actionnaire d’Eurodif, avec les droits afférents.

La question du nucléaire iranien

Mais la problématique nucléaire n’avait pas fini d’emboliser les relations entre l’Iran et l’Occident en général - avec les révélations fin 2002 d’un programme clandestin -, et la France en particulier dans la mesure où cette dernière allait adopter une position parfois plus intransigeante que celle des négociateurs américains de l’Administration Obama lors des sessions qui devaient déboucher sur l’accord du 14 juillet 2015 après une décennie de négociations particulièrement dures et empreintes de méfiance de part et d’autre.
La fragile confiance en l’Occident induite par la signature de l’accord s’est retrouvée brisée par la sortie unilatérale de l’accord décidée par le président Donald Trump le 8 mai 2018 et par l’impossibilité des autres signataires, notamment européens, de s’extraire de la redoutable logique d’extraterritorialité de la législation américaine. Et l’Iran de se retrouver désormais dans une situation paradoxale qui constitue l’expression même de cette constante ambivalence vis-à-vis de ce que « représente » l’Occident dans la psyché iranienne, laquelle oscille entre la qualification d’une pathologie appelée L’Occidentalite [en persan, gharbzadegui] selon le titre d’un livre (2) édité en 1962 de Jalal Al-e Ahmad, intellectuel iranien francophone passé très brièvement par Harvard en 1965 - un titre aussi parfois traduit par « ouestoxication » - et le rêve d’Occident qui caractérise aujourd’hui plus que jamais une jeunesse iranienne avide de modernité et « rêvant » d’Occident au point parfois d’aller jusqu’à revendiquer jusqu’à l’American way of life et des visas pour en bénéficier.
Cette logique de « rendez-vous manqués » se retrouve de manière caricaturale dans les récents événements relatifs à la crise actuelle et aux contradictions insolubles qui la sous-tendent. Ainsi du président américain Donald Trump qui a publiquement appelé, le 9 mai 2019, les Iraniens à le contacter par téléphone pour négocier : « Ce que j’aimerais voir avec l’Iran, j’aimerais les voir m’appeler ». La réponse avait été rapide du côté de Téhéran : « Personne ne va appeler Trump, et les Américains seront finalement obligés de considérer sérieusement la question des négociations avec l’Iran » avait déclaré, le 12 mai 2019, Hesmatollah Falahatpishe, président la commission parlementaire iranienne pour la sécurité nationale et les affaires étrangères. Comble de l’ironie, le conseiller à la sécurité nationale John Bolton, par ailleurs « faucon » revendiqué, déplorait en étant presque dépité le « silence assourdissant » de l’Iran quant à l’offre de négociation avec Washington : « Le président a ouvert la porte de négociation à de véritables négociations. En réponse, le silence de l’Iran a été assourdissant ». Mais pouvait-il en être autrement sachant que l’Iran ne négocie jamais sous la menace, a fortiori lorsque cela reviendrait à une forme de capitulation dont les 12 conditions léonines, formulées par Mike Pompeo le 21 mai 2019, constituent l’expression emblématique ?
Cela n’empêche pourtant pas Téhéran de renouveler, le 6 août 2019, par la voix de son président Hassan Rohani sa disposition à négocier avec néanmoins comme condition préalable une levée des sanctions américaines à l’encontre de l’Iran, dont la mise en oeuvre se manifeste comme la traduction concrète de la stratégie américaine de « pression maximale » mise sur Téhéran et que l’on voit mal le président Donald Trump accepter de remettre en cause comme préalable à tout début de discussion. Une sorte de dialogue de sourds. La situation du ministre des Affaires étrangères Mohammad Javad Zarif incarne à elle seule l’impasse actuelle : le 5 août 2019, il a confirmé avoir refusé une invitation à rencontrer le président Donald Trump transmise via le sénateur Rand Paul à la mi-juillet en marge d’une visite du ministre iranien des Affaires étrangères à l’ONU. Or, c’est en partie ce refus qui aurait justifié selon Washington l’imposition de sanctions le visant directement et ce, alors même qu’aucune véritable négociation ne peut être envisageable en faisant l’économie de son expérience en la matière. Une aporie pour l’heure insoluble, même si le nœud-gordien de cette impasse ne constitue pas nécessairement une fatalité à long terme, sinon à moyen terme.

Le G7 à Biarritz

C’est cette hypothèque que s’efforce de lever le président Emmanuel Macron qui a profité de l’audience internationale du sommet du G7 de Biarritz, le 25-26 août 2019, pour inviter dans le cadre d’une rencontre impromptue en marge du sommet officiel - mais avec l’aval tacite du président américain -, le ministre des Affaires étrangères Mohammad Javad Zarif. L’objectif déclaré étant de discuter des moyens de faire retomber la tension croissante induite par la sortie unilatérale des Etats-Unis du traité sur le nucléaire iranien, le 8 mai 2018, suivie de la mise en oeuvre d’une stratégie de « pression maximale » prenant la forme de sanctions d’une dureté inédite à l’origine d’une multiplication d’incidents dans le golfe Persique depuis le début de l’été. Cette crise avec l’Iran qui revendique un statut de potentielle puissance émergente moyen-orientale et les divisions profondes entre les Etats-Unis et les autres signataires, notamment occidentaux toujours partie-prenantes du JCPOA, dont le Royaume-Uni pourtant très proche allié de Washington, semble en tout cas confirmer de manière inédite la fracture de ce que l’on qualifie généralement de « monde occidental ». Cette fracture s’était déjà une première fois manifestée lors de la Guerre du Golfe de 2003 avec le refus ostentatoire de la France d’y participer à travers le discours emblématique prononcé par Dominique de Villepin devant l’ONU, le 14 février 2003. Et par-delà le cas particulier concernant le problème sur le nucléaire iranien, cette crise apparaît majeure à plus d’un titre car elle interroge sans doute également profondément l’Occident sur lui-même et sur la manière dont il se pense encore aujourd’hui au regard du droit international contemporain qu’il a largement contribué à façonner (3).
Notes :
(1) Le prince héritier Abbas Mirza (1789-1833) alla jusqu’à faire construire une fresque murale en l’honneur de l’empereur français et portera au cou son portrait sous forme de médaillon. Son propre fils et petit-fils de Fath Ali Shah, Mohammad Mirza Shah Qadjar (1834-1848) fit traduire The Life of Napoleon (1827) de Walter Scott (1771-1832) qui devint le livre de chevet du Shah et fascinera également son fils Nasseredin Shâh (1848-1896).
(2) Cf. Jalal Al-e Ahmad, Gharbzadegui, [en français L’Occidentalite], Téhéran, 1962. Sa traduction française est parue en 1988 aux éditions de L’Harmattan.
(3) Intéressant à cet égard est le titre volontairement provocateur donné à un article en date du 27 août 2019 de la chine iranienne officielle PressTV : « L’Occident a-t-il à jamais perdu l’Iran ? » (
https://www.presstv.com/DetailFr/2019/08/27/604578/Iran-Chine-relations-stratgique-Zarif-Wang-Yi). L’article fait référence à une coopération irano-chinoise renforcée : « L’étape chinoise de la tournée asiatique de Zarif et surtout l’annonce de ce plan de coopération échelonné sur une longue période de 25 ans interviennent au plus fort d’une campagne médiatique occidentale autour d’une possible ouverture du dialogue entre l’Iran et les États-Unis. Lors d’une cérémonie ce mardi, le président iranien Hassan Rohani a réitéré la position de principe de la RII qui consiste à refuser tout dialogue sous sanction avec les Américains. A Pékin, l’Iran a tenu donc à confirmer son adhésion définitive à l’Est [souligné par l’auteur]. Un tweet en chinois de Zarif en dit long sur cette adhésion : ‘J’ai eu un long et constructif dialogue avec mon ami Wang Yi. On a évoqué les questions bilatérales, régionales et internationales. Je lui ai proposé une feuille de route qui s’étale sur 25 ans et qui renforce des coopérations stratégiques élargies de part et d’autre avec en toile de fond un rôle plus actif dans le cadre de l’initiative ‘Ceinture et Route’ ». 

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